Cet article fait partie du dossier d’Eduquer 128:Le Pacte d’excellence, une réponse adaptée? N’hésitez pas à consulter le dossier complet
Eduquer 128: Le Pacte d'excellence: une réponse adaptée? Illustration: Célia Callois
Plus de 7000 personnes ont participé aux travaux autour du Pacte pour un enseignement d’excellence. Sur ces 7000 personnes, pas une ne représentait les nombreuses associations féministes actives en Fédération Wallonie-Bruxelles!
L’égalité des filles et des garçons serait-elle désormais assurée dans l‘enseignement?Les derniers résultats Pisa permettent d’en douter! Leur petite avance en sciences perdde la vitesse et on constate une plus grande proportion de filles parmi les élèves les plus faibles. Même en lecture, les performances des filles baissent!
Les discriminations salariales, la sous-représentationdes femmes dans les secteurs clefs et aux postes de décision,les violences qu’elles subissent toujours dans notre société ne pourraient-elles être prévenues et combattues dès l’école?
L’école ne devrait-elle pas être une source d’émancipation les filles et des garçons comme elle se veut l’être par rapport aux inégalités sociales?
A en croire l’avis 3 du GroupeCentral du Pacte, rien n’indique que le Pacte d’excellence serait porteur d’émancipation pour les filles. La seule attention portée à la dimension du genre dans la réflexion récente sur la réforme de l’enseignement obligatoire vise le décrochage scolaire et les problèmes d’exclusions des… garçons!
Pourtant un cadre existe
Le Décret du 6 janvier 2016 relatif à l’intégration de la dimension de genre dans l’ensemble des politiques de la Communauté française enjoint chaque ministre à établir, pour tout projet d’acte législatif ou réglementaire, un rapport d’évaluation de l’impact du projet sur la situation respective des femmes et des hommes, dit «test genre». 1
De même, suite aux nouvelles recherches et aux principales conclusions du rapport mondial de suivi de l’éducation 2016 et du résumé sur l’égalité des genres, une initiative, appelée Wikigender, a été lancée en ce même mois de janvier par l’UNESCO, le Conseil de l’Europe et d’autres partenaires, avec pour objectif de questionner les environnements d’apprentissage et leur rôle dans le façonnement de l’éducation et de l’avenir des garçons et des filles. 2
Ainsi, pour prendre en compte valablement la question du genre dans l’enseignement, nous disposons donc d’un décret et d’une expertise internationale sur l’impact, du point du vue du genre, des environnements d’apprentissage que sont «la culture institutionnelle, les normes et les pratiques; les comportements des enseignants et enseignantes, les attentes et interactions entre les étudiants filles et garçons; les normes des groupes de pairs; le programme d’enseignement; ainsi que la pédagogie et les matériels didactiques, dont les manuels scolaires.» 3
Or, si les travaux du Pacte témoignent - et c’est important - d’un souci de bonne gestion de l’école et de ses acteurs et actrices, d’une vigilance aux performances des élèves et à leur indice socio-économique, ils n’ont prêté jusqu’ici aucune attention soutenue à la dimension genrée de la qualité des apprentissages, ni à leur conformité à l’objectif général d’équité pourtant affirmé dans tous les textes relatifs au Pacte.
Quelles solutions pour l’égalité?
Le Pacte pour un enseignement d’excellence doit encore être mis en œuvre. Il n’est donc pas trop tard pour y inclure le genre de manière structurelle et transversale. Voici deux recommandations générales et quelques propositions concrètes pour aller dans ce sens.
Tout d’abord, l’égalité sexuée comprisecomme égalité d’accès, de traitement et de résultats des garçons et des filles, des hommes et des femmes, doit être formulée de manière explicite parmi les objectifs généraux de l’enseignement. Il est significatif que si la diversité culturelle est souvent mentionnée, il n’en va pas de même pour le genre.
Ensuite, si nous voulons une école inclusive qui combatte tous les motifs de discrimination, une approche intersectionnelle s’impose afin de tenir compte des articulations entre ces différentes discriminations.Ceci implique de développer une expertise en genre et en sciences de l’éducation. Or, contrairement à nos pays voisins,nous n’avons pas, en Fédération Walonie Bruxelles, d’études qui croisent les inégalités de genre, de classe et de race dans le domaine de l’enseignement.
