L’alcool, notre drogue culturelle

Mardi 20 février 2018

La grande majorité d’entre nous consomme ou a déjà consommé de l’alcool (bières, vins, spiritueux, cidres, apéritifs, etc.). D’ordinaire associé à la fête, l’amusement, la convivialité, le partage, l’échange, la désinhibition, les troisièmes mi-temps, les sorties, les copains-copines, etc. l’alcool fait partie intégrante de notre culture où il jouit d’une image très positive, contrairement à de nombreux autres produits psychoactifs licites ou illicites. L’alcool est d’ailleurs le psychotrope de loin le plus consommé dans l’ensemble de l’Union européenne.
Pour la grande majorité d’entre nous (plus de 80%), l’alcool est consommé de manière non problématique. Nous ne sommes donc pas tous «alcoolos», loin de là! Nous sommes globalement capables d’adopter une consommation socialement acceptée et raisonnable, même si elle est parsemée de quelques excès sans conséquences majeures pour notre santé. Aussi, l’usage que l’on fait d’un produit peut-il avoir davantage de conséquences négatives que le produit en lui-même. Ceci dit, près de 10% de la population entretient quand même une relation problématique avec le produit et entre 6% et 8% sont considéré.e.s comme alcoolo-dépendant.e.s (ne plus être en mesure de se passer d’alcool sans souffrances physiques ou psychiques). Voilà qui est préoccupant d’un point de vue de santé publique. En effet, lorsque les jeunes et les adultes en arrivent à développer une consommation problématique d’alcool, surviennent alors inévitablement des conséquences inquiétantes pour la santé, que ce soit sur le plan physique, psychologique ou social, à court, moyen et long termes, mais aussi sur le plan socio-économique. Mais malgré une sur-médiatisation du phénomène d’alcoolisation chez les jeunes ces dernières années (voir infra), ce sont bien les hommes adultes qui restent les plus grands buveurs. Bonne nouvelle, nous enregistrons donc une baisse significative de la consommation d’alcool ces 40 dernières années. Néanmoins, cette tendance s’accompagne également d’une volonté affichée des alcooliers de toucher de nouveaux publics. A travers les pratiques commerciales et publicités à l’éthique douteuse, les femmes et les jeunes en font ainsi les frais. Les jeunes sont maintenant les principaux concernés par les consommations ponctuelles massives (boire jusqu’à l’ivresse) qui sont associées à des risques plus élevés d’accidents et de coma éthylique mais aussi de maladies chroniques ou d’atteintes neuronales par la suite.

La loupe déformante des médias sur la jeunesse

Sans nier les risques existants, la consommation d’alcool par les jeunes est souvent présentée de manière caricaturale dans les médias. Il n’est pas rare, par exemple, de voir un journal télévisé dépeindre un tableau catastrophique d’une jeunesse qui boit systématiquement avec excès, et cinq minutes plus tard, évoquer tout le plaisir et la fierté des adultes de consommer la dernière bière née dans nos campagnes. Ainsi, il existe en général un fossé entre les représentations des adultes et les réalités que vivent les jeunes. Or, les croyances enferment et empêchent les jeunes de se déployer tels qu’ils le souhaitent. Nous devons donc tous faire l’effort de lire entre les lignes et apporter des nuances pour sortir des clichés qui renforcent le hiatus entre jeunes et adultes. Nous devons donner plus souvent la parole à nos jeunes pour, d’une part, mieux percevoir leurs comportements et d’autre part, mieux comprendre les motivations de certains comportements plus à risques… Ainsi, en réaction à l’intrusion agressive dans une école, enfermer des élèves derrière des grilles est certes un malheureux réflexe de peur, mais il s’agit également d’une réaction immédiate qui évite d’analyser les raisons d’élever des grilles. De même, les acteurs du secteur des assuétudes sont couramment confrontés à la prise de mesures sécuritaires qui évitent de se poser les bonnes questions.

