Le Collecti.e.f 8 maars ne se contentera pas d’une seule grève et d’un rendez-vous annuel le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes. Il compte développer un réseau féministe fort en Belgique et s’installer dans la durée.
Pour nous parler de la naissance de ce Collecti·e·f 8 maars et de ses actions autour de la journée du 8 mars, Pauline Forges a répondu à nos questions. Elle a été professeur de français et d’arts d’expression dans le secondaire et est aujourd’hui détachée pédagogique chez Quinoa, ONG d’éducation au développement.
Éduquer: Comment est né le collectif et depuis quand avez-vous travaillé autour de cette grève nationale du 8 mars?
Pauline Forges: Tout a commencé le 8 mars 2018: la mobilisation espagnole autour de la journée internationale des droits des femmes nous a galvanisées. Ce jour-là, 5,3 millions de grévistes descendaient dans les rues. Ce fut une vraie réussite en termes de visibilité pour les femmes. Depuis le mois d’octobre 2018, des femmes de différents horizons sociaux et politiques, des Argentines, des Italiennes et beaucoup d’hispanophones se rassemblent une fois par mois à Bruxelles pour organiser la grève du 8 mars. Il y a différentes commissions autour de la communication du collectif, de ses revendications, de ses finances, de ses actions et il y a plusieurs groupes de travail actifs en Flandre, à Bruxelles et en Wallonie. Les assemblées sont ouvertes à toutes les femmes, hétéros ou lesbiennes, très présentes à l’avant-plan des luttes féministes, aux personnes transgenres, intersexes et non-binaires, touchées et révoltées par la violence du système patriarcal, ce système qui opprime les femmes et les personnes aux identités de genre et aux sexualités non conformes aux normes masculines-hétérosexuelles.
Éduquer: Comment ont été développées vos actions?
P. F: Nous les avons pensées et divisées en trois phases: un mois avant le 8 mars, une semaine avant la date butoir et les actions du jour J. Avant le 8 mars, nous avons organisé des ateliers de sérigraphie, de création de badges, de pochoirs, de banderoles mais aussi d’échanges d’idées, de slogans. Puis, diverses actions de sensibilisation ont été menées comme des balades dans la ville pour décorer et appeler à la grève, des moments de rencontre et d’information tout à fait informels sur les marchés, dans les cafés, sur les places et même du porte à porte. Via un groupe Whatsapp, on appelait les femmes à porter un foulard mauve et à nous rejoindre dans la ville, pour distribuer des flyers, coller des affiches. Des rendez-vous étaient fixés à l’avance et venait qui le souhaitait.
Éduquer: Quels étaient vos objectifs en termes de visibilité de la mobilisation?
P. F: Pour le 8 mars, l’important est de parvenir à informer un maximum de personnes de notre intention de manifester, même si ce n’est pas capital d’être présentes à la mobilisation pour lutter pour une égalité femmes-hommes. Notre volonté est de lancer un mouvement qui va perdurer dans le temps. Il s’agit davantage d’inviter les femmes à faire du bruit à 14 heures, peu importe où elles se trouvent. Pour celles qui ne peuvent pas se joindre à nous, l’accent a été mis lors de nos campagnes d’information, sur cette possibilité pour chacune de s’arrêter de travailler. Plus tard, nous allons prendre possession de l’espace public et manifester aux côtés du collectif de la Marche Mondiale des Femmes Belgique1.
Éduquer: Déjà, quelques semaines plus tôt, lors de la grève générale belge du mercredi 13 février, vous organisiez une cyclo-tournée des piquets de grève. Vous poursuivez aussi un objectif de convergences des luttes, pouvez-vous nous en dire plus?
P. F: On a tendance à cloisonner les luttes. Il y a le climat, les pensions, les profs… alors qu’en réalité ce sont les femmes qui sont les plus précaires des précaires. Si les grévistes du 13 février demandent une augmentation salariale, nous les soutenons mais nous les renforçons en demandant une égalité salariale qui vienne enfin supprimer cet écart femme-homme qui est toujours de 20%. Les travailleuses méritent mieux et ensemble, nous sommes plus fortes. Nous nous sommes également montrées solidaires avec le climat et les étudiant·e·s en allant manifester à leurs côtés les jeudis. J’ai été moi-même enseignante dans le secondaire et je suis convaincue que les professeurs doivent faire des mobilisations actuelles, un véritable sujet de cours. J’y vois là une opportunité réelle et forte de soutenir les jeunes dans leurs actions. D’autant plus que le secteur de l’enseignement est aussi un secteur devenu très féminin au fur et à mesure qu’il s’est détérioré.