Plus concrètement, comme le DécretDispositions diverses de 2016 le prévoit, un plan de pilotage va être élaboré dans tousles établissements scolaires dès cette année 2017. Ce plan doit obligatoirement comprendre treize dispositions qui pourraient, à chaque fois, comporter un volet genre. Ainsile plan de pilotage prévoit de préciser (point a) «la stratégie déployée pour arriver à la réussite de chaque élève». Intégrer le genre signifie qu’une telle stratégie doit étudier la question de l’échec comme de la réussite dans sa dimension genrée. Il s’agit par exemple de comprendre quels mécanismes contribuent au rejet du scolaire par les garçons et à une tolérance de comportements indisciplinés néfastes pour le parcours scolaire. Intégrer le genre signifie aussi prendre le concept de réussite dans un sens plus large. Réussir car on ne redouble pas mais en étant relégué-e dans une option moins valorisée, est-ce vraiment une réussite? Une véritable stratégie comprenant une réflexion sur les matériaux scolaires, les pédagogies employées, le curriculum caché, etc. devrait donc être indiquée dans le plan de pilotage afin de rendre les élèves en général, et les filles en particulier, capables et désireux de choisir en plus grand nombre des options où ils et elles sont minoritaires, c’est-à-dire mathématiques et scientifiques.
De même une stratégie devrait être actée dans le Plan de pilotage par rapport aux outils numériques dans les apprentissages (point e) dont on connaît l’usage inégal en fonction du sexe et du milieu social, ainsi que par rapport à l’apprentissage et à l’accès aux sports (point i) dont on pourrait espérer que l’école combatte la polarisation sexuée.
Dernier point (point c), il est indispensable que la stratégie de l’établissement en matière de formation continuée inclue la sensibilisation et l’expertise en diversité culturelle et genre. Seul-e-s les enseignant-e-s du fondamental formé-e-s depuis 2005 ont eu un cours dans ces matières. La majorité étant donc dépourvue de connaissances qui leur permettraient de combattre bon nombre de stéréotypes et de préjugés sexistes et racistes.
Enfin, la question des contenus des savoirs n’a pas encore été abordée. L’avis n°3 a défini sept domaines d’apprentissages qui composent le tronc commun, explicitant les compétences visées. À ce stade, rien n’est prévu
pour rendre ces domaines d’apprentissage adaptés aux populations scolaires reconnues comme hétérogènes. À l’exception du domaine des sciences humaines et sociales, de la philosophie et de la citoyenneté, où il est prévu entre autres de sensibiliser les élèves «aux rapports de domination hommes-femmes», aucun des autres domaines n’est interrogé en fonction du genre. Or les études récentes sur les manuels scolaires révèlent la persistance de graves stéréotypes. Elles font apparaître que la culture majoritairement masculine et eurocentrée reste transmise sans point de vue critique, ce qui constitue une condition défavorable d’apprentissage pour les filles et les élèves d’origine étrangère. Leur invisibilité dans la culture transmise ou leur dévalorisation par cette même culture ne les aide pas à développer la confiance en soi indispensable pour se projeter dans l’avenir de manière constructive.
À ce stade, il est encore possible de pallier ces manques. Si les «Rencontres du Pacte sont une opportunité unique pour débattre ensemble du Pacte», nous voulons croire que les partenaires impliqué-e-s dans cette réforme comprendront l’enjeu de l’intégration de la dimension de genre par rapport aux objectifs d’efficacité, d’efficience et d’équité dans le système éducatif.
1. Voir l’art. 4, alinéa 2, 1° du décret. Cette formalité est obligatoire depuis le 1janvier 2017.
2. Voir le site www.wikigender.org/fr/discussionen-ligne-comment-lutter-contre-lesstereotypes-de-genre-dans-les-classes
3. www.gallilex.cfwb.be/document/pdf/42156_000.pdf (consulté le 6 février 2017).
Nadine Plateau
Nadine Plateau est la Présidente de la Commission enseignement du Conseil des femmes francophones de Belgique (CFFB), dans laquelle siège la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente, avec la Direction de l’Égalité des Chances du Ministère de la Communauté française, Vie Féminine, la FAPEO, Magenta, l’Université des Femmes, les Femmes Prévoyantes Socialistes, le CBAI, Changements pour l’Égalité, les CEMEA.