Il me semble important d’être attentif aux conditions dans lesquelles les uns et les autres apprennent. Certaines conditions facilitent les apprentissages, d’autres les freinent. Tel est pour moi le sens des pédagogies dites « actives ».
Les processus de l’apprentissage chez les enfants et les adultes reposent sur des mécanismes, sinon identiques, du moins comparables. Mais les conditions dans lesquelles l’adulte en formation se trouve, diffèrent de celles de l’enfant.
Chez l’enfant, comme chez l’adulte, l’apprentissage s’effectue en relation avec le vécu et les acquis de l’expérience, mais celle accumulée par le second est beaucoup plus étendue et la façon dont il s’y rapporte est différente de celle de l’enfant. De même, l’enfant et l’adulte ont en commun une certaine capacité d’adaptation, de flexibilité, d’ouverture à ce qui est nouveau. Mais l’enfant se prêtera plus facilement à la fantaisie du jeu que l’adulte en formation. Celui-ci est, en effet, pris dans des contraintes liées à des fonctions, des rôles, des responsabilités ou la charge de travail dans un horaire bien rempli. On ne peut ignorer ces contraintes. Elles conditionnent ses apprentissages et il faut en tenir compte.
Dans mes formations, j’observe qu’une connaissance authentique est plus facilement acquise par l’adulte quand elle est en lien avec les problèmes qui le concernent et qu’il peut activement s’en saisir. Il sélectionne alors plus aisément ce qui lui est vraiment utile et il l’intègre mieux dans son bagage. C’est pourquoi, il est toujours préférable de définir avec les participants le programme de la formation et d’être très attentif aux motivations qui sous-tendent la volonté d’apprendre. De ce point de vue, un savoir sans horizon d’action et sans mise en pratique me semble moins propice à être appris.
L’expression des motivations sous-jacentes ou leur manifestation est pour une large part fonction du climat dans le groupe en formation, et notamment, de la qualité des relations entre les participants et la formatrice ou le formateur. Cet aspect relationnel est une autre condition importante de l’apprentissage chez l’adulte.
Cette idée était, comme on le sait, à la base de l’approche de Carl Rogers (1902-1987). Il considérait que l’enseignant devait être une personne présente à part entière, et pas l’incarnation d’une exigence scolaire abstraite. C’est en tant que tel que le formateur met à la disposition des autres ses compétences. Celles-ci résultent de son parcours personnel et c’est en tant que personne qu’il se met, authentiquement, au service du groupe d’apprenants.
Cela ne signifie pas, pour autant, que le formateur d’adultes partage seulement un vécu et jamais un savoir, une « matière » ou un contenu. Lorsque j’anime une formation, je mets à la disposition des participants des savoirs passés au crible de mon expérience. Je peux, à ce titre, en tant que personne, partager les compétences qui me sont utiles, par exemple dans la conception et l’animation de projets dans le non-marchand. Ainsi, il ne s’agit pas de la transmission d’un savoir qui serait détaché de mon expérience propre ou de ma personne. Il s’agit d’un échange basé sur la reconnaissance réciproque d’un caractère d’utilité.
Apprendre des apprenants
La façon dont les participants interagissent avec les séquences et les dispositifs, la manière dont ils intègrent les connaissances nouvelles m’intéresse. Elle m’apprend beaucoup sur l’objet même de ma formation et je ne quitte jamais une journée de formation sans avoir appris quelque chose du groupe ou des individus qui le composent. Ce faisant, je me sens moins dans la situation d’un enseignant qui donne cours que dans celle d’un groupe d’apprenants en activité. Je pense que ce type de rapports entre le formateur et les participant(e)s offre de meilleures conditions d’apprentissage avec les adultes.
Quand je rencontre une nouvelle formatrice ou un nouveau formateur qui se propose de travailler avec la Ligue, je m’intéresse beaucoup à l’authenticité de la personne et à la façon dont elle entretient un rapport de sincérité absolue avec elle-même et avec son savoir. Je pense, en effet, que ce rapport de sincérité augmente la capacité à se mettre de manière désintéressée au service des autres. Et cette mise à disposition désintéressée est une autre condition d’apprentissage chez les adultes qui me semble importante.
L’attention portée aux conditions de l’apprentissage doit intervenir dès la programmation. Les conditions matérielles, les horaires, les prix, le nombre de participants font partie des conditions de l’apprentissage directement liées au projet de formation. Le plus important reste que le programme de chaque module soit en adéquation avec les attentes du public. Une fois publié, il constitue, selon moi, une sorte de contrat avec le public et le respect de celui-ci répond à une sorte d’engagement de base sur la qualité de ce qui est offert et sera reçu.
D’un autre côté, lorsque le formateur entre en contact avec le groupe, ou durant le déroulement d’une journée de formation, il peut faire une place à l’autre dans ce qui avait été programmé. Cet ajustement du programme est une forme d’hospitalité dans la formation. Le programme est comme le code de politesse qui permet à l’hôte et à son visiteur d’entrer en interaction. Mais le code ne dit pas ce que sera la conversation. Le programme ne le fait pas davantage.
Ce qui est sans doute spécifique à une formation, c’est que les apprentissages s’effectuent en groupe. A la différence d’un enseignement ex cathedra qui individualise les apprentissages, la formatrice ou le formateur doit s’occuper autant du groupe que des participant(e)s qui le compose.
Notre société développe une vision très individualiste et très compétitive de l’enseignement. Mais dans le domaine qui est le nôtre et qui accorde une très grande place aux savoirs être et aux savoirs faire, je pense que l’individualisme a plutôt tendance à bloquer les apprentissages, tout comme la compétition entre les individus.
La vision individualiste de l’enseignement tend à enfermer le savoir dans les limites de la conscience des individus. Alors qu’un savoir authentique n’est jamais clos sur lui-même, mais ouvert et exposé à l’altérité : en formation, il a partie liée avec l’expérience vécue en groupe. Celui-ci fait donc également partie des conditions qui influencent l’apprentissage chez les adultes.
Patrick Hullebroeck, directeur de la Ligue de l’Enseignement