Changer l’école
Jeudi 19 octobre 2017
L’enseignement, dans sa dimension institutionnelle comme dans le processus éducatif lui-même, engage, par sa nature même, la longue durée. Quand il faut à une entreprise automobile une dizaine d’années pour élaborer un nouveau modèle,
Eduquer 132: Dossier spécial / Crise politique
de la conception à la fabrication, et le vendre, il faut bien davantage pour faire d’un jeune enfant, un adulte averti, compétent et avisé, en tant que personne humaine, acteur citoyen et agent économique. De fait, la vie entière ne suffi t pas pour en faire un être humain accompli. Mais quant à développer un nouveau système éducatif, il faut pour y réussir, regarder sans doute au-delà de la portée d’une génération…
Pour qu’un tel pacte ait une réelle signification, qui l’éloigne d’un simple moment réformateur ou « révolutionnaire », plusieurs conditions doivent être réunies : - il s’agit d’un accord politique, c’est-à-dire, un accord qui engage des signataires ayant une volonté de pacification et des responsabilités de gouvernement, ou, pour le dire autrement, il faut que le pacte soit signé par ceux là même qui l’exécuteront et qui sont en mesure d’en garantir la bonne exécution ; - il faut que l’objet de l’accord témoigne d’une ambition, c’est- à-dire, que le pacte apporte une réponse à un objet de dissentiment réel, qui bloque le développement de l’enseignement et empêche, à cause de son caractère conflictuel même, d’ouvrir de nouvelles possibilités de développement ; - il faut que la pacification qui résulte du pacte apporte des bénéfices tangibles et immédiats pour motiver le changement, mais il faut également, que ces bénéfices soient reliés à une perspective suffisamment large et généreuse, perçue comme une promesse d’amélioration à long terme, pour que l’accord ne demeure pas sans lendemain. Les enjeux actuels de l’enseignement et les transformations sociales, culturelles, techniques et scientifiques, qui préfigurent ce que sera l’avenir de la société, font sentir de manière pressante le besoin de renouveler en profondeur le cadre de l’enseignement. Pour cette raison, l’idée de rédiger un nouveau pacte sur l’enseignement méritait toute l’attention nécessaire. Mais encore fallait-il que ce pacte embrasse réellement la problématique dans toute sa complexité.« Le « Pacte pour un Enseignement d’excellence » à peine rédigé, devint « has been », aussitôt dépassé par l’évolution même de la situation politique qui en fit pour les uns, un alibi, et pour les autres, l’illusion d’un espoir passé.»
Des pactes inaboutis
Dans le passé, pactiser dans le domaine de l’enseignement a toujours supposé conjoindre le point de vue qui liait la formation à l’éducation religieuse et celui qui liait l’instruction à l’idée d’émancipation des individus. A différents moments de l’histoire, des accords politiques ou des mouvements réformateurs ont eu l’ambition de transcender la politique au jour le jour de l’enseignement. Mais qu’ils y aient réussi est plus rare. Ainsi par exemple, l’introduction de l’école pluraliste dans le texte de la Constitution, lors de la ré- forme de 1973, offrait la perspective d’un nouveau cadre de déploiement de la question de l’enseignement, à travers une offre éducative, basée moins sur des institutions neutres ou confessionnelles, que sur des écoles qui autorisaient l’expression de la diversité des convictions. Mais la concession politique majeure d’en faire un réseau supplémentaire, à côté des réseaux existants, au lieu d’en faire le caractère qui réunirait toutes les écoles, vida l’idée nouvelle, de toute substance. Dans le même sens, la ré- forme constitutionnelle de 1988 communautarisa l’enseignement dans un grand donnant-donnant communautaire, mais figea le partage de notre enseignement, en réseaux concurrents, sauvegardant les intérêts des opérateurs privés de l’enseignement au détriment de l’intérêt public. L e « Pacte pour un Enseignement d’excellence », qui s’annonça lui-même, par la voix de la Ministre de l’enseignement d’alors, Joëlle Milquet, comme ayant l’ambition de refonder l’enseignement à travers un accord de « tous les acteurs représentatifs de l’enseignement », est de cette sorte d’action inaboutie. Il apparut bien vite, en effet, qu’il s’agissait moins de pactiser authentiquement, que d’animer un grand pow-pow dans l’entre soi médiatique. Plusieurs aspects faisaient défaut pour qu’il puisse en être autrement : - les partis politiques de l’opposition (MR, Ecolo, Défi) ne furent aucunement associés aux travaux du « Pacte pour un Enseignement d’excellence », ni directement, ni via la représentation parlementaire, en Commission de l’enseignement du Parlement de la FWB, par exemple, privant ainsi les travaux de l’apport d’une part importante de