Le secteur interculturel de la Ligue: Une équipe, une mission, de la proximité et des incertitudes!

Mercredi 16 novembre 2022

Julie Legait, Ligue de l'Enseignement

Visant à renforcer le vivre-ensemble et le faire-ensemble, en tissant du lien social et en favorisant le dialogue interculturel[1], la cohésion sociale joue un rôle fondamental au sein des sociétés. Le secteur reste pourtant fragilisé par un manque de moyens humains et financiers et un nouveau décret qui génère un sentiment d’insécurité croissant.

Le Secteur Interculturel de la Ligue, c’est une équipe de 7 personnes qui poursuit la mission d’améliorer la cohésion sociale et le «vivre ensemble» dans les quartiers multiculturels en favorisant la communication entre les habitant·es, et tout particulièrement entre les écoles, ses divers·es acteurs et actrices (enseignant·es, partenaires…) et les familles.

Notre asbl est reconnue par le décret relatif à la Cohésion sociale depuis 2004. Aujourd’hui les actions se développent dans 6 communes bruxelloises au travers de 8 projets, essentiellement dans la priorité[2]: «l’apprentissage et l’appropriation de la langue française en tant que citoyen actif».

Une action dans les écoles, une école dans le quartier

Historiquement, les cours de français langue étrangère et d’alphabétisation de la Ligue sont implantés dans les écoles primaires publiques, et ces dernières années, de plus en plus en partenariat avec des associations de quartier.

En effet, disposer d’un local adapté à un cours pour adultes est devenu complexe en raison du manque de place dans les institutions scolaires. Nous avons dès lors trouvé des solutions alternatives. Dans ce cas, le travail continue à se faire en partenariat avec les écoles et les parents mais en dehors de ces lieux.

Pourtant, y travailler est pour nous fondamental au regard des missions2 de la Ligue et des missions du décret Cohésion sociale[3].

Au sein de l’école, la mixité s’expérimente, en principe, à tous les niveaux: mixité sociale, culturelle, intergénérationnelle et de genre! Le peu de mixité socio-économique est un des points faibles qui est commun à beaucoup de quartiers. L’école est souvent le miroir de la démographie mouvante d’un quartier tout comme le témoin des flux migratoires.

Par ailleurs, l’école est un point d’ancrage, un acteur de quartier dans laquelle se fréquentent les habitant·es de celui-ci et parfois d’ailleurs, avec comme objectif premier le bien-être des enfants. Le bien-être passant par un cadre pédagogique serein permettant à ces enfants d’apprendre, de s’apprendre, de se construire comme citoyen critique.

Cette dynamique de construction est la même dans nos cours de français pour les adultes. Permettre aux parents de comprendre les codes de l’institution scolaire, d’aider leurs enfants dans les apprentissages et de mieux communiquer avec les équipes pédagogiques. De s’ancrer positivement dans leur cadre de vie!

Œuvrer dans cette dynamique, en tant qu’association d’Éducation permanente, prend donc tout son sens.

L’école comme cadre de confiance

Nous travaillons avec un public fragilisé, pour ne pas dire, de plus en plus fragilisé. Ne pas connaître la langue d’usage du pays d’accueil rend complexe toute une série de démarches qui peuvent nous sembler anodines.

Les parents qui poussent la porte des cours de français le font car ils sont déjà, dans l’institution scolaire, dans un cadre de confiance. Pousser la porte d’une association de quartier demande parfois plus de prérequis et d’assurance. Connaître les bases de français, connaître certaines personnes du quartier, certains codes culturels.

A l’école, ces pas se franchissent plus facilement!

Les défis de plus en plus grands

Les missions du secteur interculturel ne s’arrêtent pas au seul axe de l’apprentissage du français. Nous travaillons en effet avec des personnes vivant dans une grande précarité sociale et économique, souffrant d’isolement, de solitude et où certaines difficultés se cumulent: la fracture numérique, les violences familiales, la perte de revenus pendant la crise sanitaire, le fait de ne pas avoir de papiers, etc.

Les crises sanitaire, énergétique ainsi que la guerre en Ukraine ont eu pour conséquences de fragiliser davantage ces personnes.

Face à cela, nous la Ligue, mais également l’ensemble des associations, avons besoin d’être soutenus par les pouvoirs publics! Soutenus grâce à un cadre financier clair permettant la reconnaissance des activités, de notre travail et donc d’une grille salariale décente pour les travailleurs et travailleuses.

