L’apprentissage par le jeu

Dimanche 1 mai 2016

Photo by Marisa Howenstine on Unsplash
Les méthodes traditionnelles d’enseignement ne sont pas toujours efficaces et adaptées à tous les enfants. Alors certains n’hésitent pas à avoir recours au jeu comme support d’apprentissage... et cela fonctionne!

L’apprentissage par le jeu est un concept utilisé en science de l’éducation et en psychologie qui défend l’idée selon laquelle l’enfant acquiert des compétences à travers l’activité de jeu, en donnant un sens au monde qui l’entoure. D’après Lev Vygotsky, «le jeu est la principale source de développement des enfants, que ce soit sur le plan affectif, social, physique, langagier ou cognitif». Le jeu donnerait à l’enfant des compétences sociales et cognitives et une confiance en soi qui lui permettraient de vivre de nouvelles expériences et d’évoluer dans des environnements inconnus.[1] Confronté à des règles et à un environnement étranger, l’enfant met en place des nouvelles stratégies, adopte certaines aptitudes, pense de façon créative, collabore avec ses partenaires de jeu et apprend de ses erreurs.

Jeu libre et de société

Pour la rédaction d’un article antérieur d’Éduquer[2] , nous avions rencontré Michel Van Langendonckt, coordinateur pédagogique. Il y est question du rôle du jeu dans la psychologie du développement et dans la socialisation des individus. Selon lui, «le jeu remplit un rôle majeur en psychologie du développement de manière générale... Le jeu entrainerait une capacité à chercher des solutions, aiderait à avoir un esprit positif, une attitude ludique face au monde.»

On distingue deux types de jeux: les jeux libres et les jeux de société, tous les deux étant aussi importants et complémentaires. «Le jeu libre, qui consiste à utiliser des jouets de façon autonome, en créant ses propres règles, permet le développement personnel et le développement de la personnalité. Ce type de jeu oblige à être inventif et créatif, il permet de moduler l’environnement à ses propres besoins. C’est une étape très importante dans la construction de l’individu, qui s’arrête souvent trop vite pour laisser la place aux jeux à règles, c’est- à-dire aux jeux de société. À ce moment-là, l’individu perd en liberté mais gagne en socialisation, en culture. Les jeux à règles sont un apprentissage de la vie en société puisqu’on apprend des règles de vie. Cela permet de comprendre le fait que l’on n’est pas tout seul, que l’on vit avec les autres. Réaliser cette expérience sous forme de jeu, c’est s’exercer de façon indolore à quelque chose de très difficile. Les jeux sont les miroirs de la société.»[3]

Quelle efficacité?

Comparé au travail, le jeu est perçu comme une activité amusante et délassante, ce qui lui confère un caractère plaisant aux yeux des enfants et accentue, de facto, son efficacité. De fait, le jeu est une activité choisie, contrairement au travail qui est perçu comme imposé par autrui. Le jeu devient synonyme de délassement, de plaisir, tandis que le travail n’est que labeur et contrainte.

Contrairement au travail qui a un objectif et un résultat précis, on n’attend pas d’effets d’un jeu, on le vit et on y trouve du plaisir. Le jeu devient alors un support idéal pour permettre l’acquisition de compétences parfois difficiles à acquérir à travers le travail traditionnel. En effet, le jeu a de multiples atouts[4] :

  • il motive l’enfant, facilite sa concentration et stimule sa mémoire;
  • il rend actif en classe, là où l’élève reste souvent passif. L’enfant est acteur de sa ré- flexion, de sa stratégie, il collabore et partage avec ses partenaires;
  • le jeu modifie et démocratise le rapport au savoir: l’enfant est moins soumis au stress, à la peur de l’erreur et de l’échec car le jeu est basé sur des règles connues de tous et parfois sur le hasard;
  • le jeu incite l’élève à verbaliser sa pensée, à argumenter ses choix et, donc, l’aide à perfectionner son langage;
  • le jeu permet à l’enfant de développer des méthodes de travail, de suivre une logique, un raisonnement;
  • le jeu permet de stimuler diverses compétences en même temps: le verbal, le mental, la logique, le calcul...
  • le jeu donne à l’enfant un but précis, concret et l’incite à s’impliquer dans celui-ci.

Le jeu est donc un support de choix dans le domaine des apprentissages, car il mobilise un grand nombre de capacités cognitives et permet une différenciation pédagogique qui porte ses fruits auprès de jeunes parfois en perte de vitesse face aux méthodes classiques d’instruction.

Le jeu devient un moteur au savoir, il motive l’élève à aller de l’avant et ce, dans toutes les matières. Comme le souligne Ryngaert, le jeu permet de conforter le «désir d’apprendre» et le «plaisir de savoir»[5] . La notion de plaisir d’apprendre des jeunes est centrale dans la démarche de l’apprentissage par le jeu.

Le jeu est donc un moyen ludique et éducatif au service des apprentissages scolaires qu’il serait dommage d’ignorer.

Les 5 gestes mentaux

Face à cette richesse pédagogique, il n’est plus rare de rencontrer des acteurs de terrain utilisant le jeu comme support de travail auprès des jeunes.

Nous avons interrogé à ce sujet Céline Clément, logopède au Centre de Guidance-ULB. Pour elle, «le jeu permet à l’enfant et à son entourage de mobiliser de mille et une façon les stratégies mentales dans de nombreux domaines d’apprentissage!»

