Mathématiques des vaccins

Mercredi 2 février 2022

Photo de Mufid Majnun sur https://unsplash.com/
François Chamaraux, docteur en sciences, enseignant en mathématiques et sciences

En ces temps où «le vaccin» (on ne prend même plus la peine de préciser contre quelle maladie!) devient le centre de l’actualité, nous poursuivons notre exploration de la méfiance vaccinale, avec quelques arguments anti-vaccins que l’on peut classer dans la catégorie des arguments «scientifiques».

«Parmi les malades, il y a plus de vacciné·e·s que de non-vacciné·e·s; donc le vaccin ne protège pas - et même, il donne la maladie![1]»

Voici un argument plutôt troublant, simple et de bon sens. Regardons, par exemple, le rapport de Sciensano du 14 janvier, page 28[2] : parmi les 10 900 cas quotidiens de covid dans la tranche 18-64 ans, on compte environ 7000 vacciné·e·s pour 2400 non-vacciné·e·s[3]. «Trois fois plus de vacciné·e·s que de non-vacciné·e·s chez les malades: c’est donc la preuve non seulement que le vaccin ne protège pas, mais même qu’il donne la maladie!…». Ce genre de conclusion est parfois entendue dans les milieux anti-vaccins, avec des variations plus ou moins subtiles selon le niveau arithmétique des interlocuteur·trice·s.

Avant de prendre quelques minutes pour démonter ce sophisme à l’aide du raisonnement mathématique, transposons-le à la sécurité routière. «Chaque année, 500 personnes meurent sur les routes. Parmi ces 500 individus, 350 décèdent dans des accidents impliquant des conducteurs sobres, et seulement 150 dans des accidents dus à des conducteur·trice·s ayant bu de l’alcool. Conclusion: les sobres au volant se tuent deux fois plus que les alcoolisé·e·s, donc, sur la route, la sobriété tue, et l’alcool protège!».

Oui, la sobriété au volant protège!

Ce sophisme paraît ridicule pour l’alcool, mais il peut prendre au dépourvu quand il s’agit de vaccin. Où se situe la faille? C’est qu’on doit «comparer ce qui est comparable»: non pas les nombres bruts de décès, qui ne signifient pas grand-chose, mais les risques: risque de mourir sur la route lorsqu’on fait partie des «sobres» d’une part, et risque de mourir lorsqu’on prend souvent le volant sous alcool (population «non-sobre»), d’autre part[4]. Et ces risques sont donnés par des rapports (ou ratios): pour les sobres, le risque d’avoir un accident mortel est le rapport du nombre d’accidenté·e·s sobres par le nombre total de sobres. De même, le risque de mourir au volant pour les non-sobres est le rapport des accidenté·e·s non-sobres sur le nombre total de non-sobres. Ainsi, si la population sobre s’élève à 3 500 000 personnes, et celle non-sobre s’élève à 45 000 personnes (beaucoup moins, bien sûr: l’immense majorité des trajets se font sans alcool), on conclut ceci: le risque de se tuer au volant quand on est sans alcool est de 350 pour 3 500 000 (1 pour 10 000), alors que ce risque devient 150 pour 45 000 (33 pour 10 000) pour les conducteur·trice·s sous alcool. Le premier risque étant 33 fois plus faible que le second, on conclut à un énorme effet protecteur de la sobriété au volant, ou, si l’on préfère, un énorme effet délétère de l’alcool sur la route.[5]

Revenons donc aux résultats de risques pour les chiffres déjà mentionnés sur le rapport de Sciensano (risques d’avoir le covid pour les vaccinés V, et pour les non-vaccinés NV). Le risque, correctement calculé, d’avoir le covid chez les V est d’environ 2,72%[6]. Pour les NV, ce rapport vaut 2,77%. 2,72 au lieu de 2,77, cela représente une diminution, certes faible, mais qui permet d’affirmer un léger effet protecteur. Ainsi, notre sophisme est bel et bien démonté: quand bien même il y a trois fois plus de V que de NV parmi les malades du covid, cela indique tout de même un léger effet protecteur du vaccin!