Éduquer: Quelles sont les autres revendications du Collecti.e.f 8 maars?
P. F: Outre l’égalité salariale, il y a évidemment la question des temps-partiels qui sont toujours assurés à 90% par des femmes. Lors d’une action au Westland shopping, nous sommes allées à la rencontre des professionnelles de la vente qui sont contraintes de travailler avec des horaires coupés et des bas salaires. La question de la précarité des femmes étrangères sans-papiers est aussi au centre de nos préoccupations. Elles travaillent majoritairement de manière informelle autour des tâches domestiques, dans l’horeca, la prostitution. Les femmes non-blanches (ou racisées) sont elles, les premières victimes du travail précaire (temps-partiels, contrats précaires, horaires morcelés, métiers peu valorisés) et des discriminations à l’embauche, y compris dans le service public.
Éduquer: Le 8 mars, vous appeliez également les femmes à ne pas s’occuper des enfants notamment. Que vouliez-vous provoquer?
P. F: L’appel aux femmes lors de la grève du 8 mars était effectivement multiple. Ce que nous souhaitions également rendre visible c’est tout ce travail invisible des femmes, celui du care en anglais, c’est à-dire les services et les soins apportés aux enfants, les tâches domestiques… En Belgique, les femmes consacrent, par semaine, 1h30 de plus que les hommes au soin et à l’éducation des enfants et 8h de plus pour les tâches ménagères. Notre société a tendance à considérer que ce qui se passe dans la famille est privé et doit se gérer tout seul mais en réalité, tout est politique et du ressort de la responsabilité collective.
Éduquer: Comment envisagez-vous l’après 8 mars? Comment allez-vous faire perdurer le Collecti.e.f 8 maars?
P. F: Nous souhaitons vraiment nous plonger dans l’intersectionnalité et la convergence des luttes. Et de fait, nos revendications portent tant sur les pensions que sur l’égalité salariale, la gratuité et la qualité des services publics, le partage des tâches domestiques, une éducation non sexiste, la critique des produits orientés «femme» et ces injonctions de beauté et de sourire, l’accès gratuit et sans restriction à l’IVG (Interruption Volontaire de Grossesse), la fin des féminicides (encore 35 femmes tuées par leur ex-conjoint en 2018), et l’accueil de femmes victimes de violences, la régularisation de toutes les personnes sans-papiers et la lutte contre le racisme.
Éduquer: Qu’est-ce qui uni toutes les femmes selon vous?
P. F: Comme je viens de l’évoquer, nous, les femmes, subissons toutes des oppressions spécifiques dues à notre genre. Les féministes des années 70 ont porté le slogan «le privé est politique» pour montrer que l’exploitation des femmes s’exerce partout et tout le temps, au travail, dans la rue, à la maison. Je crois que «les grèves des femmes» d’aujourd’hui font ce lien politique entre la nécessité d’imposer un rapport de forces sur le lieu de travail mais également dans tous les espaces de la vie quotidienne. Et en cela, je pressens qu’elles s’inscriront dans le temps et parviendront à rallier de plus en plus de monde.
Maud Baccichet
www.marchemondialedesfemmes.be
1. La Marche mondiale des femmes est un réseau mondial d’actions de lutte contre la pauvreté et la violence envers les femmes. Née en 1996, la Marche mondiale des femmes est rapidement devenue un mouvement mondial incontournable et a recueilli, en 2000, l’adhésion de près de 6000 groupes de femmes à travers 163 pays et territoires du monde. En Belgique, la Marche a mobilisé plus de 80 organisations de femmes et le 14 octobre 2000, quelques 35 000 femmes ont participé à une manifestation européenne deux jours avant une marche de clôture à New York devant les Nations Unies. La marche a permis de rendre visible, de renforcer et de solidariser les groupes de femmes belges autour de revendications communes contre la violence et la pauvreté à l’égard des femmes.