Au jeu, souvent utilisé en logopédie comme support d’apprentissage, Céline Clément associe un travail sur la gestion mentale (voir encadré). Selon la logopède, «cette théorie permet d’amener l’enfant à prendre conscience de ses stratégies mentales en l’occurrence, 5 gestes mentaux: l’attention, la compréhension, la mémorisation, la réflexion et l’imagination. Ces 5 gestes sont mobilisés lors de tout apprentissage (scolaire ou non-scolaire) tout au long de notre vie

La jonction entre le jeu et la gestion mentale est donc évidente à travers les aspects cognitifs qu’ils mobilisent, mais également à travers «le plaisir de jouer, de partager du temps ensemble, la motivation, la curiosité, la coopération, l’envie de se dépasser… qui sont des éléments tout aussi importants dans le développement de l’enfant

Banni des pratiques traditionnelles

Traditionnellement banni des pratiques scolaires, le jeu acquiert ses lettres de noblesse au sein des sciences éducatives. Il semble dès lors intéressant d’associer en classe la pratique du jeu au travail traditionnel. Certains pays l’on déjà largement exploité au sein de l’école, comme le Danemark, où la pratique du jeu à l’école est explicitement prévue dans les textes de loi.

Pourtant, bon nombre d’écoles ou d’enseignants estiment que le jeu est une pratique vaine qui leur fera perdre du temps et, pire encore, empêcherait de suivre le programme des cours. Erreur et méconnaissance sont donc au rendez-vous et la pratique du jeu semble encore peu répandue dans les écoles classiques. Un constat dû au fait que les enseignants ne sont pas/ou peu formés dans ce domaine et à une certaine rigidité dans le monde enseignant.

Comme tout support éducatif, le jeu n’est pertinent que s’il est utilisé à bon escient et avec le respect de ses règles. L’efficacité du jeu sera, en effet, directement liée à la manière et au moment où il sera utilisé auprès des enfants. Il est primordial qu’il soit proposé à des moments biens définis et qu’il soit correctement encadré par un adulte (enseignant, logopède, parent...).

Le rôle de l’encadrant est essentiel. À la fois guide et observateur, il est le garant du bon usage du jeu en tant que support pédagogique.[6] Une deuxième condition est le choix du jeu. L’encadrant doit sélectionner des jeux qui permettront de mettre en œuvre les capacités cognitives, sociales et créatives auprès des enfants.[7]

L’insertion optimale du jeu comme support pédagogique s’accompagnera donc, d’une part, d’une formation efficiente des enseignants au jeu en classe et, d’autre part, d’une utilisation pertinente du jeu durant le cursus scolaire. Le jeu permet de stimuler des capacités cognitives fondamentales dans l’évolution de l’enfant. Valorisé par les plus jeunes, le jeu devient le support idéal d’apprentissages. Il est, dès lors, précieux d’en reconnaître les vertus afin de l’intégrer efficacement et durablement, tant au sein du cursus scolaire, qu’au niveau de la formation des enseignants.

 

Marie Versele, secteur communication  

La gestion mentale

La gestion mentale est un courant pédagogique qui étudie les gestes mentaux de la connaissance. Élaborée par Antoine de La Garanderie, cette approche pédagogique propose une didactique des actes de connaissance tout en amenant une nouvelle éthique de la relation pédagogique, où l'enseignant et l'enseigné s'éveillent mutuellement aux différents types de savoirs et deviennent chacun acteur de sens. La gestion mentale s'appuie sur la maîtrise des cinq gestes mentaux que sont l'attention, la mémorisation, la compréhension, la ré- flexion et l'imagination créatrice, mais aussi sur deux éléments importants: l'évocation et le projet mental.1 La gestion mentale, à travers son caractère universel, peut aussi bien être appliquée en milieu scolaire, en milieu professionnel ou comme technique de développement personnel. Comme toute approche, la gestion mentale ne permet pas de résoudre toutes les difficultés d'apprentissage ou de connaissance, mais offre des outils complémentaires à d'autres approches pédagogiques.

"La gestion mentale, un autre regard, une autre écoute en pédagogie", de Chantal Evano

En savoir plus: "La gestion mentale, un autre regard, une autre écoute en pédagogie", de Chantal Evano. L'ouvrage, n'étant plus publié, est téléchargeable via ce lien: http://gestion-mentale.ch/?page_id=877 1. Introduction aux cinq gestes mentaux, Pascal ROULOIS, 2010, https://neuropedagogie.com          


[1] Human growth and the development of personality, Jack Kahn, Susan Elinor Wright, Pergamon Press.

[2] «Sciences et Techniques du jeu», une nouvelle formation en Belgique! par Juliette Bossé, Éduquer n°99, page 9.

[3] Ibidem.

[4] Les atouts du jeu, repris ici, sont énoncés dans l’article «Un mode d’apprentissage efficace», in Cahiers pédagogiques, dossier «Le jeu en classe», Par Evelyne Vauthier.

[5] Ryngaert Jean-Pierre (2008). Introduction à l’analyse du théâtre. Paris: Armand Colin, 168 p. (1re éd. 1991).

[6] Décolâge – Kit pédagogique: Le jeu, vecteur d’apprentissage? Oui, mais pas à n’importe quelles conditions!, www.enseignement.be

[7] «Un mode d’apprentissage efficace», in Cahiers pédagogiques, dossier «Le jeu en classe», Par Evelyne Vauthier.  

Illustration: Photo by Marisa Howenstine on Unsplash

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