L’apprentissage du bon usage

Dans la majorité des cas, nous apprenons à consommer l’alcool en famille, au cours d’occasions et d’événements culturellement associés à ce type de consommation: lors du repas dominical, d’une fête, d’un anniversaire, au réveillon de Noël, etc. Ces premiers contacts avec l’alcool se font progressivement. Nous pouvons d’abord tremper les lèvres dans le verre de Papa/Maman, ensuite boire une gorgée, puis un demi-verre et enfin un verre entier. Cela, généralement avec des produits alcoolisés plutôt «classiques» comme du vin, de la bière, du champagne… à travers cet apprentissage progressif, socialement adapté, dans des contextes particuliers (ce n’est pas au petit déjeuner!), et avec des produits classiques qui nécessitent une certaine éducation aux goûts (l’amertume de la bière ou l’acidité du vin par exemple), nous donnons aux jeunes plus de chances de développer un rapport «sain» et socialement adapté au produit. Il adoptera les codes culturels d’une consommation perçue comme responsable et culturellement acceptable, de l’ordre du «bien boire», même si tous les modèles familiaux ne sont pas parfaits, bien évidemment.
D’une part, les habitudes de consommation des jeunes sont liées à celles de leurs parents. D’autre part, l’interdit parental semble se durcir par rapport au tabac et au cannabis, mais la tolérance paraît augmenter envers l’alcool.
D’une manière générale, il apparaît que toute mesure ou action permettant d’optimiser le «métier» de parent ou d’adulte-encadrant dans l’accompagnement des enfants et dans l’émancipation des adolescent.e.s participe d’une manière ou d’une autre à la promotion de la santé et à la prévention des usages de substances psychoactives. De plus, les assuétudes au sens large et l’alcool, en particulier, représentent souvent des sujets sensibles pour lesquels les adultes déclarent se sentir démunis et moins enclins à dialoguer. Il semble donc important de soutenir et outiller jeunes et adultes en faveur d’une meilleure capacité de communication et de privilégier les approches pragmatiques comme la réduction des risques une fois que les premiers contacts se font avec le produit.

L’école doit-elle parler d’alcool?

