Le Pacte pour un enseignement d’excellence est-il un véritable pacte scolaire ?
Mardi 7 février 2017
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Cet article fait partie du dossier d’Eduquer 128:Le Pacte d’excellence, une réponse adaptée? N’hésitez pas à consulter le dossier complet
Eduquer 128: Le Pacte d'excellence: une réponse adaptée? Illustration: Célia Callois
Près de 60 ans après la signature du Pacte scolaire, voici le Gouvernement de la Communauté française qui peine à conclure un nouveau pacte, visant un enseignement d’excellence.
Chaque jour qui passe apporte, en effet, son lot de critiques et de refus. Le projet n’a-t-il pas déjà réussi à coaliser contre lui toutes les organisations qui représentent les travailleurs qui auraient à le mettre en œuvre ? Loin de pacifier le débat, l’initiative du gouvernement complique une situation déjà complexe. La raison ? Une méthode inadaptée et des problèmes mal posés.Retour sur l’histoire
Le Pacte pour un enseignement d’excellence ne tient pas la comparaison avec le Pacte scolaire, ni pour la méthode, ni pour les enjeux. En 1958, le Pacte scolaire fut élaboré par une Commission nationale dans laquelle siégeaient deux représentants de chaque parti traditionnel, catholique, libéral et socialiste, accompagnés chacun par quelques experts. L’entreprise faisait suite à une violente guerre scolaire conduite contre la politique du gouvernement par le monde catholique qui la jugeait néfaste pour l’enseignement confessionnel. Les travaux de cette Commission aboutirent à la signature d’une convention, d’un pacte, au sens vrai du terme. Les Présidents de parti qui le signèrent en acceptaient les termes. Ils s’engageaient à l’exécuter loyalement en respectant les principes qu’il énonçait : la gratuité scolaire, le libre-choix, la liberté d’enseignement, le développement par l’Etat de l’enseignement officiel là où les besoins s’en faisaient sentir, la reconnaissance de l’accès de l’enseignement libre aux subventions. Cet accord circonstanciel était orienté par une vision à long terme qui lui donnait sens : l’expansion et la démocratisation de l’enseignement. Qu’on ne s’y trompe pas. La négociation de 1958 mettait en présence des belligérants. Mais ceux-ci étaient prêts à pacifier la question scolaire, pour en assurer l’expansion et la démocratisation. Ceux qui discutaient le futur Pacte scolaire étaient ceux-là mêmes qui auraient à l’appliquer. Mais la procédure n’était pas ordinaire. Elle court-circuitait le travail parlementaire à travers une commission à huis clos et l’accord fut signé par les Partis politiques avant d’être ratifié par le Parlement. Le texte ne fut adopté par les Chambres qu’un an plus tard, à travers la Loi du 29 mai 1959, dite Loi du Pacte scolaire. Le Pacte scolaire n’est rien de plus qu’un texte de compromis qui reflétait les préoccupations de l’époque et le rapport de force politique de la fin des années cinquante. Mais du moins, quelles qu'en soient par ailleurs les imperfections, assuma-t-il sa dimension politique : élaboré par des personnalités politiques de premier plan qui en assumaient les implications, le Pacte scolaire a promu une vision politique de l’enseignement avec laquelle nous vivons depuis près de soixante ans.Le Pacte pour un enseignement d’excellence n’est pas un accord politique
Le Pacte pour un enseignement d’excellence n’est en rien comparable. Du point de vue de la méthode, il ne met pas en présence des décideurs prêts à s’engager dans un accord politique dont ils assumeraient la paternité ou la maternité. Le « Pacte », loin d’être le résultat d’une négociation, est devenu, par un abus de langage, le processus sensé y conduire. Et le texte qui est aujourd’hui son aboutissement, loin de faire consensus, est aussitôt rejeté. C’est qu’il n’est en rien un Pacte. Il est au mieux un catalogue ou un morceau de littérature grise. La méthode était d’ailleurs si peu participative que les premiers à rejeter le résultat sont ceux-là même qui sont sensés le mettre en œuvre. En fait, la méthode n’était même pas consultative. La ministre responsable, au reste peu représentative d’un point de vue politique (le cdH ne représente depuis les dernières élections de 2014 que 15% du Parlement de la Communauté française), garde, en effet, toute liberté de s’inspirer, ou non, des idées émises dans le rapport final, en fonction de son bon vouloir, de ses préférences idéologiques et de ses choix budgétaires. Et le rapport final, pour pétri qu’il soit de bonnes intentions et de judicieuses analyses, n’est en rien l’expression d’un accord politique : ce sont les projets de décret rédigés par la Ministre cdH de l’enseignement qui feront l’objet de la discussion politique, au sein du Gouvernement et du Parlement.Il manque aussi le but partagé et la volonté d’aboutir