Nous avons besoin de ne plus avoir l’impression de travailler avec des bouts de ficelle!

Or, nous sommes toujours dans l’incertitude face au nouveau décret voté en 2018 qui n’est pas appliqué dans toutes ses dimensions, notamment celle qui nous semble fondamentale pour la survie des associations: les agréments.

Du quinquennat à «l’octonnat»?

La cohésion sociale fonctionne sur un calendrier quinquennal. Les associations reçoivent une subvention annuelle pendant 5 ans. Chaque fin de quinquennat, un nouvel appel à projets est lancé. Pour les associations, c’est toujours un moment compliqué. D’une part, cela engendre une charge de travail énorme pour justifier un cadre d’activités qui existe déjà et qui se pérennise et d’autre part, ce moment est source d’insécurité et d’instabilité: nos activités correspondent-elles toujours aux enjeux de l’appel à projets? Vat-on perdre des moyens, des travailleurs ou travailleuses, va-t-on devoir développer des activités avec un public plus large pour une subvention égale ou inférieure?

Le décret voté en 2018 a pour ambition d’agréer les associations et par conséquent de rassurer le secteur associatif sur ces questions en sortant de cette instabilité quinquennale.

Malheureusement, le décret qui devait entrer en vigueur le 1er janvier 2021 n’est toujours pas réellement appliqué. Et nous arrivons au bout des prolongations possibles et ce, en raison de l’impossibilité de doter la Cohésion sociale du cadre financier prévu par le décret, à savoir un cadre stable permettant de consolider la cohésion sociale au même titre que d’autres secteurs associatifs.

Pour la Ligue, le cadre financier passe par une réflexion autour de la mise en place d’un cadre emploi. Le décret de 2018 fait en effet une place belle au volontariat par la formation, l’encadrement et le renforcement de celui-ci.

S’il est vrai qu’historiquement, le secteur de la Cohésion sociale fonctionne énormément avec des volontaires; si le volontariat peut être riche personnellement, positif au regard d’une dynamique sociétale plus solidaire et engagée, nous nous interrogeons néanmoins sur les conséquences d’une reconnaissance décrétale de ce type «d’emploi» et du fait que tout un secteur associatif soit porté en grande partie par des travailleuses et des travailleurs précaires.

Le calendrier d’application du décret a fixé au 1er janvier 2024 l’agrément des associations. Pour ce faire, la procédure d’agréation devrait commencer en 2022 afin de permettre à l’administration d’étudier les dossiers de demande de reconnaissance en 2023. Malheureusement, le cadre budgétaire de l’application du décret manque toujours à l’appel. D’où un grand sentiment d’insécurité, alors que le secteur est en attente de stabilité.

[1] https://ccf.brussels/nos-services/diversite-et-citoyennete/

[2] La Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente a pour objet la défense et la promotion de l’enseignement public et de l’éducation laïque. Elle a également pour vocation le développement des œuvres laïques d’éducation permanente dans tous les domaines créées en vue d’apporter aux jeunes et aux adultes le complément de formation, d’information et de culture nécessaire à leur participation à l’élaboration de la société contemporaine.

[3] «Par cohésion sociale, on entend l’ensemble des processus sociaux qui contribuent à assurer à tous les individus ou groupes d’individus, sans discrimination, l’égalité des chances et des conditions, le bien-être économique, social et culturel, afin de permettre à chacun de participer activement et dignement à la société, d’y être reconnu et de s’y reconnaître. Ces processus visent en particulier la lutte contre toute forme d’exclusion sociale et de discrimination par le développement de politiques d’inclusion sociale, d’émancipation, d’interculturalité, de diversité socioculturelle, de reliances, de vivre et faire ensemble. Ils sont mis en œuvre, notamment, par le développement croisé d’une politique publique de cohésion sociale en lien avec les communes et l’action sociale et d’une action associative de quartier, locale ou régionale. Ces processus ont pour finalité de mener à une société intégrant la mixité sociale, culturelle, générationnelle et de genre.» - Article 3 du décret relatif à la Cohésion sociale signé le 30 novembre 2018. Pour plus d’information: LOI - WET (fgov.be)    

 

nov 2022

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