Eduquer n°130: Mieux manger à l'école
La saga des sodas à l’école est presque aussi longue que celle de «Game of thrones», avec moins de rebondissements tout de même. Les premiers épisodes remontent à 2004. Les derniers ne sont pas encore tournés. Les distributeurs font de la résistance.
Supprimer les distributeurs de sodas à l’école? Marie Arena (PS) a été la première à se jeter dans la bataille. La ministre de l’Éducation de l’époque s’était juré de bannir les sucreries (boissons et friandises) des établissements scolaires. Mais déjà en 2004, la pression des chefs d’établissements et des limonadiers avait été la plus forte. Rebelote en 2012. Cette fois, c’est Marie-Dominique Simonet qui monte au créneau. Dans son collimateur, il y a non seulement les distributeurs de sodas mais aussi la «malbouffe» dans les cantines scolaires avec ses repas trop gras, trop salés, trop sucrés. La ministre CDH s’était fixé 2015 pour aboutir. En 2014, sa remplaçante Marie-Martine Schyns a relancé le combat contre les distributeurs. Avant de faire volte-face et de déclarer ne pas être favorable à une interdiction des distributeurs à l’école. Début 2016, une autre ministre (Joëlle Milquet), a annoncé la disparition de ces automates. Ils sont toujours là.
Le revirement de Marie-Martine Schyns avait provoqué à l’époque un tollé chez les associations qui luttent contre l’obésité chez les enfants. La ministre avait argumenté en disant que les élèves iraient de toute façon s’approvisionner à l’extérieur des établissements scolaires et qu’on ne luttait pas contre l’obésité par la seule élimination de ces machines. Exact mais ce n’est pas la seule raison qui a guidé la décision ministérielle. Les distributeurs représentent une rentrée financière «non négligeable» selon les directeurs d’écoles. Elle sert à financer des voyages scolaires, les frais d’équipement, de repas.
Plus de 40.000 canettes de Coca par an
à quel point s’agit-il d’une rentrée «non négligeable»? Personne n’est en mesure de donner des chiffres précis pour les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Ni au cabinet de la ministre ni dans les associations de parents mais en 2014, certains estimaient qu’une école secondaire de mille élèves empoche environ 7000 euros par an. On ne peut que constater d’ailleurs le silence assourdissant des associations de parents (Fapeo, Ufapec) et des pouvoirs organisateurs à ce sujet, contrairement aux mutuelles qui, elles, ont pris parti pour l’interdiction. Il y aurait aujourd’hui plus de 25.000 distributeurs de sodas installés dans les écoles (14% de l’ensemble des distributeurs présents dans le pays) avec, selon les contrats, entre 10 et 20% des recettes qui sont rétrocédées aux écoles. Coca-Cola Belgique écoule plus de 40.000 canettes par an dans les automates. Un marché juteux, pour les limonadiers comme pour les écoles même si dans certains établissements, on a fait le choix de retirer les distributeurs pour installer, par exemple, des fontaines d’eau. Dans d’autres écoles, comme l’Institut Diderot à Bruxelles, on a remplacé les boissons sucrées par de l’eau, des jus de fruits, des yaourts. Mais ces initiatives restent marginales.
La Flandre bouge
En France, cela fait plus de dix ans, depuis septembre 2005, qu’on a franchi le cap et que les distributeurs ont été supprimé pour lutter contre l’obésité infantile. En 2015, ce pays a été plus loin encore en interdisant les «fontaines à soda» dans les fast food. En Flandre aussi, les choses ont commencé à bouger. Les distributeurs ont été retirés des écoles primaires mais 65% des écoles secondaires en possèdent encore. Fin novembre 2016, le gouvernement flamand et l’industrie alimentaire ont signé un pacte visant à remplacer progressivement les snacks et les boissons sucrées par des aliments plus sains. La ministre de l’Éducation Hilde Crevits (CD&V) a expliqué que «neuf enfants flamands sur dix ne buvaient pas assez d’eau et que la Belgique était 5
e (sur 45) dans la liste des pays où la consommation de boissons sucrées est la plus importante». Rien de très révolutionnaire cependant dans la démarche flamande. L’échéance est assez lointaine (2020) et surtout la mesure n’est pas contraignante pour toutes les écoles.