Le vaccin n’atteint pas l’objectif espéré de stopper la transmission de la maladie. Mais c’est sur les conséquences graves de covid que l’effet du vaccin devient spectaculaire

Echec et succès du vaccin: une vaccination «égoïste»

«Oui, mais 2,72% au lieu de 2,77%, cela représente une bien faible protection!». Et en effet, le vaccin ne prémunit presque pas contre le covid-19 en général. De ce point de vue, le vaccin n’atteint pas l’objectif espéré de stopper la transmission de la maladie[7]. Mais c’est sur les conséquences graves de covid que l’effet du vaccin devient spectaculaire. Car nous apprenons (page 29 du même rapport), toujours en comparant les risques et non les nombres, que le risque de covid grave avec admission à l’hôpital, de 37 pour 100 000 pour les NV, passe à 9 pour 100 000 pour les V. Pour les covid très graves (admission en soins intensifs), l’effet est encore plus spectaculaire: risque de 9 pour 100 000 pour les NV, et de 1 pour 100 000 pour les V. On a donc 9 fois moins de chances de se retrouver aux soins intensifs lorsqu’on est vaccinée que lorsqu’on ne l’est pas: une diminution de plus de 90%! Enfin, l’effet sur la mortalité mesuré par Sciensano est également de cet ordre: 86% à 100% de diminution selon les classes d’âge[8].

Vaccination corona: geste individuel ou collectif?

Il faut s’arrêter sur ces nombres: 86 à 100% de baisse de la mortalité, cela représente un effet protecteur extrêmement impressionnant, dont peu d’inventions peuvent se vanter! à mon avis, on ne parle pas assez de ce succès, l’actualité étant plutôt dominée par la déception de ne pas voir apparaître l’immunité collective, immunité qui aurait certes fait chuter encore plus spectaculairement la mortalité. Le vaccin contre le covid, présente donc une caractéristique atypique: il ne stoppe pas l’épidémie, mais le rend presque bénigne. Une victoire en demi-teinte, mais une victoire quand même !^

Attention cependant: il existe malgré tout une forte dimension «altruiste» à la vaccination contre le covid, dans la mesure où elle évite à la société de prendre en charge les coûts élevés des soins, et permet de diminuer facilement les risques de saturation des services hospitaliers, dont les conséquences s’avèrent tragiques pour d’autres malades

Cela implique une conséquence intéressante sur l’éthique vaccinale. Depuis que l’on sait que le vaccin n’arrête pas la transmission, on ne se vaccine plus pour contribuer à un effort mondial d’immunité collective, mais pour s’éviter à soi-même les formes graves. Désormais, se vacciner contre le covid devient un geste plutôt individuel. Cette situation diffère de celle du vaccin contre la rougeole, un acte plutôt «altruiste», destiné à épargner - grâce à l’immunité collective - les personnes ne pouvant se faire vacciner: femmes enceintes, nourrissons et personnes immuno-déprimées. Attention cependant: il existe malgré tout une forte dimension «altruiste» à la vaccination contre le covid, dans la mesure où elle évite à la société de prendre en charge les coûts élevés des soins, et permet de diminuer facilement les risques de saturation des services hospitaliers, dont les conséquences s’avèrent tragiques pour d’autres malades[9]. C’est dans cette mesure, et non pas dans la diminution du risque de transmission, que la vaccination contre le covid garde une dimension collective, et c’est bien sûr à cause de cet aspect collectif que de nombreux gouvernements tentent d’augmenter la couverture vaccinale de leur pays.

