Mineures enceintes, adolescence et parentalité - Encore jeunes et… déjà parents
Jeudi 4 décembre 2014
La thématique des jeunes parents mineurs a été au centre des réflexions de la Plateforme « Relais Jeunes Parents », initiée à l’issue du colloque « Encore jeunes et déjà parents » organisé par le service Tremplin . Ce colloque a été l’occasion de réunir de nombreux professionnels, issus de secteurs très différents.
Au fil des années, le nombre de jeunes parents, et plus particulièrement celui des jeunes mamans, semble assez constant. Selon la banque des données médico-sociales (BDMS) de l’ONE, le nombre d’accouchements en Wallonie et à Bruxelles est passé, entre 2008 et 2012, de 7 à 42 pour les moins de 15 ans. Il s’est stabilisé autour de 320 naissances pour les 15-17 ans, et autour de 1 040 naissances pour les 18-19 ans. Cela représente tout de même un total d’environ 1 400 naissances pour les moins de 20 ans. Ne négligeons pas qu’à côté de ces chiffres, d’autres facteurs sont à prendre en compte, comme le fait que toutes les grossesses d’adolescentes n’aboutissent pas et que le nombre d’IVG est stable pour cette catégorie de la population. Cette thématique est donc indissociable de celles de l’éducation à la sexualité, de l’usage de la contraception, du travail d’accompagnement des centres de planning familial, des IVG, des dénis de grossesse, etc. En ce qui concerne les recours à l’IVG par les plus jeunes, les chiffres sont relativement constants et ne montrent aucune tendance à diminuer, ce qui justifie en soi une réflexion de fond.Une absence de projets
Aujourd’hui encore, la pression est forte et il n’est pas rare d’entendre : « Ces enfants font des enfants », ou encore « des jeunes filles sans maturité, éprises de liberté, sans aucun contrôle de leurs pulsions ». Mais, nous avons découvert qu’il existe de fort belles histoires familiales, et plutôt que de juger, il convient d’entourer et de soutenir les parentalités précoces. Au cours de nos interventions professionnelles dans le cadre de l’Aide à la jeunesse, le service Tremplin propose un accompagnement à domicile, sur mandat du Service d’Aide à la Jeunesse ou du Tribunal de la Jeunesse. Nous observons un lien évident entre grossesse précoce, précarité sociale et faible niveau d’attente dans des perspectives d’avenir. La vision de l’école (liée à la vision du futur) et le décrochage scolaire ont aussi un impact sur les grossesses précoces. Les jeunes filles cherchent un autre moyen de valorisation que de se préparer à la vie active qui leur semble inaccessible. L’absence de projets ou d’activités est telle, qu’un bébé est parfois désiré pour s’occuper, pour redémarrer, pour exister.A 14 ans, Mélanie est déjà déscolarisée. Ses parents sont peu présents. Sa mère fréquente les milieux de la toxicomanie et de la prostitution. Deux ans plus tard, Mélanie est enceinte et décide de garder l’enfant. Elle a toujours caché sa grossesse à son entourage. Mélanie nous dit : « Je vais me donner, à travers mon enfant, tout l’amour que je n’ai jamais reçu… et pour cela, je ne peux compter que sur moi-même. » Sa grossesse ne semble pas être le résultat d’un choix délibéré mais, peut-être au contraire, d’une absence de choix. A la demande du Service d’Aide à la Jeunesse, nous accompagnons Mélanie durant sa grossesse, puis l’orientons vers une maison d’accueil de type maison maternelle. Quelques mois plus tard, la cohabitation au sein de la maison maternelle pose problème. Nous reprenons l’accompagnement qui, en fin de compte, se termine avec succès. Aujourd’hui Mélanie est heureuse avec son fils âgé de 4 ans.
Une revanche sur la vie
Etre mère donne une place dans la société, une société dont certaines jeunes adolescentes se sentent parfois exclues. Faire un bébé reviendrait alors à se faire renaître pour retrouver comment s’aimer. Une sorte de revanche sur la vie. Les jeunes parents ont de l’amour à donner, ce qui leur concède une force, une fierté, une estime de soi revalorisée et un nouveau sens à leur vie, sorte de réparation par rapport aux échecs rencontrés. Comment aider les jeunes mères mineures qui, parfois, ne supportent pas les règles de vie communautaire et encourent le risque de se faire exclure des maisons maternelles. Il est parfois difficile pour ces jeunes filles d’accepter de l’aide. Certaines veulent s’en sortir toute seules et se surestiment. Elles ressentent l’accompagnement comme un « un poids en plus », et l’encadrement comme « dirigiste ». Il nous faudra accepter le paradoxe d’une adolescente qui peut être mère à condition des fois de cesser de l’être, et il nous semble important de réfléchir à des structures qui leur permettent d’être ado et mère en même temps.Murielle n’arrive plus à vivre avec ses parents et est aidée par une association. Enceinte à 16 ans, elle poursuit sa grossesse. Elle qui voulait son indépendance, ne peut plus rien faire à cause du bébé. Elle n’éprouve pas de mal-être, mais s’inquiète en permanence, comme si elle avait peur de ne pas bien agir.
