La sortie artistique et la pratique expressive des jeunes ont des exigences spécifiques qui s'acquièrent progressivement et déterminent, pour une large part, le désir de théâtre. Cette culture de la formation requiert l'implication des enseignants et des parents. C'est sur ce postulat que la Ville de Bruxelles a créé, en 1995, La montagne magique afin d'allier accueil de spectacles professionnels, ateliers d'initiation, temps de réflexion et de rencontre.
L'immense responsabilité des adultes
Les jeunes ne vont pas spontanément vers le théâtre ! Y aller et en faire relèvent de comportements acquis par l'éducation. La responsabilité des adultes est donc immense. Et de rappeler aux artistes, parents, enseignants et programmateurs que les enfants sont des adultes en devenir, et non un parc de loisirs infantilisants.
Aux adultes donc d'éviter les pièges des produits calibrés où le plaisir factice remplace l'émotion vraie, de bannir les produits formatés qui correspondent davantage à des intentions mercantiles qu'à la volonté réelle de développer la personne et la société. Aux adultes donc de privilégier, dans leurs choix, des spectacles dont la qualité artistique contribue à régénérer et à générer l'imaginaire de notre époque, à toucher au cœur les spectateurs, et de maximiser leur rencontre avec les œuvres scéniques.
Alors il est exaltant d'apprendre aux jeunes à aimer le théâtre et à en découvrir ses codes. Car leur initiation artistique repose sur un engagement fort dont l'énergie – mentale, affective et physique – et la permanence – enthousiaste, compétente et généreuse – se nourrissent d'idéaux de beauté et de valeurs humaines qui relèvent de défis décapés de toute banalité.
Le choix de la qualité
Croyant bien faire, écoles et familles se laissent souvent abuser par des propositions démagogiques, médiocres ou régressives qui n'ont rien à voir avec les enjeux émancipateurs véritables de l'éducation artistique de la jeunesse.
L'art du théâtre, antidote à la myopie du sens, est un mélange harmonieux d'invention, de questionnement, de complicité, de vivacité et de beauté. A la croisée de l'intime et du collectif, il concourt à la construction intellectuelle et affective de la personne, au développement de la sociabilité et à l'élaboration de la conscience citoyenne.
Quand tout est montré, il n'y a plus rien à penser ! L'ennemi n°1, c'est donc le réalisme figuratif qui ignore que le théâtre est une fiction recourant à la métaphore ou à la métonymie, à l'allusion ou à la suggestion. Un camaïeu de tissus peut évoquer une saison, un jeu de lumières peut suggérer une ambiance, un élément de costume suffit à identifier un personnage, un objet peut susciter l'idée d'un lieu... Le théâtre est l'espace de la pensée symbolique, une des formes les plus achevées de l'esprit humain.
L'ennemi n°2, c'est ignorer que le théâtre est un art du récit aux cheminements parfois complexes, aux détours nécessaires au développement de l'imagination. Trouver le «fil rouge» de l'histoire fait partie de la dynamique mentale du spectateur. Etre attentif, accepter certaines lenteurs: l'art du théâtre se développe dans la durée, non dans la précipitation, il s'adresse à la pensée en train de s'élaborer, pendant et après la représentation. Le regard actif et l'écoute attentive sont fondateurs de l'attitude du spectateur.
Des rituels pour faire aimer
Manger et parler en regardant, cela se fait devant son poste de télévision. Arriver ou sortir de la salle à n'importe quel moment, cela se fait au cinéma.
Pas au théâtre !
Aller au théâtre, c'est participer à un cérémonial communautaire, à un rituel initiatique qui s'apprend. Collectif partagé, le théâtre, expérience éthique et esthétique, crée aussi du lien social. Et les rites de passage sont la mère de toute éducation: apprendre à aimer et aimer apprendre !
Informer
Quand on va au théâtre avec ses élèves, on s'informe au préalable. Cette recherche de renseignements donne sens à la sortie théâtrale et crée le désir, prémisses éducatives du comportement «amoureux».