Un paradoxe de l’efficacité vaccinale

Revenons donc à cette conclusion curieuse: même si parmi les malades il y a 3 fois plus de vacciné·e·s, cela n’invalide pas l’efficacité du vaccin. Encore plus surprenant: on peut calculer que la proportion de vacciné·e·s parmi les malades ne fera qu’augmenter à mesure que la maladie reculera devant le vaccin! Cette bizarrerie apporte bien sûr de l’eau au moulin des anti-vaccins qui ne prennent pas la peine de réfléchir.

Pour illustrer ce paradoxe, imaginons la situation d’une maladie presque éradiquée par un vaccin presque totalement protecteur (par exemple, qui diminuerait la mortalité de 99,999%), qui a été administré à 100% de la population. Fatalement, les quelques malades qui décèdent font partie des vacciné·e·s. On pourrait alors lire dans les journaux: «Quatre morts de la maladie cette année. On apprend de source sûre que, sur ces quatre personnes, toutes avaient été vaccinées!». Cette phrase choc sonne comme une mise en accusation du vaccin, alors qu’elle prouve au contraire sa réussite éclatante (seulement quatre décès dans tout le pays![10]).

«Mes enfants ne sont pas vaccinés, et ils sont en pleine forme, donc le vaccin ne sert à rien»

Voici également une phrase de bon sens que l’on entend souvent. Mais elle ne tient pas compte de ce que, généralement, la protection par la vaccination présente un aspect collectif: ainsi, une petite minorité non-vaccinée au milieu d’une grande population vaccinée se trouvera efficacement protégée contre la maladie, ce qu’on nomme l’effet de «passager clandestin» en théorie économique. En somme, «Mes enfants non-vaccinés sont en pleine forme, donc le vaccin ne sert à rien» est un argument du même niveau intellectuel que «Sans payer le billet de train, je suis arrivé à destination, donc le financement des trains ne sert à rien».

Quelques «passagers clandestins» ne mettent certes pas en péril le groupe, mais à partir de combien peuvent-ils devenir un facteur de reprise de maladie, avec un risque non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour les personnes immuno-déprimées (qui ne peuvent se faire vacciner pour raisons médicales)? Cette question ne se pose pas pour le covid, à cause de l’échec du vaccin à stopper les transmission. Mais en ce qui concerne la rougeole par exemple, les risque de redémarrage de la maladie reviennent si la couverture vaccinale passe sous les 95%[11]. C’est justement ce qui s’est passé en 2019 dans certains pays (Samoa, États-Unis, France) insuffisamment vaccinés, où des foyers de rougeole ont flambé. Ainsi, l’État de Samoa, après des dizaines de décès dus à la rougeole, a goûté avant le reste du monde aux déplaisirs d’un confinement (un mot dont personne n’avait encore entendu parler!), décidé en urgence en décembre 2019[12]. Il ne faut pas négliger ces faits éclipsés par l’actualité covidologique, car un retour massif de la rougeole (maladie parfois mortelle) pourrait devenir un problème de santé publique majeur à l’échelle mondiale. On peut en dire autant d’autres «vieilles» maladies infectieuses, dont la résurgence toujours possible représente une menace bien réelle: polio, diphtérie, coqueluche, etc.[13]

«Le vaccin contre la rougeole engendre l’autisme, cela a été démontré»

Un mot pour finir sur un mythe qui a la vie dure: «le vaccin contre la rougeole engendre l’autisme». Pas de sophisme mathématique ici, mais une triste affaire d’escroquerie. Le Dr Wakefield, un médecin anglais, publie en 1998 une étude montrant un lien de causalité entre le vaccin ROR[14] et l’autisme, lien rendu plausible par l’intermédiaire d’une maladie qu’il nomme «entérocolite autistique». La communauté scientifique met en doute ses résultats; le journal qui a accepté son article identifie des falsifications dans cette étude; et le British General Medical Council condamne finalement Wakefield pour fraudes et mauvais traitements sur enfants autistes. Le pot-aux-roses sera finalement découvert en 2011: M. Wakefield montait une start up dédiée au dépistage de son «entérocolite», maladie inventée de toutes pièces pour alimenter son business[15]. Bref, dans l’équation «ROR=autisme», on reconnaît la vieille histoire du charlatan qui crée une maladie pour en profiter financièrement. Malheureusement, ce mythe reste encore bien présent: malgré de multiples démentis (études de grande ampleur niant totalement le lien entre ROR et autisme), le mal est fait, pour longtemps sans doute.