Même si les adolescentes parlent souvent d’« accidents », il ne faut pas négliger leur désir d’enfant. Certaines « attendent » leur grossesse. Dans nos sociétés, il existe implicitement un interdit de grossesse : tant qu’on n’est pas adulte responsable, il est interdit de procréer. Mais, comme beaucoup d’interdits, il ne résiste pas au passage à l’acte de certains adolescents. Le phénomène d’immédiateté montre à quel point il est typique de voir les adolescents vivre les événements avant de se les représenter, et, dans le cas de grossesse précoce, il peut manquer alors un temps d’élaboration permettant de se construire une image du rôle de parent. L’enfant rêvé est souvent idéalisé, et la confrontation à la réalité est parfois perturbante.Marie est enceinte à 13 ans. Elle s’enfuira de l’hôpital où sa mère veut la forcer à faire une IVG. Elle se réfugie dans la famille du père de son enfant. Elle adore sa grossesse et se sent épanouie. Après la naissance, elle passe par plusieurs centres d’accueil avant de se trouver un logement. Notre service intervient alors pour accompagner Marie pendant 18 mois, jusqu’à ce que l’ensemble des intervenants puisse constater le bon épanouissement du bébé. Entre-temps, Marie choisit de renoncer à sa scolarité, se sentant « en marge » par rapport aux autres filles, se sentant observée et jugée. Elle a l’impression que son école l’a poussée dehors, comme si le fait d’être enceinte était contagieux.
Des formations plus courtes ?
La scolarité est une réalité difficile à concilier en tant que jeune parent. Pourtant, l’école permet de rester en contact avec les pairs, de prendre du recul et de souffler émotionnellement. Vivre sa vie d’adolescente la journée et de petite maman le soir et la nuit ? Mais comment susciter l’intérêt pour l’école si le décrochage était déjà présent avant l’arrivée du bébé ? A moins que le fait de devenir parent annonce la fin de l’adolescence et, dans ce cas, quel est le sens de l’obligation scolaire ? En effet, pour certains jeunes, la réalité de l’école semble être trop éloignée de leurs préoccupations, comme si le monde scolaire ne correspondait plus à leurs besoins et à leurs attentes. Dès lors, ne serait-il pas souhaitable que certaines formations pour adultes (Espace formation) puissent être accessibles aux mamans mineures. En effet, ces formations, plus courtes dans le temps, permettraient aux mamans de se projeter dans un futur proche, plus accessible et stimulant. Soulignons encore que la possibilité de mettre son enfant dans une crèche pas trop éloignée de l’école ou du domicile reste une condition essentielle à la réussite.Comme sa propre mère à l’époque, Fabienne est enceinte à 17 ans. Une répétition générationnelle à travers laquelle Fabienne est loyale et fidèle à sa maman. Nous sommes intervenus dans cette famille où mère et grand-mère se partageaient la fonction maternelle. Un scénario où la maternité serait « passée de main », sans doute avec des non-dits, des dettes et des réparations. Ce qui interroge aussi dans cette situation, c’est l’absence des pères, ou plutôt leur « écartement », un peu comme si on les avait effacés ou supprimés d’un simple « clic », comme s’il n’y en avait pas eu, ni pour le bébé, ni pour Fabienne. Cette absence de « fonction paternelle » peut entraîner un risque de collage mère-bébé provoquant parfois fusion et confusion.
