Pourquoi éduquer et former au développement durable ? Entre urgence, défi et opportunité

Mercredi 12 février 2014

« L’ampleur, l’urgence, la diversité et la complexité des problématiques générées par le modèle de développement de nos sociétés contemporaines nous obligent, dans l’urgence, à nous pencher sur les questions de l’éducation et de la formation des générations futures qui devront affronter des réalités biophysiques, économiques et politiques inédites, dont nous commençons à peine à entrevoir l’ampleur. »
Appel à la mise en œuvre d’un printemps de l’éducation au Développement Durable, mars 2009

Urgence

Depuis l’appel lancé par le Conseil de l’Europe en 1970 d’engager une année de réflexion et d’action sur le thème : « Quelle terre laisserons-nous à nos enfants ? », on assiste à la superposition des crises environnementales, sociales et économiques, dont l’accélération en 2008 est perceptible dans tous les domaines. Nous proposons d’interroger l’Education au Développement Durable (EDD) et d’inverser la question. Quels enfants laisserons-nous à notre terre, autrement dit, comment nos sociétés vont-elles s’y prendre pour aider et préparer les jeunes à effectuer la révolution copernicienne qui les attend, à savoir : vivre, dès 2050, à 9 milliards, des ressources d’une seule planète en assurant un monde viable, vivable et soutenable dans le temps (les générations suivantes) et une société équitable, participative et égalitaire étendue à l’échelle de la planète (ensemble des peuples). C’est à cet ensemble de questions que les Nations Unies se sont attelées à répondredepuis la conférence de Rio en 1992. L’enlisement progressif du processus depuis lors, et sur de nombreuses questions liées au défi qui vise à assurer un avenir durable à l’homme, ne doit pas nous tromper. Il confirme l’urgence d’une mobilisation des structures éducatives dans tous les pays. L’assemblée générale qui a suivi le sommet de Johannesburg en 2002 l’a bien compris en proclamant une : « Décennie de l’EDD » qui se clôt en… 2014. Voilà pour l’urgence et le cadre général. La place nous manque pour expliciter davantage l’étendue des questions, mais nous renvoyons le lecteur au premier volume des « Cahiers du Développement Durable » réalisés avec le soutien de la Région Wallonne (http://les.cahiers-developpement-durable.be/vivre/t1-p1-introduction/).[1] Examinons en quoi le développement durable (DD) est un véritable défi pour nos systèmes éducatifs, comment et pourquoi il représente aussi une formidable opportunité.

Défi

« Le plus grand défi qui nous est lancé en ce siècle est de prendre une idée qui semble abstraite – le développement durable – et d’en faire une réalité pour l’ensemble de la population mondiale. » Kofi Annan, Bangladesh, 2001 L’éducation/la formation en vue d’un développement durable ne peut être qu’un projet d’éducation globale qui ambitionne de faire émerger des générations de citoyens :
  •  éduqués et formés à une approche critique du fonctionnement du monde ;
  •  capables de construire une lecture politique des événements ;
  •  créatifs et imaginatifs, acteurs et actifs ;
  •  disposés à construire de nouveaux modèles de vie ;
  •  prêts à réévaluer leurs manières de penser et d’agir.
Au fond, la question à se poser est « comment apprendre aux jeunes d’aujourd’hui à penser globalement et à appréhender la complexité de nos sociétés ? ». Penser et prendre en main… Pas une mince affaire pour un enseignement qui reste largement disciplinaire, peu préparé à des approches systémiques, interdisciplinaires, et dans lequel l’utilisation des pédagogies actives reste difficile à pratiquer. Pourtant, comme le montre un récent travail de l’inspection, l’éducation relative à l’environnement et au développement durable est une porte d’entrée très favorable à ce type de pédagogie.[2] Et plus la vision de l’équipe enseignante sera large, globale et mobilisera plusieurs champs éducatifs (citoyenneté, santé, développement, environnement…), plus le terrain sera favorable. Les sujets qui touchent à l’avenir de la planète et de l’humanité nécessitent toujours – dans une approche EDD – la participation de plusieurs disciplines…, voire toutes ! Nous ne prendrons qu’un seul exemple. Quelques élèves et professeurs s’émeuvent de la qualité de la nourriture et des boissons distribuées à l’école, et les questions se mettent à fuser. Pourquoi tant de produits mauvais pour l’équilibre alimentaire (cours de sciences et de sport) ? Pourquoi pas des produits régionaux et qu’est-ce que le commerce équitable (cours de géographie, mathématiques, économie ou philosophiques) ? Pourquoi tous ces emballages jetables qu’on retrouve partout sur la planète et qui épuisent les ressources (cours de sciences, de géographie, langues…) ? Pas un seul sujet de l’actualité qui ne puisse déclencher une recherche dans de nombreuses disciplines. Pas un seul sujet qui ne se prête à être exploré en sciences, techniques, économie, et ne se laisse interroger dans ses dimensions éthiques, philosophiques, voire politiques. Qui n’appelle, enfin, au développement des compétences sociales et à la qualité d’une expression et d’une communication. Le défi de telles approches est de taille et pourtant, de nombreuses expériences sont menées et elles fonctionnent. Les établissements où ces activités voient le jour rencontrent des difficultés d’organisation, mais imaginent de nombreuses pistes nouvelles qui mériteraient d’être rassemblées et diffusées.[3] La mise en œuvre du DD à l’échelle de l’école rencontre un second défi d’importance, celui de développer, par leur participation active, les compétences sociales des adolescents, les mobiliser autour de leur lieu d’apprentissage, de leur école avant qu’ils ne puissent transférer ces acquis dans la société et le monde du travail. C’est le versant « éducation à la participation citoyenne », composante essentielle de notre mission d’enseignant, mais aussi composante centrale du développement durable.

