Alors que le Pacte pour un Enseignement d’excellence est annoncé comme la nécessaire et ambitieuse réforme de notre enseignement, il semble intéressant d’effectuer un « retour en arrière » du côté de la précédente volonté de réforme portée par le Décret « Missions » qui, en 1997, visait notamment à « amener tous les élèves à s’approprier des savoirs et à acquérir des compétences » et d’« assurer à tous les élèves des chances égales d’émancipation sociale ».
Sur le plan de la démocratisation, les derniers indicateurs de l’enseignement publiés par la Fédération WallonieBruxelles informent que, malgré une régression sensible du taux d’échec durant la dernière décennie, notre enseignement francophone reste particulièrement discriminatoire : « près d’un élève sur six est en retard scolaire à la fin de l’enseignement primaire et c’est le cas de près d’un élève sur deux en fin de secondaire ». De surcroît, on peut y lire que « les effectifs scolaires en FWB se répartissent de manière différenciée selon l’indice socio-économique du lieu de résidence des élèves ».
Quant aux savoirs et compétences, aucun indicateur sérieux n’est proposé, en dehors d’un bref passage de la préface ministérielle, relatif aux résultats « globalement encourageants » des élèves au CEB 2015 et aux constats en demi-teinte de l’enquête PISA 2015.
Repérer si les élèves deviennent effectivement compétents à l’école constitue l’indicateur d’une certaine appropriation pédagogique du Décret « Missions » par les enseignants. La recherche que nous avons menée avait, dès
lors, pour but de s’intéresser à la notion de compétence, en la considérant comme un indice particulièrement fin des changements (ou non) de pratiques pédagogiques dans nos écoles. Si les textes légaux définissent la compétence comme « l’aptitude à mettre en œuvre un ensemble organisé de savoirs, de savoir-faire et d’attitudes permettant d’accomplir un certain nombre de tâches », nous leur préférerons la définition de Rey (2014) qui considère qu’être compétent, c’est « être capable de mobiliser à bon escient, dans des situations sans cesse inédites et complexes, un certain nombre de ressources constituées par des habiletés élémentaires automatisables appelées ‘procédures’, parfois nommées ‘savoir-faire’, ainsi que des connaissances parfois nommées ‘savoirs’ ».
C’est en ce sens qu’à la fin des années 90, une équipe du Service des Sciences de l’Éducation de l’ULB, composée de Rey, Carette, Defrance et Kahn, désireuse de construire à la fois une évaluation à caractère diagnostique et d’évaluer des compétences, met au point un modèle d’évaluation en trois phases. Entre 1999 et 2001, ces chercheurs éprouvent l’outil auprès de près de 1200 élèves de 3e et 6e primaire. Les résultats de leurs investigations sont sans appel : les élèves maîtrisent relativement bien les connaissances et les procédures auxquelles l’école les a entraînés. En revanche, ils éprouvent de grosses difficultés à les mobiliser face à une tâche nouvelle et complexe. Autrement dit, ils ne sont pas compétents. Ce constat n’avait rien d’étonnant alors que les compétences venaient juste d’être décrétées.
Une vingtaine d’années plus tard, qu’en est-il ?
En mai 2017, nous avons donc repris une épreuve d’évaluation de compétences dans son intégralité et l’avons proposée à 337 élèves, issus de 18 classes de 6e année primaire. En synthèse, « Les murs de la classe » est une épreuve pluridisciplinaire puisqu’elle met en jeu des compétences en lecture, en expression écrite, en numération et opérations, en grandeurs et en traitement de données. Les deux premières phases reposent sur le fait que des élèves, en l’absence de leur institutrice malade, décident de repeindre la classe. Il s’agit donc de calculer les dimensions de la classe, de commander le matériel et de rédiger une demande d’autorisation à la directrice.
