Pédagogie active. Vaste concept… Chacun y met ce à quoi il adhère. Je ne pense pas qu’une unique défi nition suffi se, tant les courants pédagogiques qui l’incluent sont complexes et parfois très diff érents les uns des autres.
J’ai moi-même certainement un regard partial, personnel, sur cette pédagogie dite «active» et en laquelle je crois. Mon parcours scolaire commence dans une école «Freinet» et s’est poursuivie dans une école qui se voulait également «différente» des autres établissements secondaires. Je m’y suis toujours sentie actrice de mon quotidien. Je n’ai jamais eu l’impression de subir ma scolarité, mais bien de la construire chaque jour. J’ai donc été, dès le départ, initiée à un autre regard sur l’école. Pendant mes études supé- rieures, je pense avoir été formée à appliquer la pédagogie active. La plupart de nos formateurs nous poussaient vers une manière de penser les apprentissages bien différente de ce qu’avaient connu la plupart des étudiants. Mais sur le terrain, dans le monde scolaire, entre la théorie et la pratique, plusieurs réalités se bousculent. Il y a tout d’abord les enseignants qui sont là depuis des années. Convaincus de la pertinence de ce qu’ils font depuis toujours puisqu’ils ont été formés ainsi. Ils poursuivent la même méthode traditionnelle depuis des années. «Ça fonctionnait à l’époque, pourquoi ça ne fonctionne plus aujourd’hui?». Il y en a d’autres très ouverts aux nouveautés. Mais comment s’adapter quand on n’a pas été formé? Ce n’est pas l’envie qui manque, mais ils n’ont pas les moyens de changer leurs pratiques. Trois ans de formation, cela ne s’apprend pas en 3 jours de formation ré- partis sur une année scolaire. Il y a aussi tous les jeunes enseignants, qui sortent de formation et qui n’adhèrent pas aux pédagogies actives. Pour moi, la pédagogie active ne se vit pas à moitié. Les freins sont nombreux et font peur. Cela a quelque chose d’incertain, de moins structuré et structurant pour l’enseignant. Partir du vécu de l’enfant demande une flexibilité permanente. Non seulement d’année en année, mais parfois même au sein même d’une leçon déjà préparée. S’adapter aux enfants à chaque moment. À ceux en difficultés, à ceux qui avancent plus vite. Il faut parfois accepter le tutoiement. Pas comme un manque de respect comme le croient certains, mais comme une relation plus forte que celle du «maître à l’apprenant»: c’est apprendre à connaître ses élèves au-delà des maths et du français, établir un lien pédagogique. Je suis souvent amenée à entendre les confidences de mes élèves. Cela me permet de comprendre pourquoi l’enfant n’est pas «disponible» pour ses apprentissages. Ce peut aller du divorce, du cancer subi par un parent, à un simple cauchemar fait pendant la nuit. Cela peut être déstabilisant, oui. Il faut donc pouvoir établir une relation de confiance, pouvoir livrer un petit peu de nous, ne pas rester l’adulte inaccessible que nous représentons trop souvent. Je ne suis pas psychologue et je délimite bien mon rôle. J’envoie certains de mes élèves vers d’autres personnes compétentes, mais je suis disponible et, ça, pour eux, ça compte. Concevoir l’enfant comme acteur. C’est lui qui construit son apprentissage, ce n’est pas juste l’enseignant qui le lui communique. Ceci implique à nouveau une part d’inconnu. Vontils y arriver? Où vais-je arriver au terme de ma leçon? Un projet qui doit être porté par l’établissement C’est aussi accepter que les contenus ne soient pas à eux seuls les clefs de la réussite. C’est construire chaque jour des mé- thodes qui permettent aux enfants de développer d’autres outils, comme leur autonomie. Pas évident d’accepter un passage vers le degré suivant quand «les points ne suivent pas» mais que les outils sont acquis. Concevoir le tutorat, les travaux de groupes, les classes-cycles... Beaucoup d’organisation pour l’enseignant, beaucoup d’investissement et, surtout, à nouveau beaucoup de zones dans lesquelles l’enfant ne maî- trise pas tout de A à Z. Je peux donc entendre, comprendre même ce qui freine tous ces enseignants. D’autant plus qu’arriver dans une école, pour n’importe quel enseignant, n’est pas facile. On se fait plus petit, on écoute comment font les collègues, on suit le mouvement général. Les parents jouent également un rôle essentiel. Ils choisissent un établissement en fonction de sa pédagogie et des valeurs qu’il incarne. L’école choisie est, quelque part, en accord avec l’éducation qu’ils souhaitent donner à leurs enfants. Dès lors, si vous prônez une scolarité sans travail à domicile et que le parent ne suit pas cette approche, c’est le heurt assuré. On a beau dire qu’on se nourrit des enfants, le regard des parents sur notre pratique compte également beaucoup. Il me semble donc idéaliste de croire qu’un enseignant puisse pratiquer une pédagogie active ailleurs que dans une école qui porte clairement ces valeurs dans son projet d’établissement. Je peux cependant citer tant de belles choses qui fortifient mes convictions. Pour moi, la pédagogie active m’a construite dès mon plus jeune âge. Elle m’a permis d’apprendre à me connaître, à identifier mes forces et mes difficultés. L’école m’a donné confiance en moi. L’école m’a donné des outils qui m’ont aidée à grandir et qui ont fait de moi celle que je suis aujourd’hui. Comme enseignante, j’ai passé 10 très belles années à construire tous les jours. J’aime revoir chaque leçon d’année en année, de jour en jour. Je savoure le fait de pouvoir me remettre en question, de ré- fléchir avec mes collègues, de continuer à apprendre d’eux et de moi-même. Je m’émerveille devant les défis relevés par mes élèves. J’ai fait le deuil d’amener tout le monde au même endroit, mais je me nourris du chemin personnel parcouru par chacun d’entre eux. Chaque projet mené à terme me motive davantage. Je m’enrichis des belles rencontres d’enfants qui ont tant à donner. Mes élèves me rendent 10 fois l’énergie que j’y ai mise. Les voir motivés, impliqués, grandir, s’ouvrir, prendre du plaisir et s’épanouir à l’école, cela n’a pas de prix. Vivre l’école de cette manière me donne tout simplement l’envie de me lever le matin.