Éduquer, c’est former le genre humain.
Eduquer 136: On ne naît pas homme, on le devient
Il ne devrait être d’autres buts à l’éducation que celui de la formation du genre humain.
Or, du genre humain, il n’est pas plusieurs espèces.
A la différence d’autres catégories d’êtres vivants qui se subdivisent en plusieurs espèces, l’humanité est une, et la diviser procède toujours, en quelque manière, d’un artifice, c’est-àdire, d’un caprice de l’esprit classificateur.
Ce caprice n’est pas, pour autant, dénué d’intentions, de significations et d’enjeux. Car classer, c’est peut-être moins penser, que hiérarchiser.
Dans le domaine de l’éducation, ces sortes de classement qui divisent le genre humain et réservent à chaque sous-ensemble une forme d’éducation différente, ne laissent jamais indifférent, en particulier, quand elles se cristallisent dans des formes institutionnelles repérables: les «enfants ordinaires» dans l’enseignement ordinaire et les «les enfants à besoins spécifiques» dans l’enseignement spécialisé; les «élites» dans les grandes écoles, les «médiocres» dans des écoles de relégation; les «profils théoriques» dans le général et les «manuels» dans l’enseignement de qualification, etc.
Ces partages inéquitables sont cependant si courants qu’il faut l’effort de la pensée critique, à la fois pour les identifier, et pour en cerner les implications. Car ils sont socialement acceptés et s’en démarquer exige l’effort de s’écarter de la norme sociale.
D’autres partages, bien qu’acceptés à d’autres époques ou dans d’autres contextes, sont immédiatement rejetés, parce qu’ils sont contraire à l’éthos démocratique, ainsi, par exemple, d’un système d’enseignement basé sur une conception raciste de la société, séparant les enfants noirs et blancs, et contre lequel les mouvements afro-américains doivent continuer à lutter.
Mais les partages les plus politiquement sensibles sont sans doute ceux qui demeurent discutés et qui ne font pas l’objet d’un consensus. Ainsi par exemple de la séparation des élèves dans des écoles confessionnelles et non confessionnelles, qui institutionnalise comme critère de tri, les différences de convictions philosophiques et religieuses.
La division sexuée du genre humain demeure, de nos jours, un sujet pareillement sensible dans le domaine de l’éducation.
Si l’idée même d’un enseignement spécifique, différent pour les filles et les garçons, dispensé dans des établissements scolaires distincts - bien que régulièrement remise au goût du jour - semble (définitivement)reléguée à la case «musée», la question de savoir si les filles et les garçons bénéficient d’un même traitement éducatif dans les écoles mixtes, demeure pleinement d’actualité.
Par leurs attitudes, par l’environnement social et les comportements attendus, par les contenus enseignés et les modèles proposés, par les modes de sanction, etc., l’école procède encore et toujours différemment avec les filles et les garçons.
Faut-il y voir simplement, une sorte d’accommodement à ce que sont filles et garçons, ou au contraire, un élément actif, souvent non conscient, de la formation des genres et de l’assignation de chaque élève à son genre? Sans doute les deux. Mais évoluant dans une société, encore fort peu acquise à l’idée de l’égalité du genre humain, convenons qu’il serait vain de vouloir atteindre à une éducation identique pour toutes et tous , sans procéder à une déconstruction et à une critique de l’inégalité, sous toutes ses formes.
Qu’en est-il alors de la visée éducative? S’agit-il de «genrer» l’éducation, même si l’ambition affichée est celle de libérer de la tyrannie du genre, ou, au contraire, faut-il s’abstraire des différences de genre, en visant l’égalité et le commun, c’est-àdire, une même éducation pour filles et garçons?
S’il est vrai que l’être humain ne devient tel que par l’éducation, à défaut d’être entièrement déterminé par son instinct, sa propre réalité biologique et son environnement; si l’on convient également qu’il n’est d’être humain que libre, puisque pas entièrement pré-formaté, alors, l’éducation a pour but de faire en sorte que chaque exemplaire du genre humain puisse, autant que faire se peut, librement disposer de lui-même.
Cette visée émancipatrice doit prendre en compte la dimension du genre, mais également, les autres déterminants qui, massivement influent l’existence humaine. Car c’est une fois reliée aux autres facteurs de l’inégalité, que la réflexion autour du genre prend pleinement son sens.
Patrick Hullebroeck, directeur de la Ligue de l’Enseignement