La place du père
Dans certains cas, en lien avec les motivations de départ chez la jeune mère, le nourrisson peut prendre toute la place, en ce compris celle du père, comme si ce bébé avait une fonction « narcissique » pour la jeune fille en la comblant à tous les niveaux, et ne laissant dès lors plus de place à des tiers, tels que crèche, école et rôle paternel. Quel espace pour la fonction paternelle qui « sépare » et fait tiers ? Les parents mineurs exercent eux-mêmes l’autorité parentale sur leur enfant, tout en restant eux-mêmes soumis à l’autorité parentale de leurs propres parents: un bond en avant dans la génération. Un bébé qui bouscule ! Par ailleurs, reconnaissons que, parfois, la jeune mère et la nouvelle grand-mère refont l’histoire de leur relation.Amandine a 15 ans et le père de son bébé en a 20. Il vient d’être incarcéré. Les parents d’Amandine n’acceptent pas la situation. Amandine est fragilisée dans le lien avec son bébé et accepte notre proposition d’être hospitalisée dans une unité de maternologie qui présente ainsi une partie de son projet « L’instinct maternel n’existe pas, c’est la rencontre mère/bébé qui permet à la mère de devenir mère et au bébé de naître psychiquement. Or, cette rencontre est semée d’embuches. »
Que signifie le fait d'être parent et de prendre toute la mesure de cette responsabilité ? Certains et certaines croient qu’il est facile de gérer un enfant, qu’il suffit de lui donner à manger, de le faire dormir et de changer ses langes. La réalité est très différente. On doit toujours penser en premier à son enfant, et on ne choisit plus combien de temps on va dormir. En effet, on vit au rythme de son bébé et la gestion de son temps devient dépendante de ce petit être. Dans les situations où les jeunes filles sont en rupture avec leur famille, elles se retrouvent souvent isolées et manquent alors de repères après la naissance de leur enfant. Certaines éprouvent des difficultés à couper le cordon et ont tendance à considérer le bébé comme un prolongement d’elles-mêmes. De leur côté, certains enfants sentent la détresse de leur mère et, aussi petits soient-ils, veillent à consoler et à combler ses attentes.Leila a 16 ans. Son père vient de décéder et depuis lors, sa mère souffre de troubles psychiatriques. Leila et ses deux petites sœurs sont placées en foyer. Au cours d’une fugue, Leila rencontre le père de son futur bébé qui, lui, a déjà 28 ans. A la demande du Tribunal de la Jeunesse, notre service accompagne Leila dans son rôle de jeune maman. Leila vit avec son compagnon dans la maison de la grand-mère paternelle avec, à l’étage, une belle-sœur et ses enfants. Leila cherche-t-elle à se recréer une nouvelle famille ? Cherche-t-elle à retrouver auprès de son compagnon une image paternelle ?
Un bond générationnel
Parfois les pères ont une dizaine d’années de plus que la jeune maman, ce qui équivaut, pour certaines, à se retrouver avec un compagnon associé à une image paternelle. Ceci renvoie au conflit œdipien et à toute la fantasmatique qui y est rattachée. Il fut une époque où les grossesses d’adolescentes éveillaient même les soupçons de relations incestueuses. Aujourd’hui, cela semble être moins le cas, mais il reste des mélanges de générations et des difficultés à se séparer de ses propres parents. Le bébé des « mères ados », à qui « appartient-il » ? Ce petit bout qui naîtra ne sera-t-il pas considéré comme le petit frère ou la petite sœur des autres enfants des grands-parents qui habitent ensemble ? Les repères sont mis à mal et les identifications rendues plus compliquées : un bond en avant dans la succession des générations.Marco a 18 ans au moment de la naissance de sa fille Sylvia. D’une précédente compagne, il était déjà père d’un autre enfant qu’il n’a jamais pu voir, la mère et sa famille faisant blocage et menace. Aujourd’hui, il se rattrape auprès de Sylvia dont il a obtenu la garde. A la demande du tribunal de la Jeunesse, dans le cadre d’un dossier au protectionnel, nous intervenons à domicile. Un accompagnement bien nécessaire au cours duquel nous avons remarqué que, très souvent, les pères s’investissent en fonction de la place qui leur est laissée, par les mères mais aussi par les intervenants et les services, qu’il s’agisse de l’hôpital, d’une crèche, de l’ONE, d’une maison d’accueil, etc.
Nous constatons, dans la pratique, que le désir d’enfant n’est pas l’apanage de la seule femme ; les hommes, même s’ils sont moins visibles, existent et sont présents comme pères, non seulement dans la tête de la jeune maman, mais aussi dans la réalité. Les pères ne seraient-ils pas quelquefois mis de côté par les intervenants et les lois sociales ? Les pères sont diabolisés et on se plaint de leur absence alors que, dès qu’on leur demande quelque chose, ils se font un plaisir et un honneur d’y répondre positivement. Ainsi, nous avons appris à nous méfier des présupposés négatifs et des prédictions malheureuses.Âgée de 14 ans, Joanne est fille unique. Adolescente, elle agit comme si elle était le symptôme d’un dysfonctionnement familial. Elle devient violente et infernale à la maison. Joanne est alors placée mais se retrouve enceinte au bout de trois mois. Exclue du foyer, nous l’aidons à retourner chez elle. Une famille à reconstruire autour de l’arrivée d’un bébé. Une fois les malaises et les non-dits dévoilés, s’installe une véritable cohabitation fructueuse. De son côté, le père du bébé, âgé de 17 ans, qui vit aussi chez ses propres parents, assume sa fille chaque week-end… un bébé parachute avec effet réconciliateur !
La traversée de l’adolescence, bébé dans les bras…, est-ce la fin de d’adolescence, sorte de saut psychique qui ferait dépasser les enjeux liés à cette période ? A moins que ce ne soit une entrée précoce au pays des adultes ? Mais pour certaines, n’est-ce pas postposer l’adolescence à plus tard ?