... les recteurs des universités soutiennent massivement le projet Marcourt, tandis que l’UCL se marginalise dans son opposition
Les recteurs des universités wallonnes et bruxelloises (Université Libre de Bruxelles, Université de Liège, de Mons, de Namur, Université Saint-Louis de Bruxelles) adressent, ce 4 janvier, une lettre ouverte au recteur de l’UCL dans laquelle ils dénoncent la campagne de dénigrement systématique de l’avant-projet du ministre Marcourt, organisée par l’UCL et quelques Hautes écoles catholiques (parmi lesquelles l’ICHEC, l’IHECS et Marie Haps). Le propos des recteurs est particulièrement sévère à l’encontre de Bruno Delvaux, le recteur de l’UCL et consort. Celui-ci, en tronquant systématiquement l’information, n’avait pas hésité à pousser ses étudiants à se mobiliser contre le projet dans un numéro spécial de la Quinzaine de l’UCL accessible en ligne¹.
La réplique des recteurs est sans appel : «
une stratégie de pure désinformation » écrivent-ils et d’ajouter : «
Offusqués par le tour qu’a pris cette campagne », « heurtés par la méthode ainsi que par le caractère infondé de ces critiques », en désaccord avec une démarche «
qui nous apparaît comme une stratégie de pure désinformation » et « confinant à la malhonnêteté intellectuelle », les recteurs répondent « point par point » aux éléments repris dans La Quinzaine «
afin que l’opinion puisse comprendre la portée de chacun d’eux et leur déformation systématique ». «
Au-delà de la forme, sur le fond, poursuivent les recteurs, l’argumentation [de l’UCL] contient nombre d’assertions fausses et de procès d’intention. Il n’est donc plus possible pour nous, dans de telles conditions, de conserver notre réserve sous peine, par notre silence, de sembler acquiescer, alors qu’à nos yeux, cet avant-projet de décret contient les ingrédients d’un véritable progrès pour notre enseignement supérieur et pour nos étudiants.²»
La démarche conjointe des recteurs est trop rare pour ne pas retenir l’attention, et la sévérité de leur jugement à l’encontre du recteur de l’UCL disqualifie celui-ci personnellement ³. Nous ne nous attarderons cependant pas davantage sur le caractère polémique du débat pour nous concentrer sur l’essentiel : quel est le contenu de l’avant-projet de décret du ministre Marcourt, en quoi ce texte permet-il de relever les défis de l’enseignement supérieur et quelles sont les questions qu’il soulève ?
Un projet qui redéfinit le paysage de l’enseignement supérieur
Pour la première fois, un projet de décret se propose de réorganiser tout l’enseignement supérieur dans un ensemble cohérent: universités, hautes écoles, enseignement supérieur artistique, enseignement supérieur de promotion sociale. Il prévoit l’organisation de deux niveaux de structures collaboratives et préserve pour le reste l’indépendance et l’identité propre de chaque institution d’enseignement. Dans notre paysage divisé par les différences de caractères, c’est un pari intéressant, favorisant dans une même zone géographique, la collaboration entre des structures dont l’histoire et les cultures organisationnelles peuvent varier beaucoup.
Au niveau de la Fédération Wallonie-Bruxelles, se trouve une académie unique appelée Académie de Recherche et d’Enseignement supérieur (ARES). L’ARES aura pour mission de coordonner l’offre d’enseignement (par exemple, en évitant les doubles emplois), d’optimiser les investissements, d’augmenter la visibilité internationale de notre enseignement supérieur. L’instance dirigeante de l’ARES sera constituée par un Conseil d’administration dans lequel siégeront les représentants des institutions d’enseignement (au nombre de 29 membres). La Fédération Wallonie-Bruxelles , en tant que pouvoir subsidiant, aura un représentant, et l’Académie sera présidée par un président choisi par le Gouvernement de la Communauté française dans une liste de trois personnes proposée par le Conseil d’administration. L’ARES sera dirigée par un Secrétaire général, désigné par le Gouvernement sur proposition de l’Académie, chargé de l’administration et de la gestion du personnel dans le cadre d’un mandat de cinq ans renouvelable.