Motiver
Le théâtre est pluriel et infini: osez l'inconnu et vos élèves feront des découvertes inattendues et inespérées. Ils apprendront à se laisser surprendre pour entrer progressivement dans les mystères de la création artistique. Comme dans l'acte d'aimer !
Ne pas dévoiler l'histoire ni déflorer la réalisation scénique: l'idéal consiste à mettre ses élèves en appétit et à les embarquer dans une belle aventure. Et le charme opère: les enfants sautent «de l'autre côté du miroir» et entrent dans l'univers de la fiction.
S'imprégner
Se rendre au théâtre, c'est souvent braver les énervements dus aux embouteillages de la circulation ou aux contrariétés des transports en commun. Prévoyez d'arriver un peu avant l'heure afin que vos élèves s'imprègnent de l'atmosphère du lieu et se mettent dans les meilleures conditions de visionnement du spectacle.
Apprendre à aimer le théâtre, c'est aussi se rendre dans une salle bien adaptée: comment réellement apprécier la «magie» d'une représentation si elle se déroule dans un réfectoire aux relents de cuisine ou une salle non occultée aux sièges inconfortables ?
Apprécier l'accueil
On ne passe pas si facilement de l'agitation extérieure de l'arrivée à l'attention interne requise par la représentation. Vous devez donc vous sentir accueillis ! Vous apprécierez alors le petit mot de bienvenue et la présentation de la séance par un responsable du lieu heureux d'offrir au public un moment de bonheur. Vos jeunes spectateurs seront silencieux et orienteront leur attention vers la scène. Et vous vous rendrez compte que vous avez bien fait de venir.
Regarder et écouter attentivement
Au théâtre, on ne peut vivre des émotions, nourrir son intelligence et alimenter son imagination qu'à la condition essentielle de regarder et d'écouter attentivement. Le regard et l'écoute ne sont pas affaires de réception passive mais d'intentionnalité: plus on cherche quelque chose, plus de chance on a de la trouver.
Dites donc à vos élèves que regarder, c'est chercher dans de l'image (décors, lumières, costumes...), et qu'écouter, c'est chercher dans du son (paroles, musiques, bruits...). Chaque fois qu'un spectateur réagit d'une manière intempestive, il doit savoir qu'il perturbe la concentration des autres spectateurs. Et dérange aussi le jeu des acteurs.
Le plaisir et l'émerveillement au théâtre sont à ce prix. Les enfants le savent: ils sont capables de capter et de s'approprier les informations du récit et les signes de la scène. De donner sens aux voix, gestes, mouvements... et de goûter à leur charge affective. Les enfants deviennent ainsi des spectateurs éclairés qui affinent sans cesse la qualité de leur plaisir théâtral. L'aventure est de plus en plus passionnante !
Une échelle vers un autre monde !
Au théâtre, on arrive à faire tout ce qui n'existe pas, à vivre des choses impossibles et incroyables. Voir du théâtre peut donner envie à vos élèves d'en faire. Improviser, écrire, agir, incarner des personnages, explorer le temps et l'espace.
En atelier avec et devant ses camarades. Ou mieux encore, sur la scène d'un vrai théâtre devant un vrai public: une exaltante valorisation de l'activité des élèves et une légitimation du travail des enseignants impliqués.
Le théâtre alors irradie la ferveur de tous les partenaires !
Roger Deldime, sociologue du théâtre et directeur de La montagne magique
Quelques ouvrages récents de Roger Deldime publiés aux Editions Lansman
- Odyssée théâtrale des jeunes. Chronique d'un voyage initiatique, 2009 ;
- Les voleurs de feu. Lexique pour l'éducation théâtrale, 2011 ;
- Théâtre mosaïque des cultures, 2012 ;
- Des spectacles et des artistes. Tendances actuelles du théâtre jeunes publics, 2012 ;
- Sources & Sommets. Désirs de transmission, 2013.
Si vous souhaitez vous informer sur toutes les activités en cours du Théâtre La montagne magique
Site:
www.theatremontagnemagique.be
Centre de documentation théâtrale
(livres et revues sur le théâtre et l'éducation)
57 rue du Marais à 1000 Bruxelles
Uniquement sur rendez-vous: 02 210 15 90