Mémorandum de la Ligue

Un nouveau Pacte scolaire

Mémorandum de la Ligue de l’Enseignement et de l’Education permanente, asbl, en vue des élections régionales

A. Débloquer le système éducatif en Communauté française

L’enseignement en Communauté française est à l’image d’une machine grippée dans une société aux nombreux blocages : une législation compliquée, un système bureaucratisé et peu efficace, une dispersion des moyens matériels (bâtiments, équipements) et des ressources humaines dans une multitude de pouvoirs organisateurs, un faible niveau de performance éducative et un taux d’échec élevé, le décalage entre la déconfessionnalisation de la société et la persistance de structures d’enseignement confessionnelles. Comment mieux rencontrer les attentes de la population et des professionnels de l’éducation et disposer d’un service public d’enseignement performant, de qualité et neutre ?

La Ligue de l’Enseignement et de l’Education permanente, asbl, propose d’ouvrir un large débat sur la simplification de l’organisation de l’enseignement et invite les établissements de l’enseignement confessionnel à opter pour la neutralité en adhérant volontairement au décret du 17 décembre 2003 organisant la neutralité inhérente à l’enseignement officiel subventionné, conformément à l’article 8 du décret qui stipule que « tout pouvoir organisateur de l’enseignement libre subventionné non confessionnel peut adhérer aux principes du présent décret ».

Une législation et une réglementation compliquées, difficiles à appliquer

La production des textes légaux dans le domaine de l’enseignement est d’une grande complexité. Celle-ci résulte du Pacte scolaire qui repose tout entier sur l’opposition entre deux formes d’enseignement de caractères différents : l’enseignement confessionnel et l’enseignement non confessionnel ou neutre. Elle est le produit de gouvernements de coalitions hétérogènes, elle résulte de la consultation et du rapport de force des principaux acteurs de l’enseignement (les autorités politiques, les représentants des pouvoirs organisateurs, les syndicats et les associations de parents). Elle doit, en plus, tenir compte de la liberté de l’enseignement et des contraintes de l’article 24 de la Constitution et s’adapter à la diversité des statuts juridiques (Communauté française, communes, provinces, région de Bruxelles Capitale, asbl) des pouvoirs organisateurs. Conséquence : des textes nombreux, compliqués, souvent obscurs et difficiles à appliquer.

Un système bureaucratisé et coûteux 

La liberté d’enseignement et la multitude des opérateurs subventionnés de l’enseignement conduisent à une gestion complexe et très lourde pour les pouvoirs publics. Cette complexité concerne aussi bien le calcul des subventions à accorder (fonctionnement, équipements, bâtiments, encadrements, etc.), que le versement des subventions et le contrôle de leur utilisation. Sur le plan des personnels, les statuts diffèrent toujours d’un réseau à l’autre et empêchent de facto la mobilité des enseignants d’un réseau à l’autre. Cette situation a, par ailleurs, induit la multiplication des organes administratifs et de coordination dans les différents réseaux et les différents niveaux de l’enseignement. Toutes ces instances ont un coût, à charge du contribuable. Rouages d’un système complexe, elles en perpétuent les cloisonnements et l’existence en participant à son fonctionnement.

Le gaspillage sur le plan des équipements, des personnels et des finances publiques

La pluralité des réseaux de caractères différents a pour effet la mise en place de deux, voire trois ou quatre systèmes d’enseignement parallèles (enseignements neutres de la Communauté française, de la Région bruxelloise, des communes et des provinces, enseignements libre confessionnel et libre non confessionnel) entre lesquels il existe peu de contacts, peu de coordination, peu de partage de moyens, peu de partage des rôles et des tâches. Dans une telle situation, il est difficile pour l’autorité publique d’induire une politique éducative cohérente, économe de ses moyens et efficace quant à ses résultats.

Un faible niveau de performance

Toutes les dernières études le montrent. Le système éducatif en Communauté française est globalement peu efficace, peu performant et profondément inégalitaire. En 2006-2007, le taux de redoublement en primaire était de 24% et de 13,8% au niveau secondaire. A la fin du secondaire, à l’âge de 17 ans, plus de 60% des élèves sont en retard ! De plus, l’échec est réparti différemment selon les catégories de l’enseignement ordinaire. Sur les 37,8% des élèves de 17 ans qui sont « à l’heure », trois quarts sont dans l’enseignement secondaire de transition et un quart en qualification. D’autres indicateurs montrent que plus le jeune est issu d’un milieu défavorisé sur le plan socioéconomique, plus il est exposé au redoublement. Au total, 16,6% des jeunes de 22 ans restent sans diplôme de l’enseignement secondaire !

