Les CPAS au secours des étudiant.e.s
Jeudi 1 février 2018
Depuis 2002, le nombre d’étudiant.e.s bénéficiaires du CPAS a été multiplié par 7. Au CPAS de Saint-Gilles, on soutient les jeunes dans leurs études et cela porte ses fruits. Rencontre avec Jean Spinette (PS), président du CPAS Saint-Gilles
Eduquer 135: Paupérisation des étudiant.e.s, urgence d'agir!
depuis 2007.
Éduquer: Comment expliquer cet afflux d’étudiant.e.s auprès des CPAS? Jean Spinette: Dans le contexte de sous-emploi actuel, les 18-24 ans sont de plus en plus demandeurs de poursuivre des études afin de répondre aux attentes du marché de l’emploi qui est de plus en plus exigeant en termes de qualification. C’est une des causes principales. Quand nos équipes se livrent au contrôle des démissions alimentaires à l’égard des ascendants, donc des parents de ces jeunes, pour qu’ils assument leur devoir alimentaire, bien souvent, l’enquête sociale révèle que les parents sont eux-mêmes dans des revenus de remplacement ou dans des situations précaires. En cela, je pense qu’il y a un aussi un appauvrissement réel des familles. Et donc, ces enfants n’ont guère le choix que de demander l’aide sociale. Derrière cela, il y a le coût des études qui n’a pas franchement diminué, mais aussi le coût d’un appartement. Les conditions de vie s’en trouvent davantage touchées et certainement plus encore, pour les familles plus précarisées. Les étudiants vivent dans des logements exigus, mal entretenus voire carrément insalubres. La dégradation généralisée du boulot et donc, des jobs étudiants, les poussent aussi à venir nous voir. Plein de choses font que c’est compliqué et que les jeunes finissent de plus en plus par recourir à nos aides.Socialement et politiquement, passer par le dispositif de lutte contre la pauvreté pour pouvoir financer des études, ça fait froid dans le dos.Éduquer: Comment se passe, dès lors, la prise en charge d’un.e étudiant.e par le service Insertion du CPAS? J. S.: Du côté des jeunes, on constate qu’ils sont de plus en plus nombreux à se présenter tardivement, aux alentours de 24 ans. Ils ont doublé dans le secondaire et sont issus de milieux socio économiquement plus difficiles. Ils veulent y arriver mais éprouvent davantage de difficultés que leurs copains. Ils savent que cela ne vaut pas la peine d’essayer d’introduire une demande au chômage car ils n’y auront pas droit. Dans les statistiques du CPAS de Saint-Gilles, on constate avec joie que de plus en plus de personnes terminent leurs études grâce à notre intervention. Je suis président depuis une dizaine d’années et je suis assez fier de voir que dans les quartiers, avec une de mailles les plus pauvres de Belgique, des parcours d’études universitaires ou d’écoles supérieures sont en augmentation. La tendance est clairement à la croissance et surtout pour les filles qui reprennent des études «sur le tard». Même si c’est sous la contrainte du CPAS, elles y accèdent et réussissent. Elles sont de plus en plus nombreuses à étudier et c’est plutôt très positif même si elles subissent encore un retard important en termes de formation et d’employabilité sur le marché de l’emploi. Éduquer: Concrètement, que proposent les CPAS en termes d’accompagnement? J. S.: Le CPAS intervient dans les frais d’inscription mais également pour d’autres demandes de frais comme les frais scolaires et les transports. On avance notamment les frais en attendant la bourse qui arrive souvent très tard. A mes yeux, le système des bourses, dans la communautarisation des compétences, et le côté impécunieux des institutions qui les délivrent, font que les étudiants continueront de passer la porte chez nous tant que ces bourses ne seront pas plus accessibles. Éduquer: Les CPAS sont des organismes de lutte contre la grande précarité. Est-ce une mission des CPAS que de venir en aide aux étudiant.e.s? J. S.: Socialement et politiquement, passer par le dispositif de lutte contre la pauvreté pour pouvoir financer des études, ça fait froid dans le dos. C’est quand même paradoxal d’envoyer des gens qui entendent poursuivre des études, vers l’aide aux pauvres. Autant je suis persuadé de l’utilité du travail de mes équipes, autant je regrette le manque de vision politique de l’Etat fédéral qui est à côté de la plaque. Derrière ce glissement et ce transfert de charge vers les pouvoirs locaux, se cachent insidieusement des considérations politiques que je trouve pauvres. Le climat de suspicion actuel et de contrôle des fraudeurs tourne à l’obsession. On le voit même jusque dans le décret sur les bourses où des espèces de critères de lutte contre la fraude ont été sortis de derrière les fagots. On choisit de suspecter tout le monde alors que tous ceux qui y prétendent ont besoin de ces aides. Alors, doit-on rentrer dans des systèmes, comme dans certains pays voisins, où il y a des allocations d’études plus importantes? Doit-on envisager des allocations «logement»? En tous cas, je pense qu’il y a une vraie réflexion de société à avoir sur le statut de nos jeunes et des étudiants et sur le rôle des CPAS. Maud Baccichet, secteur communication Crédit illustration article: Jean Spinette, président du CPAS de Saint-Gilles
Quelques recommandations:
- la Fédération des Étudiant.e.s Francophones prône «une harmonisation vers le bas et une réduction générale de l’ensemble des minervaux, sans aucune discrimination entre Universités, Hautes écoles, école supérieure des Arts, pour tendre vers la gratuité», que le gel du minerval, inscrit dans le décret du 19 juillet 2010, soit maintenu et que tous les frais d’inscription supplémentaires ou complémentaires au minerval soient abrogés;
- l’Union des Villes et Communes de Wallonie et la Fédération des CPAS Bruxellois coprésidées par messieurs Michel Colson et Jean Spinette, demandent qu’une réflexion approfondie sur la législation actuelle en matière d’allocations d’étude soit entreprise «afin de développer une vision à long terme dans l’aide apportée par la Communauté française aux étudiants»;
- en termes d’accessibilité aux bourses, la FEF et la Ligue des familles proposent conjointement de mener une réflexion sur l’automatisation de l’octroi des bourses, et de mettre en place un portail global d’information clair et efficace pour les étudiant.e.s et les familles. La Ligue des familles précise qu’il faut renforcer les services d’allocations d’études afin d’améliorer le délai de traitement des demandes et de permettre, à terme, le versement de l’allocation dès la rentrée;
- la FEF, encore, propose que soient construites des agences immobilières sociales étudiantes pour entretenir et garantir les loyers, afin de développer un parc de logements publics abordables et de qualité pour accueillir beaucoup plus de jeunes; concernant les transports, elle demande un réinvestissement dans les services publics, un pass étudiant qui tend vers la gratuité pour l’ensemble des transports publics, un accès pass étudiant conditionné uniquement par le statut de l’étudiant.e et un gel des tarifs des transports en commun et la suppression de cet âge limite d’accès à un tarif réduit fixé à 25 ans;
- toutes ces organisations exigent un refinancement de l’Enseignement supérieur qui permettrait d’augmenter les budgets des Hautes écoles et des universités afin d’améliorer l’aide que peuvent apportés les services sociaux des établissements tant financièrement qu’au niveau des aide à la réussite.