L’avant-projet de décret propose ensuite l’instauration de cinq pôles géographiques regroupant toutes les institutions d’enseignement par zone géographique (Bruxelles, Brabant wallon, Liège et Luxembourg, Namur, Mons et Hainaut). L’objet de ces pôles, regroupés chacun autour d’une université (ULB à Bruxelles, UCL dans le Brabant wallon, UMons pour le Hainaut, Université Notre Dame de la Paix à Namur, Université de Liège pour les provinces de Liège et du Luxembourg), est de coordonner les acteurs locaux afin de proposer localement une offre d’enseignement optimale (recherche de complémentarités, limitation des concurrences stériles, etc.), de faciliter le développement de projets communs (en recherche, par exemple), le partage des infrastructures et l’orientation des étudiants. Il s’agit d’une instance de concertation et pas d’un organe exerçant un pouvoir sur les institutions, chacune demeurant autonome et gardant son identité propre. Les pôles auront la forme juridique d’une asbl et seront de facto pluralistes. L’avant-projet de décret prévoit également la possibilité pour une institution d’appartenir à plusieurs pôles si elle a des implantations dans différentes zones géographiques (par exemple l’ULB à Bruxelles, Mons et Charleroi) et invite aux collaborations entre pôles.
Les pôles sont, il faut y insister, des organes de coordination établis sur un critère de proximité géographique. Ils concernent les institutions et pas les étudiants. Ceux-ci demeurent libres de choisir l’institution dans laquelle ils souhaitent étudier, quelle que soit leur domiciliation.
Un projet qui rencontre bien les enjeux de l’enseignement supérieur
Dans le contexte de l’internationalisation de la formation au niveau du supérieur, l’avant-projet de décret permet:
- de renforcer la cohérence de l’offre d’enseignement supérieur à travers un processus progressif et concerté qui préserve l’autonomie des institutions de l’enseignement universitaire et supérieur ;
- de favoriser une meilleure utilisation des deniers publics en évitant les gaspillages résultant de concurrences déloyales ;
- de donner une meilleure visibilité sur le plan international à notre enseignement supérieur malgré la petitesse de nos institutions d’enseignement qui peinent à rivaliser avec les institutions des grands états européens.
Il constitue de ce point de vue une démarche pragmatique pour essayer, peu à peu, de dépasser les clivages de caractère qui bloquent le développement de l’enseignement supérieur dans le contexte très particulier de ce niveau d’enseignement. Mais il ne répond pas pour autant à toutes les questions.
Un projet qui ne répond pas à toutes les questions
Si l’avant-projet de décret est indéniablement positif quand il suggère une réorganisation combinant une logique de proximité avec l’optimalisation de l’utilisation des deniers publics par un processus concerté, respectueux de l’identité des institutions, il ne faut pas, pour autant, en attendre plus que ce qu’il offre. Un décret n’est pas une baguette magique qui ferait d’un coup disparaître toutes les difficultés bien réelles auxquelles l’enseignement supérieur se heurte : l’impréparation d’un nombre trop grand d’étudiants à l’enseignement supérieur et un taux d’échec catastrophique, des problèmes de financement qui s’accentuent depuis 2004, la difficulté de faire collaborer les Hautes écoles et les universités, les clivages philosophiques et les concurrences bien réelles existant entre des établissements qui convoitent étudiant(e)s et moyens financiers comme on se partage un gâteau trop étroit, la compétition internationale sur le plan de la recherche et de l’offre de formation.
Patrick Hullebroeck, directeur
1.
https://docs.google.com/viewer?url=http://www.uclouvain.be/cps/ucl/doc/ac-arec/documents/UCL_QZ_speciale_ter.pdf
2. Voir sur notre site
le texte de la lettre ouverte
3. A noter aussi la prise de position intéressante du pôle hennuyer, qui rejoint (en l’anticipant) la position des recteurs :
https://docs.google.com/viewer?url=http://portail.umons.ac.be/FR/actualites/Documents/2012/P%25C3%25B4lehainuyer_Avis_ProjetMarcourt20121221.pdf