Il faut noter au passage un fait intéressant: dans cette affaire, un intérêt industriel (celui de l’entreprise de M. Wakefield) se situe du côté «anti-vaccin»! Comme quoi, «Les anti-vaccins sont des David désargentés face au Goliath financier de l’industrie vaccinale» dénote une vision un peu simpliste de la situation. M Wakefield fait d’ailleurs partie des proches de D. Trump, autre fameux anti-vaccin qu’on ne peut raisonnablement pas classer parmi les «David désargentés»!

Rappelons d’ailleurs, au sujet des «Big Pharma», que prévenir rapporte moins d’argent que guérir. Une stricte logique marchande voudrait donc que les firmes pharmaceutiques délaissent totalement les vaccins pour produire des médicaments!

Exigence plutôt qu’obligation

Que de controverses! Et il en reste bien d’autres, scientifiques, sociales, juridiques. Citons de nouveau les mots du Dr Sansonetti: dans cette cacophonie informationnelle, «il semble urgent de concevoir une information claire, intelligente, éducative, régulièrement mise à jour, compréhensibles par tous[16]», afin que l’«exigence vaccinale» («un terme qui ôterait la connotation maintenant négative d’obligation»[17]) soit reconnue par le plus grand nombre.

François Chamaraux, docteur en physique, enseignant en sciences


[1] Ce type d’argument est cité par exemple sur www.rtbf.be/article/les-vaccines-meurentplus-que-les-non-vaccines-du-variant-indienpourquoi-il-s-agit-d-un-raisonnementtronque-10812359 [2] 2. https://covid-19.sciensano.be/sites/default/files/ Covid19/COVID-19_Weekly_report_FR.pdf [3] Les 1500 autres, compté·e·s à part, ayant reçu une «troisième dose» [4] Bien sûr, une étude sérieuse doit définir ce qu’on entend par «souvent» et par «sous alcool», mais on ne rentre pas ici dans ces détails. [5] . Les nombres ici ne sont pas exacts, mais ont été choisis (de façon assez réaliste) pour simplifier les calculs. [6] Tout ceci est clairement montré sur https:// covid-19.sciensano.be/sites/default/files/ Covid19/COVID-19_Weekly_report_FR.pdf [7] Les personnes avec «troisième dose» sont cependant environ deux fois mieux protégées. [8] https://covid-19.sciensano.be/sites/default/ files/Covid19/COVID-19_THEMATIC_REPORT_ VaccineCoverageAndImpactReport_FR.pdf [9] Citons par exemple: dépistages de cancer manqués, opérations reportées, matériel et personnel manquant pour la médecine d’urgence, etc. [10] Cet objectif reste sans doute irréaliste pour le covid, mais certaines maladies furent éradiquées, ou presque éradiquées par la vaccination. [11] . Il s’agit d’une moyenne théorique. Le vrai nombre, sans doute un peu différent, dépend de multiples paramètres sociaux. [12] www.lefigaro.fr/sciences/les-samoa-confines-acause-de-la-rougeole-20191205 [13] www.futura-sciences.com/sante/actualites/ maladie-huit-maladies-quon-croyait-disparuesreviennent-72562/ [14] . Rougeole Oreillons Rubéole [15] P Sansonetti, Vaccins, ed Odile Jacob, Paris, 2017, p.31. [16] P Sansonetti, Vaccins, ed Odile Jacob, Paris, 2017, p.31 [17] P Sansonetti, op. cit.   Illustration: Photo de Mufid Majnun sur https://unsplash.com/

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