Il n’empêche: l’initiative de Hilde Crevits a suscité des interpellations au Parlement de la Communauté française. Le député Ecolo, Christos Doulkeridis, qui a fait de la lutte contre la malbouffe à l’école son cheval de bataille, a demandé à Marie-Martine Schyns quelles étaient ses intentions dans ce domaine. Pas question, répond-elle, d’intervenir par un décret.
«Si on arrive à faire évoluer ces pratiques alimentaires, cela doit se faire par les conseils de participation et les règlements d’ordre intérieur dans les écoles pour faire en sorte qu’il n’y ait plus de distributeurs si cela correspond à une volonté commune de tous les acteurs». Et pour la manne financière que représentent les distributeurs? La ministre admet qu’on ne pourra pas prendre cet enjeu financier
«comme excuse éternelle». Et d’annoncer qu’elle va contacter son homologue flamand pour voir
«comment elle avait négocié cet accord».
La démarche du gouvernement flamand semble avoir fait bouger les lignes dans les autres Communautés. La ministre Marie-Martine Schyns a fait savoir, en février, qu’elle allait entamer des négociations avec le secteur de l’industrie alimentaire et que les trois ministres chargés de l’enseignement (avec le germanophone) avaient d’ailleurs décidé de travailler ensemble sur cette problématique. Avec l’idée non pas de supprimer les distributeurs mais d’adapter leur contenu.
Pour Christine Deliens, coordinatrice de l’asbl Cordes (Coordination Éducation Santé), la question des distributeurs de sodas n’est qu’un aspect d’un problème plus général, celui de la lutte contre la malbouffe à l’école et de la promotion d’une nourriture plus saine.
«Il y a aujourd’hui un courant plus favorable à l’alimentation saine et durable. Les choses bougent», nous explique-t-elle. Le cabinet de la ministre Schyns va lancer une campagne sur la question alimentaire dans les écoles. Christine Deliens salue cet engagement tout en tempérant son impact:
«La Communauté française n’a de pouvoir que sur les écoles de son réseau, pas sur le ‘libre’ ni sur l’enseignement communal». Et que ce soit pour les repas à l’école comme pour les distributeurs de sodas et de snacks, le rôle des pouvoirs organisateurs (PO) reste
«énorme».
«Derrière l’offre alimentaire, il y a des enjeux financiers. Certaines écoles sont liées par des contrats avec des sociétés de restauration et les limonadiers. Par ailleurs, chez certains PO, la lutte pour une alimentation saine n’est pas une priorité». Les revenus des distributeurs de sodas?
«Les distributeurs sont indéniablement une source de revenus importante pour les écoles, ce qui explique l’immobilisme actuel mais ce ne sont pas non plus ces bénéfices qui pallient le manque de ressources structurel dans les écoles. Il faudrait un regard neuf sur ce problème des ressources financières. A Cordes, nous plaidons pour un changement qui se fasse en concertation avec les parents, les enseignants, les directeurs, les élèves. C’est une opportunité pour une autre éducation et qui a plus de chance d’aboutir que si l’ordre vient du haut». Mais Christine Deliens, comme d’autres nutritionnistes préoccupés par la progression de l’obésité, estime malgré tout qu’il faut un signal politique. Comme celui d’interdire les distributeurs dans les écoles primaires.
«Indispensable», dit-elle. On peut, par contre, laisser le choix aux élèves dans le secondaire mais en promouvant des alternatives à ces boissons trop sucrées.
La coordinatrice de Cordes rappelle enfin que l’article 41 de la loi du Pacte Scolaire interdit toute publicité à l’école ou vente à but commercial dans les écoles. Sur le terrain des sodas et des snacks, on peut pourtant difficilement nier que l’école est confrontée à une logique marchande.
Martine Vandemeulebroucke, secteur Communication
Cet article fait partie du dossier 130 de notre revue Eduquer: Mieux manger à l'école. N'hésitez pas à le consulter