Jean-Claude Marcourt (PS), ministre de l’Enseignement supérieur, a proposé, dans le courant du mois de décembre, un avant-projet de réforme de l’enseignement pédagogique. Si le projet est adopté, son application devrait être effective en 2015-2016 et il modifiera considérablement la formation initiale des enseignant-e-s en Fédération Wallonie-Bruxelles.
Ces réformes s’inscrivent dans un double contexte :
- on assiste actuellement à une forte pénurie enseignante, liée à la fois à un taux important d’abandon de la profession dans les première années d'exercice, ainsi qu'à un manque de renouvellement des effectifs;
- en outre, le système scolaire, en Fédération Wallonie-Bruxelles, est l’un des plus inégalitaires d’Europe .
Si, aujourd’hui, la plupart des acteur-trice-s de l’enseignement s’accordent à dire qu’il est nécessaire de revaloriser la profession et de préparer davantage les enseignant-e-s à leur future tâche, de plus en plus complexe, depuis l'annonce de l'avant-projet du ministre, diverses voix se font entendre, mettant en garde contre différents aspects des propositions.
Les points importants de la réforme de la formation initiale des enseignant-e-s :
- la formation durera 5 ans pour tous les enseignant-e-s. Les instituteur-trice-s et régent-e-s seront donc formés pendant cinq années au lieu de trois actuellement. Le ministre dit s'appuyer sur une étude menée en 2011 par les Facultés universitaires Saint-Louis à Bruxelles (FUSL) ayant mis le doigt sur certaines défaillances et une surcharge de matières, liées à la trop courte durée de la formation.
- tous les enseignant-e-s étant « mastérisés », il y aura, en conséquence, une revalorisation barémique. Les instituteur-trice-s et régent-e-s accéderont au barème 501 au lieu du barème actuel 301;
- la structure actuelle, composée de quatre niveaux correspondant au maternel, primaire, secondaire inférieur et secondaire supérieur, évoluera en trois niveaux seulement. Les tranches d'âge ne sont pas encore arrêtées et peuvent être définis comme suit : 2, 5-8 ans, 8-14 ans, 14-18 ans ou encore : 2,5-8, 8-12 ans,12-18 ans. Les futurs enseignant-e-s seront ainsi amenés à déterminer leurs choix entre trois orientations, au lieu de quatre;
- la première année de formation sera commune à tous les étudiant-e-s avant la spécialisation par niveau;
- tous les étudiant-e-s seront formés au sein d’une même école, ce qui nécessite une réorganisation des « écoles normales » et des facultés universitaires de pédagogie;
- un test de français sera obligatoire au moment de l’entrée dans l’école, bien que non-sélectif. Le ministre estimant qu' "il n’est pas normal que nos enfants soient confiés à de jeunes professeurs qui aient des lacunes en français ." Ce test permettra d'évaluer le niveau de l'étudiant et d’effectuer une remédiation si besoin.
Jean-Claude Marcourt évoque "
une réforme extrêmement longue qui a un coût", estimé entre 500 à 600 millions d'euros sur 20 à 30 ans. Pour financer le projet, le ministre mise sur une réduction de l’échec scolaire qui coûterait, aujourd’hui, selon les Indicateurs de l'enseignement, 427 millions d’euros par an. Il justifie ainsi ces positions: "
Je (...) mets (ce coût) face à deux choses : le coût de l’échec scolaire pour notre société, avoir autant de jeunes qui échouent a un coût majeur (...) Deux : toutes les études montrent, aujourd’hui, que si nous avons un meilleur enseignement, nous aurons un impact sur le produit intérieur brut."
Des questionnements :
- Quelle adaptation de la réforme aux enseignant-e-s actuel-le-s ?
Le passage à la masterisation pose des questions concernant les enseignant-e-s actuel-le-s, ayant validé leur diplôme au bout de trois ans d'étude seulement. Comment harmoniser les statuts entre anciens et nouveaux? Quelles formations devront suivre les enseignant-e-s d'avant la réforme pour accéder au nouveau barème? "
Envisage-t-on de valider les acquis de l’expérience? "; "
Qu’en sera-t-il de la formation initiale des personnes qui viennent à l’enseignement par d’autres voies, les licenciés qui se destinaient d’abord à la recherche, les travailleurs qui ont accumulé de l’expérience professionnelle utile hors école ", etc.?
- La mise en place d'une sélection des étudiant-e-s?
Si les tests de français permettront aux étudiant-e-s, d'après le ministre, de corriger certaines lacunes (au niveau de la grammaire, syntaxe, compréhension de la phrase ou du français, etc.), la Fédération des Etudiants Francophones (FEF) craint que le test ne soit sélectif et, à terme, qu'il constitue un numerus clausus. En outre, le président de la FEF redoute que la réforme démobilise les étudiants potentiels puisque, selon lui, "
l'on sait, suite à pas mal d’études américaines, que les tests contraignants sont une barrière psychologique à l’entrée des études supérieures."
- Financer deux ans supplémentaires ?
La FEF pointe le coût engendré par ces deux années d'études supplémentaires (frais d’inscription, matériel pédagogique, photocopies, déplacements durant les stages, logement, etc.) qui pourrait représenter un frein pour un public plus défavorisé. Toujours selon la FEF, la durée de la formation risque, contrairement à l'objectif de la réforme, d’accentuer la pénurie, décourageant les étudiant-e-s à s'engager dans cinq années d'études, investissement qui ne serait pas forcément compensé par la perspective d'une augmentation salariale liée au barème 501.
- La formation des enseignant-e-s, seule responsable de l'échec scolaire?
Au sein même du gouvernement, la réforme suscite des interrogations de la part du ministre du Budget, André Antoine (cdH) qui considère le coût de cette réforme, trop important. En effet, si le ministre Marcourt dit vouloir financer cette réforme grâce à la diminution de l’échec scolaire, il y a matière à s'interroger : est-il raisonnable d'attribuer l'intégralité de l’échec scolaire à une formation insuffisante des enseignant-e-s ? La structure de l’Ecole n’est-elle pas, elle-même, à remettre en question ? La structuration du curriculum et l'orientation précoce, le redoublement et le sentiment d’échec qui s'ensuit, les dispositifs d’évaluation entre les mains de chaque établissement, le libre choix et la dualité entre les écoles, etc., ne sont-ils pas des problèmes structurels qui contribuent à l'instauration des inégalités ? Une amélioration de la formation, pratique et théorique, aura nécessairement un impact fort sur l'école, mais il paraît primordial d'accompagner ce processus d'une réflexion globale sur le système scolaire, dans son ensemble.
- Quel contenu pour quelle école ?
Un point fondamental n'a pas été abordé par le ministre Jean-Claude Marcourt: la question du contenu des programmes de la formation initiale des enseignant-e-s. En effet, comment ce contenu sera-t-il adapté à la situation actuelle de l'enseignement et aux publics ayant des problèmes spécifiques? Comment s'articuleront la pratique et la théorie? Quelle sera la fréquence des stages? Quelle place pour les nouvelles technologies et les langues? Quelles actions autour de la lutte contre la violence, le racisme et le sexisme? Etc.
Nombre de questions importantes restent ouvertes. Rappelons alors que l'on parle encore d'avant-projet. Il reste, ainsi, beaucoup à discuter avant le texte définitif.