L’instauration d’un cours de citoyenneté commun à tou-te-s les élèves, beaucoup l’espéraient. A la rentrée 2016, ce sera chose faite! Pourtant, si l’avancée est historique, on ne peut s’empêcher de constater une application en demi-mesure. Encore une fois, on constate un système à deux vitesses entre l’enseignement libre et l’enseignement officiel…
Mardi 6 octobre, la commission de l’Education, au Parlement, qui réunissait des politiques de tous bords, a approuvé le projet de décret relatif à l’organisation d’un cours d’éducation à la philosophie et à la citoyenneté proposé par la ministre de l’Enseignement Obligatoire, Joëlle Milquet.
Ce projet de décret est le fruit de différentes concertations… Petit retour en arrière ! Avant l’été, et conformément à la DPC, qui précisait : « le gouvernement instaurera, sous cette législature, dans les écoles de l’enseignement officiel, progressivement à partir de la première primaire, un cours commun d’éducation à la citoyenneté dans le respect des principes de la neutralité en lieu et place d’une heure de cours confessionnel ou de morale laïque », le gouvernement de la Communauté française a présenté un avant-projet de décret, compromis entre le PS, qui souhaitait voir un cours de citoyenneté commun à tous les élèves, et le cdH, soucieux de préserver les intérêts de l’enseignement libre confessionnel.
Une solution a été trouvée : les élèves du réseau officiel auront une heure par semaine de cours de citoyenneté à la place de la deuxième heure de morale ou de religion, et pour le Libre, le cours sera décliné dans les programmes des différents cours obligatoires et dans les activités développées dans le cadre des projets éducatifs, pédagogiques et d’établissements. Cela, non sur base d’un référentiel de compétences, comme prévu pour l’officiel, mais sur la base d’un « cadre général ». La formule arrangeait « à la fois le PS et les représentant-e-s de l’école officielle qui ne souhaitaient pas que l’école catholique se mêle de corédiger le référentiel fondant ce cours de citoyenneté, auquel l’officiel est si attaché et dont il compte faire un élément spécifique de son enseignement » (Le Soir du 19 septembre).
L’avis négatif du Conseil d’état
En septembre, appelé à se positionner, le Conseil d’Etat a rendu un avis négatif sur le texte : « en ce qu’il ne prévoit pas l’instauration d’un cours de philosophie et de citoyenneté dans les établissements libres subventionnés, le régime ainsi mis en place ne crée pas seulement une différence de traitement entre les établissements d’enseignement, il traite également de manière distincte les élèves qui fréquentent ces établissements ». Face aux critiques, du côté de la ministre, les justifications étaient diverses : un programme d’enseignement non extensible à l’infini ; le fait que les différences entre réseau officiel et réseau libre (qui fait le choix de cours philosophiques déterminé) est une différence objective qui justifie que, dans les réseaux officiels, on instaure un cours de philosophie et de citoyenneté mais pas dans le réseau libre ; de même, « l’instauration par décret d’un programme en tout point commun pourrait amener l’enseignement libre à supprimer une partie de l’éducation religieuse qu’il entend, au nom de la liberté qui est à la sienne , procurer à ses élèves. Elle porterait une atteinte disproportionnée au régime de l’enseignement libre dans une matière qui en fait la spécificité et dont les parents ont dû tenir compte dans le choix de l’établissement pour leur enfant ». Pourtant, en réponse au Conseil d’état, un accord a dû être trouvé. Les techniciens cdH et PS ont donc proposé fin septembre un nouveau texte.
Le projet de décret
Le texte, en plus de modifier le décret Missions (l’article 5 bis, en rendant obligatoire pour tous les établissements une éducation à la philosophie et à la citoyenneté), touche aussi à l’article 8 de la loi du 29 mai 1959, dite du Pacte Scolaire, puisqu’il introduit l’organisation d’un cours de philosophie et de citoyenneté dans l’enseignement officiel à raison de l’équivalent d’une heure par semaine en lieu et place d’une des deux heures de religion ou de morale. Pour rappel, le Pacte Scolaire, régulièrement fustigé par les laïques, avait été instauré pour mettre fin à la deuxième guerre scolaire qui divisait laïques et catholiques. Le Pacte Scolaire bouge, la symbolique est forte !