Qui pourrait adhérer à l’objectif de l’excellence de l’enseignement quand celle-ci n’est pas définie, ou si mal, sans avoir aussitôt le sentiment de dévoyer son esprit ? Le savait-on vraiment, le but du Pacte, n’est pas celui qu’on croyait. Chacun pensait que l’objectif était un excellent enseignement. Et tout le monde de se demander, mais c’est quoi, un enseignement excellent ? Les initiateurs du Pacte ont-il la réponse ? La voici : « Le but principal est de déployer une culture de la qualité, de la responsabilité et de l’évaluation dans l’ensemble du système éducatif et de renforcer les moyens, le cadre et les pratiques pour y arriver » [1]. Le savait-on ? Tel est, en fait, l’objectif poursuivi. Et nul n’a jamais demandé aux participants, s’ils étaient ou non d’accord avec cette culture de la qualité, de la responsabilité et de l’évaluation. Le problème, c’est que le but fixé n’est en rien, un objectif ! C’est au mieux une méthode de gestion, une technique pour délivrer des services, ou, des moyens qui répondent à la question du comment. Le Pacte pour un enseignement d’excellence se réduit, en fait, à une discussion sur la manière de mettre en œuvre la culture de la qualité dans l’enseignement sans jamais mettre en discussion la question de savoir si celle-ci apportera, ou non, une amélioration. Sensée apporter une solution à tous les maux de l’enseignement en se concentrant sur des questions techniques, le Pacte pour un enseignement d’excellence escamote la question de savoir quel enseignement est visé, c’est-à-dire, la véritable question de l’objectif. C’est fort pratique. Car en escamotant la question des finalités éducatives et du projet éducatif, on laisse proliférer une multitude de projets éducatifs différents, les uns neutres et inspirés par les principes du service public, les autres confessionnels ou diversement engagés pédagogiquement, sans avoir à s’inquiéter de savoir si ce foisonnement n’est pas la cause première du caractère inefficace et inéquitable de notre système éducatif que le troisième rapport dénonce[2].Vers un nouveau Pacte scolaire
Ce tour de passe-passe éclipse la montagne d’incohérences sur laquelle repose tout entier notre système éducatif depuis la signature du Pacte scolaire et l’adoption du principe du libre-choix, conçu comme le choix du père de famille entre un enseignement catholique ou un enseignement non confessionnel. Ainsi, ce sont de multiples questions, politiques celles-là, qui ne sont pas abordées de front et qui devraient, elles, faire l’objet d’un nouveau Pacte scolaire :- l’incitation à faire évoluer l’enseignement libre vers un projet éducatif inspiré par la neutralité et les standards du service public ;
- le rapprochement des établissements scolaires dans une même zone qui pourrait en résulter, avec l’avantage de les voir liés par un projet éducatif et des objectifs communs, tous pouvant également accueillir tous les enfants, quelles qu'en soient leurs convictions philosophiques ;
- une véritable politique de mixité sociale que ne nécessiterait pas la régulation d’opérateurs concurrents sur le marché scolaire par un décret « Inscriptions » ;
- la distinction du rôle régulateur et normatif de la Communauté française de son rôle, en tant que pouvoir organisateur ;
- l’articulation de la réforme de la formation initiale de tous les enseignants, commune parce que mise au service d’un même projet éducatif et d’une même politique d’enseignement ;
- l’amélioration de l’orientation scolaire au service de l’enfant une fois débarrassée de la tentation d’orienter vers son propre réseau ;
- une meilleure allocation des ressources pour un enseignement qualifiant où chaque école se spécialise, non selon des critères philosophiques, mais selon des critères techniques et professionnels ;
- une égale autonomie et un égal pouvoir d’initiative des équipes pédagogiques dans la manière de mener les activités pédagogiques pour atteindre les objectifs fixés par le pouvoir régulateur sous la responsabilité des pouvoirs organisateurs.