Tout cela a un coût : au plan social, le désarroi d’une jeunesse en panne, au niveau économique, le gaspillage de précieuses ressources humaines. D’un point de vue financier, le coût annuel du retard scolaire est, quant à lui, estimé à environ 350 millions d’euros.

L’inadéquation par rapport aux réalités sociologiques du pays

Les études et sondages montrent que la dimension religieuse n’est pas un critère qui compte pour la toute grande majorité des parents au moment du choix d’une école. La réputation de l’établissement, la proximité géographique, les locaux, les choix pédagogiques sont, au contraire, les critères qui déterminent le choix.

Dans les écoles, les enseignants du réseau « libre » se sentent de plus en plus en porte à faux par rapport au caractère confessionnel de leur école. Quand ils sont diplômés de l’enseignement officiel ou d’une université qui n’a pas de caractère confessionnel, il leur est demandé de faire abstraction de leurs convictions. Mais le projet d’école qui leur est demandé de respecter est lui-même évanescent dans sa dimension religieuse.

Le projet global de l’école chrétienne est lui-même de plus en plus contradictoire. « Mission pour l’école chrétienne », le projet éducatif de l’enseignement catholique, exige des enseignants qu’ils évangélisent en éduquant. Mais il leur est demandé de respecter la liberté de conscience dans le cadre d’un « pluralisme situé » et d’un dialogue entre la raison et les convictions. Ce verbalisme creux éclate au contact de la réalité, face à un public d’élèves de plus en plus multiculturel, indifférent, parmi lequel la pratique religieuse catholique est devenue quasiment nulle.

Les élèves, quant à eux, se moquent de toute cette hypocrisie d’adultes. Triste exemple d’inconséquence, il est vrai, pour qui a charge d’éduquer aux valeurs.

Une architecture dépassée dans un monde en transformation

L’enseignement en Communauté française est organisé sur base du principe des piliers, confessionnel et non confessionnel, qui, pour des raisons historiques, recoupe la distinction du secteur public (organisé ou subsidié) par la Communauté française et du secteur privé (subsidié par la Communauté française et qui dispose de ressources privées). Le secteur public organise un enseignement neutre, le secteur privé un enseignement confessionnel (catholique à quelques exceptions près) ou non confessionnel. Ce double clivage ne correspond pratiquement plus à aucune réalité sociologique dans le pays.

Le secteur privé tire ses moyens d’existence du financement public, ses enseignants sont directement et entièrement payés par la Communauté française, ils bénéficient d’un statut qui diffère peu d’un véritable statut de fonctionnaire, les objectifs poursuivis sont définis de la même manière par la loi pour l’enseignement public et privé, ainsi que le contrôle du niveau des études et leur sanction.

Le caractère confessionnel de l’enseignement privé, considéré comme service public fonctionnel, est également obsolète. Il ne correspond plus (sauf peut-être pour une minorité d’entre eux) aux attentes de la population ou des enseignants. Comment s’affranchir de cet écho du passé ?

 

B. Vers un nouveau Pacte scolaire

La Ligue de l’Enseignement et de l’Education permanente, asbl, propose de dépasser les clivages anciens et de formuler un nouveau Pacte scolaire afin de bâtir l’enseignement du XXIe siècle sur des bases démocratiques.

Comment débloquer le système éducatif en Communauté française ?

Par quel biais remettre le système en mouvement pour mieux rencontrer les attentes de la population et des professionnels de l’éducation et disposer d’un service public d’enseignement performant, de qualité et neutre pour tous ?

La cause principale du coût, de l’inefficience, de l’inefficacité, de la bureaucratisation et du caractère contraignant de notre système éducatif résulte de l’entremêlement inextricable du double clivage public/privé et confessionnel/non confessionnel. Celui-ci a conduit, depuis cinquante ans, à l’explosion des budgets de l’enseignement, à de vaines concurrences, à une désorganisation de l’offre d’enseignement, à l’incohérence du système et à sa bureaucratisation.

Assez paradoxalement, au nom de la liberté d’enseignement, les acteurs de l’enseignement se retrouvent dans un système très contraint qui réduit, quoiqu’ils en pensent, leurs marges de liberté et leur autonomie. Les enseignants du libre sont convaincus que le système actuel leur laisse une liberté pédagogique qu’ils perdraient si les clivages entre les réseaux étaient abolis. Mais en fait, leur « liberté » est bien gardée, d’un côté par la Communauté française, de l’autre, non seulement par leur pouvoir organisateur, mais aussi par le SeGEC et, selon les endroits, les autorités ecclésiastiques elles-mêmes.