Comme en 20011 , il ressort de cette évaluation de très nettes différences de performances entre les trois phases. La première phase est la plus exigeante, elle évalue des compétences, donc nécessite de mobiliser et de combiner un grand nombre de procédures et de faire appel à des connaissances. Elle débouche sur une performance moyenne de 50 % (44 % en 2001) qui met en lumière les difficultés rencontrées par les élèves face à une tâche inédite et complexe. La seconde phase propose les mêmes tâches qu’en phase 1, mais avec un découpage en tâches partielles et élémentaires censé aider les élèves. Une faible progression est perceptible par rapport à la phase 1 puisque la performance moyenne s’élève à 54 % (55 % en 2001). Enfin, la troisième phase, qui n’évalue que des tâches simples, décontextualisées, faisant appel aux procédures et connaissances élémentaires qui devaient être mobilisées pour accomplir la tâche complexe de la phase 1, connaît une forte progression des performances puisque la moyenne générale s’élève à 76 % (66 % en 2001). Une performance qui mérite d’être nuancée par le fait que les résultats moyens en mathématiques (67 %) sont très largement inférieurs aux résultats moyens en français (86 %). Ces difficultés en mathématiques s’observent d’ailleurs sur l’ensemble de l’épreuve puisque les performances des élèves n’atteignent que 28 % en phase 1. 41 % en phase 2 et 67 % en phase 3.
Ces résultats permettent de constater que, comme dans les années 2000, l’institution scolaire se montre globalement efficace pour enseigner et évaluer des procédures élémentaires mais qu’elle peine à rendre les élèves véritablement compétents. Ils ouvrent la porte à des constatations et des réflexions qui dépassent largement le cadre des seules classes évaluées et de leurs titulaires ; les performances des élèves à cette évaluation diagnostique sont en effet le reflet de pratiques collectives et de processus longs, mis en place dès l’entrée des élèves en section maternelle. Les observations qui y sont associées concernent donc l’entièreté des équipes pédagogiques et constituent une précieuse invitation à la réflexion collective.
Un modèle d’évaluation diagnostique peu connu
Ce modèle d’évaluation diagnostique est, par ailleurs, la preuve illustrée que des outils concrets et pertinents peuvent émerger de la recherche universitaire, être mis à disposition des enseignants et constituer des pistes d’accompagnement stimulantes dans leurs réflexions personnelles et/ou collectives. En l’occurrence, il est particulièrement symptomatique de constater que ce modèle, diffusé à l’époque sous forme de dossier pédagogique dans les écoles et disponible sur le site internet de la FWB, soit resté aussi massivement inconnu des acteurs de terrain. Un tel état de fait est sans nul doute la parfaite illustration qu’il ne suffit pas de diffuser largement des outils efficaces, dans une logique « top-down », pour qu’ils s’implantent dans les écoles. Ceux-ci doivent faire l’objet de relais, de soutiens importants et continus pour que les acteurs de terrain les découvrent concrètement et se les approprient véritablement et durablement. Construire des compétences à l’école s’intègre donc dans une logique globale qui dépasse de loin le seul cadre légal, l’institution de nouveaux référentiels ou la bonne volonté individuelle. La prise de conscience du caractère indispensable de ces changements de pratiques nécessite, encore aujourd’hui, un véritable travail de fond et de pédagogie auprès des enseignants, de leur formation initiale à leur accompagnement sur le terrain, au cœur même des équipes pédagogiques.
En conclusion, une réforme nécessite cohérence et persévérance déployées sur un temps long. Or les efforts mis en œuvre pour soutenir son implantation ne le sont jamais sur le long terme : l’agenda politique rend difficile ces perspectives et contraint à l’implémentation régulière de nouvelles réformes auxquelles il est laissé peu de temps, donc peu d’avenir, jusqu’à la prochaine réforme. En montrant que l’approche par compétences n’est toujours pas véritablement « entrée » dans l’école, nos observations montrent que l’esprit du décret « Missions » n’a pas véritablement percolé dans les pratiques enseignantes et, pourtant, une nouvelle réforme du système éducatif est à nouveau envisagée.
Dominique Verlinden, Master en Sciences de l’Education et Directeur d’école fondamentale, sous la direction du Professeur Sabine Kahn
Le mémoire, dont est extrait ce texte, a reçu, cette année, le prix de la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente. Créée en 2015, dans la lignée de sa collaboration avec l’Université Libre de Bruxelles, cette distinction récompense, chaque année, un mémoire de fin d’études en Sciences de l’Éducation qui rencontre les objectifs et préoccupations de la Ligue dans sa défense d’un enseignement de qualité, et dont les résultats pourront nourrir les réflexions et la pratique des acteurs et actrices de terrain.
1. Rey, B., Carette, V., Defrance, A. et Kahn, S. (2003). Les compétences à l’école. Bruxelles : De Boeck