Si, après l’avis du Conseil d’Etat, le Ps a souhaité imposer à tous les réseaux d’enseignement, un même cours de citoyenneté, le cdH a bloqué. Le projet de décret reprend donc des caractéristiques de l’avant-projet. On retrouve, en effet, 1 heure hebdomadaire pour l’enseignement officiel et 30 heures dispatchées dans les différents cours obligatoires existants pour l’enseignement libre. Pourtant, et là est le changement, le texte impose un référentiel unique inter –réseaux qui i garantit les mêmes objectifs d’éducation, de compétences et de savoirs quel que soit le réseau ou l’établissement. Le cours interviendra donc dans la certification de la réussite de l’élève. Pour garantir l’harmonisation du cours, un corps d’inspecteur/trice-s de la citoyenneté sera développé et il aura pour tâche d’inspecter tous les réseaux. Le réseau libre, bénéficiera donc d’une double inspection – cours de religion/cours de citoyenneté.
Par ailleurs, le texte stipule, qu’en 2020-2021, les enseignant-e-s qui dispensent ce cours de citoyenneté devront détenir un titre pédagogique, titre qu’ont les professeurs de morale, actuellement.
Ce premier décret sera avalisé par un deuxième décret qui devrait être déposé en mars 2016. Ce texte adoptera les référentiels et assumera la fixation des titres et fonctions déterminés par la commission inter réseaux des titres de capacité, des conditions de formations et des modalités de l’inspection. Un groupe de 25 personnes issues du monde académique et de la société civiles plancheront sur ces questions.
Ajoutons, que lors de la présentation du texte en Commission de l’Education, la plupart des questions de l’opposition portaient sur la mise en place des formations pour les enseignant-e-s (formation initiale et continue), plus particulièrement sur la façon de gérer d’une part, les inquiétudes des enseignant-e-s pour leur statut et d’autre part, la nécessité pour les personnes en charge de ce cours de posséder les compétences adéquates.
Le contenu du cours
Que dit le décret ? Rapportons le texte, tel quel. « L’éducation à la citoyenneté vise donc à développer tant des connaissances et compétences que des attitudes et des capacités de discernement, de questionnement et d’esprit critique. (…) L’éducation à la citoyenneté est plurielle. Elle comporte une dimension liée aux savoirs mais elle implique aussi d’autres dimensions liées aux compétences, aux attitudes, à la pratique, aux questionnements personnels, éthiques et philosophiques, comme aux expériences collectives. Elle comprend, dans ce cadre, une dimension de déploiement à la fois personnel et collectif. Elle touche également à la connaissance et aux questionnements relatifs aux courants philosophiques et aux religions. Elle comporte des approches à la fois éthiques et philosophiques d’où résulte l’intitulé : « philosophie et citoyenneté » L’éducation à la citoyenneté ne peut donc se cantonner à un simple transfert de savoirs mais doit permettre la pratique, les expériences et initiatives multiples dans et à l’extérieur de l’école. L’approche devra varier selon le groupe d’âge auquel le cours s’adresse. »
Lors de la réunion de la Commission, on s’interrogeait de façon plus concrète : du côté d’Ecolo, on craignait que « le cours de rien devienne un cours de tout » (en référence à l’EPA - encadrement pédagogique alternatif). De son côté, la ministre réaffirmait l’importance d’aborder les questions du vivre-ensemble, de la gestion de la violence, et de l’égalité filles-garçons, l’Evras n’étant pas toujours appliqué dans les écoles.
A la rentrée 2016, le cours de citoyenneté remplacera donc l’EPA, le fameux « cours de rien », en vigueur depuis cette rentrée. Ainsi, l’élève qui ne souhaite bénéficier ni du cours de morale, ni du cours de religion, aura donc, non pas une, mais deux heures de citoyenneté. Face à cela, les profs de morale, réunis en collectif, se mobilisent, d’une part pour être reconnus comme ayant un statut neutre afin d’être prioritaires face aux profs de religion pour dispenser l’EPA, et surtout afin que les heures du cours de citoyenneté leur soient en priorité offertes, ce qui n’est pas assuré dans le projet de décret.
Oui, mais…
Pour finir, revenons sur les réactions des membres de ma Commission de l’Education qui, toutes et tous, se réjouissaient de l’application d’un cours de citoyenneté communs à tous les élèves, aboutissement« de discutions amorcées, il y a près de 24 ans» (Christos Doulkeridis- Ecolo). Pourtant, on l’a vu, le texte fait à nouveau la distinction entre l’enseignement libre et officiel. Si pour la ministre, le projet de décret rencontre l’avis du Conseil d’Etat, surtout avec la mise en place d’un référentiel commun, pour d’autres, à l’instar de la Ligue de l’Enseignement qui s’est positionné en septembre sur le sujet, dans son communiqué 1 élève = 1 élève, on ne peut pas encore parler d’un traitement similaire de tous les élèves de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Alors oui, ce cours est une avancée, mais en demi-teinte…
Juliette Bossé, secteur Communication