Leur mobilité professionnelle est limitée et leur droit de négocier le projet éducatif de leur propre établissement bloqué. Qu’on ne s’y trompe pas, l’illusion est identique dans l’enseignement public subventionné. Seul les modes de fonctionnement diffèrent. Les mécanismes de la prise de décision sont ceux des instances publiques avec, pour contrainte supplémentaire, les devoirs et les procédures propres à la fonction publique, mais aussi la publicité des débats davantage garantie. Quant à la Communauté française, ses établissements bénéficient d’une gestion autonome, mais, comme dans les autres réseaux, il faut gérer au jour le jour l’étroitesse des budgets d’une Communauté en pénurie de moyens.

Comment sortir de ce pseudo régime de liberté ?

La Ligue de l’Enseignement et de l’Education permanente considère qu’il faut augmenter la convergence du système et favoriser l’esprit de collaboration entre les établissements scolaires.

La Ligue continue de penser qu’un système unique d’enseignement de nature publique est la forme d’organisation la plus efficiente. Mais on ne peut faire table rase du passé et des formes d’organisations existantes. De ce point de vue, vouloir ramener l’ensemble des pouvoirs organisateurs à un système unique est une chimère. Pourtant, davantage de convergence, de vraies collaborations pour faire face aux problèmes, l’amélioration de l’offre d’enseignement, une allocation optimale des moyens sont des motifs suffisants pour chercher à faire évoluer la situation.

La Ligue propose, dans ces conditions, une voie alternative.

L’éparpillement des pouvoirs organisateurs et la complexité du système sont le résultat de l’opposition du cléricalisme et de l’anticléricalisme. Cette opposition de la raison et de la foi a conduit, dans une logique de compromis et d’aménagements successifs, à la complication invraisemblable de nos institutions scolaires.

L’organisation pilarisée de l’enseignement ne fait plus sens. Elle devient une scorie du passé qui n’est plus, ni intellectuellement défendable, ni pratiquement justifiée.

En ce sens, la Ligue propose que l’enseignement privé abandonne d’initiative son caractère confessionnel et opte pour les principes de la neutralité. 

Quels sont en effet les enseignants du réseau catholique qui souhaitent voir entrer dans leur rôle une mission d’évangélisation, alors que c’est expressément ce qu’exige d’eux le projet éducatif de l’enseignement catholique ? Combien sont les enseignants du réseau catholique qui ne considèrent pas leurs convictions personnelles comme privées et qui souhaitent enseigner sans pour autant chercher à influencer leurs élèves dans le sens de leurs choix personnels ou dans le sens commandé par leur institution ? En d’autres termes, quels sont les enseignants qui ne souhaitent pas, de nos jours, travailler dans le sens des principes et des valeurs énoncés par le décret sur la neutralité de l’enseignement subventionné du 17 décembre 2003 ?

La Ligue propose concrètement que le gouvernement de la Communauté française mette cette question à l’agenda de son programme de gouvernement. Concrètement, il s’agirait dans un premier temps d’organiser un grand sondage sur l’opportunité de l’évolution de l’enseignement confessionnel vers la neutralité auprès des personnels et des parents de l’enseignement libre sur le thème de la neutralité, telle qu’elle est définie dans le décret du 17 décembre 2003.

La Ligue propose également que ce sondage puisse être précédé d’une campagne d’information dans toutes les écoles sur ce thème. En effet, si les formations à la neutralité se sont généralisées dans les écoles qui assurent la formation des enseignants depuis 2004, elles n’ont encore touché qu’une minorité d’enseignants effectivement en charge dans les écoles. Les parents quant à eux, et le grand public en général, ont jusqu’ici été peu sensibilisés à cette question et il semble qu’une bonne information est la base du débat public proposé par la Ligue.

Enfin, la Ligue suggère que le gouvernement organise, pendant la prochaine législature, une table ronde réunissant experts et responsables des différents réseaux et de différentes sensibilités afin d’étudier le thème de la neutralité et de dégager des pistes sur l’évolution de la déconfessionnalisation de l’enseignement libre subventionné.

Le Bureau de la Ligue de l’Enseignement et de l’Education Permanente, asbl

Le 26 janvier 20O9

Texte rédigé par Patrick Hullebroeck, directeur