Le Pacte pour un enseignement d’excellence en question

Jeudi 23 février 2017

Où en est-on avec le Pacte pour un enseignement d’excellence ? Alors que le Groupe central se réunit pour tenter d’amender son rapport final, quelles questions le Pacte soulève-t-il ?
  1. La première question que je me pose est celle de savoir si le Pacte porte bien son nom.
La notion de pacte renvoie à l’idée d’un accord entre des parties en conflit, qui pactisent, pour sortir de cette situation conflictuelle. De quel conflit parle-t-on ? Qui sont les belligérants ? A ma connaissance, le seul véritable problème qui a fait l’objet de conflits scolaires, c’est l’opposition entre les conceptions confessionnelles et non-confessionnelles de l’enseignement et la pluralité des réseaux de caractères différents qui en a résulté. Or, cet aspect est totalement absent du pacte. Celui-ci s’inscrit donc dans le cadre existant qu’il ne contribue pas à faire évoluer mais au contraire, qu’il pérennise. Toutes les réformes envisagées dans le cadre du Pacte d’excellence ne font, en effet, que renforcer la pluralité des réseaux de caractères différents et n’aident en rien à faire évoluer le système vers une unification et une généralisation de la neutralité. Bien des observateurs considèrent même que les propositions émises dans le cadre du Pacte vont renforcer la compétition entre les réseaux concurrents, alors que cette concurrence est une des raisons du faible niveau de performance de notre enseignement et de son caractère inégalitaire.
  1. Ma deuxième question porte sur la notion même d’excellence. Celle-ci est définie dans l’abondante littérature du Pacte de la manière suivante : « Le but principal est de déployer une culture de la qualité, de la responsabilité et de l’évaluation dans l’ensemble du système éducatif et de renforcer les moyens, le cadre et les pratiques pour y arriver. »(www.pacted’excellence.be/ qu’est-ce que le Pacte?)
L’excellence ainsi visée fonctionne comme un postulat qui balise la réflexion et ne peut être discuté. Mais peut-être faudrait-il se demander avec lucidité, si les démarches de qualité et de pilotage, directement inspirées des techniques managériales du monde des entreprises, sont pertinentes dans le cadre de la culture organisationnelle de l’enseignement, et en particulier, si elles sont adaptées à l’enseignement de service public. En particulier, il faut se demander si l’adoption de cette approche organisationnelle apportera une contribution réelle à la lutte contre l’échec scolaire et si oui, pour quelle raison. Au niveau de la gestion du système éducatif dans son ensemble, cette approche managériale a sans doute plus de sens dans une vision de l’enseignement où l’autorité publique délègue sa mission d’enseignement à d’autres opérateurs (plutôt que de l’exercer lui-même) et se limite à la régulation d’une offre d’enseignement privée. Est-ce vraiment cela que nous voulons ?
  1. Mon troisième questionnement porte sur le contenu même du Pacte.
On nous dit qu’il forme un tout cohérent, - ce dont je ne suis pas convaincu -, et que tout est à prendre ou à laisser. Le rapport final se présente pourtant comme un catalogue d’idées, peu liées systématiquement entre elles, et qui se caractérise par un grand flou et beaucoup d’imprécisions. Si vous faites l’exercice de transposer les propositions de réforme dans la réalité, vous vous rendrez compte qu’elles ne prennent pas la réalité en compte, car elles négligent ou sous-estiment les obstacles, les délais de réalisation, le facteur humain, c’est-à-dire, la capacité des enseignants et des fonctionnaires de l’administration, à s’adapter à de nouvelles manières de faire et de nouvelles conditions de travail. A y regarder de près, on se rend compte aussi que le rapport ne tranche jamais ce qui doit l’être pour que la réforme soit opérationnalisée dans la réalité. Fondamentalement, le texte manque de résolution, sans être visionnaire. Voici quelques exemples : - Le Pacte défend le principe d’un continuum pédagogique de la 1ère maternelle à la 3ème secondaire. Mais il n’assume pas pleinement le fait que, pour avoir ce continuum, il faut l’obligation scolaire à trois ans. Le Pacte se contente de mesures incitatives de fréquentation de l’école par les enfants, ce qui n’est en rien nouveau. Et pour justifier cette inconséquence, - car on ne peut pas plaider pour un continuum si, dans la réalité, il n’existe pas pour tous les enfants -,  on nous dit que c’est une loi fédérale que les flamands ne veulent pas changer. Ne vaudrait-il pas mieux, dans ces conditions et dans un esprit d’équité, penser le continuum depuis la 1ère primaire ? - S’intéressant au qualifiant, le Pacte prône la généralisation de la CPU (la validation des acquis par unité d’apprentissage), mais comme les retours du terrain sont mitigés, il suggère de prolonger le testing, en allant pas à pas vers la généralisation. Mais il ne dit ni quand, ni par quelles sections du qualifiant commencer ? - S’intéressant au bien-être des enfants, le rapport final prône la révision des rythmes scolaires, quotidiennement et annuellement, mais c’est pour mettre aussitôt le sujet à l’étude… Du nouveau vraiment ? - Plus fondamental, le rapport entend réorganiser complètement l’administration de la Communauté française chargée de l’enseignement obligatoire en distinguant la fonction régulatrice et le rôle de pouvoir organisateur. Il est fort disert sur la manière de réorganiser le pouvoir régulateur. Mais rien n’est dit sur la manière dont le pouvoir organisateur sera réorganisé. Exit l’enseignement organisé par la Communauté française ? Au total, le Pacte réclame de ceux qui participent à son élaboration, une signature, alors qu’ils n’ont aucune garantie de pouvoir honorer leur engagement. En fait, vu les flous du texte, les signataires ne savent pas vraiment à quoi ils s’engagent, et les Ministres qui auront éventuellement la responsabilité de traduire par décret le contenu du Pacte, seront libres de l’adapter, conformément à leurs propres priorités et à celles du réseau qui a leur préférence. Ce qui me ramène à ma première question. En quoi le Pacte pour un enseignement d’excellence est-il un « pacte » ? En quoi ouvre-t-il des voies nouvelles et des avancées pour l’enseignement public ?   Patrick Hullebroeck, directeur

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