Il y a le vécu, bien réel, de certains enseignant.e.s sur le sujet, dont la galère des voyages scolaires. Comment contrôler la consommation des jeunes lors de ces sorties? Des associations comme Prospective Jeunesse, ALFA ou Infor-drogues tentent d’y répondre par des stratégies de promotion de la santé[1]. A l’école, il est plus facile d’avoir un œil sur les temps morts. En voyage scolaire, les élèves, bien plus libres, en profitent pour boire à l’insu des adultes. Comment les en empêcher? Le contrôle permanent a ses limites. Face à ce constat d’impuissance, certaines écoles ont carrément décidé de supprimer la possibilité de ce type de voyages. Les enseignant.e.s responsables d’ateliers techniques tirent également la sonnette d’alarme. Comment assurer la sécurité lors de l’utilisation de substances ou d’outils dangereux si les élèves ne sont pas en pleine maîtrise d’eux-mêmes, s’ils reviennent à moitié saouls après la pause de midi? Comment dès lors enclencher la pensée collective? Comment sortir de l’impasse de l’arsenal classique de répression, celle qui maintient le jeune dans une position passive, réceptacle d’une intention comportementaliste qui viserait à le modeler au bon vouloir de l’adulte? Ah ce rêve de l’élève modèle… Tout comme le dit Ann d’Alcantara[2], psychiatre infanto-juvénile, les enseignant.e.s doivent prendre conscience qu’ils sont des professionnel.le.s de l’adolescence tout autant que des professionnel.le.s de la transmission de savoir. Ce qui n’est certes pas une mince affaire! L’adolescence à laquelle nous allons être confrontés, production de la culture, va être différente d’année en année. Et la relation enseignant.e-élève va devoir se doubler aujourd’hui d’une autre relation: la relation adulte-ado(s). Alors que, traditionnellement, la famille était la scène propre à l’adolescence, cette scène s’est désormais déplacée à l’école. Comment dès lors accueillir les manifestations d’une culture où la consommation et le plaisir occupent une place tellement centrale? On se souvient d’une intervention menée dans une école suite au dernier voyage scolaire qui avait été un fiasco. En interrogeant les jeunes et les enseignant.e.s sur leurs représentations du voyage scolaire, les seconds y voyaient un moment de travail hors des murs, alors que les jeunes le voyaient comme un moment de vacances. Les attentes étant totalement différentes, les comportements des élèves ne pouvaient être qu’éloignés de ceux attendus par les enseignant.e.s. Il s’agissait alors de mieux faire coïncider les représentations avant d’espérer toute amélioration de la situation. Ainsi, certaines écoles ont simplement décidé d’associer les jeunes à la conception et à l’organisation des voyages scolaires afin que les objectifs des uns et des autres puissent mieux se rencontrer. Associer les jeunes, ce n’est pas simplement les consulter, mais leur laisser une part réelle de décision. Par exemple, quand les jeunes peuvent eux-mêmes édicter certaines des règles qui régiront le voyage ou les temps de midi par exemples, on a fort à parier qu’ils se responsabiliseront davantage. Ici, il faut faire le pari que leur laisser plus de liberté et d’autonomie les renforcera dans leurs propres capacités de gestion personnelle et collective, d’entraide et de conscience des limites. Pari rarement perdant. Un cycle vertueux peut alors s’enclencher et les jeunes, se sentant valorisés, vont peut-être moins chercher à boire leur coup, ou fumer leur petit joint pendant les heures scolaires ou les temps libres. Rappelons-nous aussi que la majorité d’entre eux réguleront leurs consommations à l’âge adulte. Entre-temps, il est nécessaire d’évoquer les représentations qu’ils se font de ces moments, du sens de leurs consommations, des moyens dont ils disposent pour réduire les risques qui y sont liés et des choix éclairés qu’ils peuvent poser.   Martin de Duve et Anne-Sophie Poncelet, Univers santé [1] Plus d’infos sur www.jeunesetalcool.be où vous trouverez également des outils ainsi que les questions (avec réponses) fréquemment posées sur le sujet. [2] Selon les principes de la Charte d’Ottawa. Crédits illustration: © Image issue de la série Friends
Univers santé développe des actions de promotion de la santé en milieu jeune et étudiant, et travaille en partenariat direct avec ses publics cibles, des acteur.trice.s et des associations de terrains, des enseignant.es, des  professionnel.le.s de la santé, etc. Tous les sujets qui concernent les publics jeunes et étudiants sont abordés: alimentation, assuétudes, vie affective et sexuelle, santé mentale, stress, blocus, santé sociale etc.

L’alcool dans les médias

Dans nos sociétés médiatiques, l’alcool est partout. Il est bien sûr présent dans la publicité, mais aussi dans les films, séries, romans, compétitions sportives, internet, etc. À un point tel qu’il ne se remarque même plus: il fait partie du décor. Les dépenses publicitaires des producteurs et distributeurs d’alcool en Belgique sont 790 fois plus importantes que les subventions du secteur de la prévention! De plus, la publicité est souvent manipulatrice, car le public ne perçoit pas les procédés qu’elle met en œuvre. Infor-Drogues a réalisé deux spots vidéos pour mettre à jour ces procédés:
  • Le premier «L’alcool c’est la fête» est constitué d’extraits fictions, qui nous disent que boire de l’alcool est gage de fête remarquable, d’amitié, de bonne humeur et de réussite sociale.
  • Le deuxième «L’alcool c’est moi» est constitué d’extraits de publicités indiquant que l’alcool aide chacun à trouver son caractère, son identité, qu’en somme, l’alcool révèle la personnalité.
Si vous êtes enseignant.e ou animateur.trice, ces vidéos peuvent être utilisées comme outils de prévention, pour lancer une discussion ou une analyse critique sur la publicité. À retrouver sur infordrogues.be Source: www.jeunesetalcool.be

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