l’opinion ; - les signataires du Pacte ne sont aucunement en mesure d’honorer leur signature et le texte n’engage en aucune manière ceux qui y ont contribué, soit qu’ils n’ont pas de responsabilité politique, soit que le texte de l’accord n’étant pas coulé dans un texte de loi, il n’a pas force de loi ; - le texte, d’un accès et d’une lecture difficile, s’apparente plus à un catalogue de bonnes (?) intentions qu’à un texte fixant effectivement un cadre et un cap nouveaux. Fondamentalement, le texte ne change rien à l’existant et n’a pas permis de formuler un accord sur la simple question : « quel enseignement voulons-nous ? ». Il perpétue les clivages sans rien apporter qui permette de transcender l’organisation actuelle de l’enseignement. - certains aspects, qui touchent justement à la forme même de l’offre d’enseignement, ont été explicitement et dès le départ, exclus de la discussion, empêchant que soient même évoqués le problème de la pluralité des ré- seaux de caractères différents, les mécanismes de financement qui génèrent la concurrence entre eux et la conception restrictive du libre-choix qu’elle perpétue ; - au cours même du processus d’élaboration du « Pacte », des questions importantes, qui touchent au pilotage de l’enseignement, ont fait l’objet de nouvelles législations, notamment dans le décret dit « Fourre-tout », adopté en février 2016. Ce décret, accouché et adopté dans la douleur, instaure notamment le plan de pilotage, basé sur une conception managériale de la qualité. Cette conception pour discutable qu’elle soit, a fait l’objet d’une législation, bien qu’elle fut contestée par certains acteurs du Pacte, alors que d’autres aspects, parties intégrantes du Pacte, tel le prolongement du tronc commun ou la gratuité, sont demeurés sans suite ou sont renvoyés à plus tard ; - enfin, le Pacte n’est même pas parvenu à coordonner de manière crédible la soi-disant refondation de l’enseignement qu’il ordonne, avec la réforme de la formation initiale des enseignants qui, en parallèle et durant de longues années, était en cours d’incubation. L’incapacité d’articuler la formation initiale et le contenu du Pacte en dit long sur l’incohérence de la démarche et l’absence d’un accord authentique. Pour ces raisons, la Ligue dé- nonce le caractère illusoire du « Pacte pour un Enseignement d’excellence » qui n’a pas conduit, ni à une refondation d’envergure de notre enseignement, ni apporté l’engagement politique réciproque des principaux partis que l’on doit attendre d’un pacte authentique. Le « Pacte pour un Enseignement d’excellence » à peine rédigé, devint « has been », aussitôt dépassé par l’évolution même de la situation politique qui en fit pour les uns, un alibi, et pour les autres, l’illusion d’un espoir passé.Un pacte désormais illusoire
Tout cela, la Ligue pouvait déjà le dénoncer au printemps (voir Eduquer, mars 2017). Mais voilà que ce 19 juin, contre toute attente, Benoît Lutgen, le Président du CdH, décide de rompre tous azimuts les coalitions avec son partenaire socialiste, sans s’inquiéter de ne pas avoir de majorités de rechange, ni craindre de laisser la FWB à la dérive, sans gouvernement, voire de la rendre ingouvernable. C’est montrer beaucoup d’irresponsabilité pour l’enseignement, la principale compétence de la FWB, et pour les politiques inachevées et abandonnées en l’état. A tout le moins, la crise montra la fragilité d’un Pacte, qui, sans avoir jamais complètement emporté l’adhésion des parties prenantes, ni été formellement signé, se retrouve désormais orphelin de ceux qui l’ont fait naître, sans qu’un prochain gouvernement ait, à l’avenir, l’obligation, même morale, de l’appliquer. Brusquement, le dossier de l’enseignement se voit renvoyé de la perspective à long terme d’un Pacte et d’une réforme en profondeur de la formation initiale des enseignants, à l’horizon étroit d’une crise politique à résoudre dans l’impréparation et avec pour seule perspective, l’achèvement cahin-caha d’un petit bout de législature, trop court pour qu’aucun projet ne l’habite. Tant de légèreté pour les dossiers de l’enseignement invitent à une grande circonspection vis-à-vis de la crédibilité du cdH et nombreux sont ceux qui n’envisagent pas, à l’instar de La Ligue de l’Enseignement et de l’Education permanente, dans la perspective de la bonne gouvernance qui est la rengaine du jour, de voir confier, une fois encore, les compétences de l’enseignement, à ce même parti.« À tout le moins, la crise montra la fragilité d’un Pacte, qui, sans avoir jamais complètement emporté l’adhésion des parties prenantes, ni été formellement signé, se retrouve désormais orphelin de ceux qui l’ont fait naître, sans qu’un prochain gouvernement ait, à l’avenir, l’obligation, même morale, de l’appliquer. »