Opportunité

Introduire le DD dans l’éducation et la formation présente une double opportunité.
  • Le développement de la motivation et de la mobilisation des jeunes et des adultes dans leur école est un des résultats tangible dans l’établissement qui accepte de se remettre en question, de se laisser interpeller par les principes du DD dans son vécu quotidien.
L’école est bel et bien le premier chantier. Comme tous les autres lieux d’éducation, d’ailleurs ! Les modèles d’organisation et de participation internes, la gestion des rapports jeunes-adultes, l’achat des équipements et du matériel scolaire, l’alimentation et l’accès aux boissons, la gestion des déchets, l’aménagement et l’entretien des locaux, les questions de santé et de sécurité, la gestion des espaces extérieurs…, tout peut s’ouvrir à l’investigation critique des enfants et des adolescents dans les activités disciplinaires ou interdisciplinaires ou dans le cadre de projets. L’école se transforme pas à pas et en profondeur. D’un projet de DD à l’école, on passe alors à une école durablement en développement. De nombreuses dynamiques humaines, très riches, sont au cœur de ces processus.
  • La prise en compte des questions du siècle par l’école renforce sa pertinence et ce qui fait sens aux yeux des jeunes.
Rencontrer les défis, en comprendre la complexité et s’engager dans l’invention de solutions inédites, se prépare – voire se réalise – à partir de toutes les disciplines, comme dans l’ensemble des filières de formation technique et professionnelle. Ainsi, de nombreux projets techniques, scientifiques, d’ordre éthique ou artistique, laissent des traces dans l’école, la modifient petit à petit, créant une véritable adoption de la vision DD au cœur de son projet d’établissement. Lors de ces activités, la classe produit de l’information utile à la sensibilisation d’autres classes, de toute l’école, voire du quartier ou de la ville. Elle mobilise et développe les compétences sociales personnelles et collectives, notamment de négociation, de sens critique et de communication, qui soutiennent l’envie d’apprendre et de comprendre, tout en passant aux actes, à des réalisations concrètes : une campagne d’affichage, une action solidarité Nord-Sud, un défilé de mode « second hand », un outil de régulation électronique du chauffage, un repas alimentation durable, l’édition d’une brochure ou une exposition thématique… Ainsi, mobiliser les élèves dans des productions culturelles signifiantes et concrètes leur permet d’entrer dans une dynamique de participation à la transformation de leur école et des modes d’y vivre, avant de s’engager dans les structures sociales et économiques où ils pourront réinventer un monde plus beau, plus juste et plus pacifique, bref plus durable comme adulte, parent, travailleur, citoyen et consommateur.  
Jean-Michel Lex, coordinateur de projets en EDD à l’Institut Robert Schuman d’Eupen et initiateur du projet « Les Cahiers du DD »

[1] Les Cahiers du DD se composent d’un livre et d’un DVD que l’on peut se procurer auprès du service documentation de la DGARNE de la Région wallonne, ou par email à info@cahiers-dd.be, ou découvrir sur le site www.cahiers-dd.be
[2] Ce travail est réalisé dans le cadre des Assises de l’éducation relative à l’environnement et au développement durable. A découvrir sur le site http://www.assises-ere.be/
[3] L’équipe des « Cahiers du DD » cherchera, dans les mois et années qui viennent, à initier ce partage d’expériences et d’expertise. Vous pouvez la contacter par email à info@cahiers-dd.be ou par téléphone au 0493/19.40.25.

Du même numéro

Articles similaires