Briser le tabou de l’orientation sexuelle

Jeudi 17 mars 2016

Moqueries, insultes et même agressions …, les comportements homophobes ou transphobes ont la vie dure. Que ce soit à l’école, au club sportif ou dans les réseaux sociaux, la majorité des jeunes homosexuels ont fait l’expérience d’attitudes négatives à leur égard. C’est la raison pour laquelle une campagne, intitulée « Et toi t’es casé-e ? »,  a été lancée depuis le mois dernier par les pouvoirs publics. Son but : aider les jeunes concernés, mais surtout informer les professionnels qui entourent ces jeunes sur les moyens de réagir à ces discriminations.
Notre société est très stéréotypée. Les gens sont vite mis dans des cases : homme, femme, hétéro, homo, étranger, intello… On classe, on hiérarchise, ce qui entraîne des discriminations à l’égard de ceux qui ne correspondent pas à la norme du plus grand nombre. Le slogan « Et toi t’es casé-e ? », de la campagne lancée par l’Institut pour l’Egalité des femmes 1, reflète ce (dys)fonctionnement. Ici, il s’agit de briser les cases de l’orientation sexuelle. Dans ce domaine, notre société n’est pas aussi tolérante qu’il n’y paraît, et certains chiffres, certains témoignages recueillis par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, le prouvent. Ainsi, deux élèves homosexuels sur trois ont caché leur orientation sexuelle ou leur identité de genre pendant leur scolarité ; 80% des jeunes homosexuels ou transgenres ont entendu des commentaires ou constaté des comportements négatifs, parce que l’un de leurs camarades de classe était perçu comme une personne homosexuelle. Plus de la moitié des personnes homosexuelles ou transgenres de moins de 26 ans ont déjà envisagé sérieusement de mettre fin à leurs jours. La campagne vise à sensibiliser autant les jeunes de 12 à 25 ans, que les professionnels qui les encadrent, enseignants, animateurs sportifs, responsables de maisons de jeunes, de mouvements de jeunesse. Différents supports et outils sont prévus : spots TV et radio, page Facebook, dépliant, guide pédagogique sur Internet et sur format papier. Douze capsules vidéo ont été réalisées. Elles montrent, notamment, des jeunes gays, lesbiennes ou trans qui témoignent, pour que le public, jeune ou professionnel, prenne conscience des réalités vécues. Pas toujours de manière négative d’ailleurs. On appréciera l’humour de ce père qui se dit « plus embêté que sa fille soit végétarienne qu’homosexuelle ». La brochure pédagogique, elle, s’adresse aux adultes et, d’une manière spécifique, en fonction des lieux de vie envisagés (école, club sportif…). Pour chaque milieu, on pose la question « Chez nous, pas de problème ? », avec un exemple précis de problème, justement. Quand « les gars du club de foot refusent que Mehdi, gay, partage le même vestiaire qu’eux », que fait-on ? Comment réagir face à l’insulte homophobe ? Minimiser, sanctionner, faire la morale ou oser rencontrer le préjugé et le démonter ? L’Ecole occupe bien sûr une large place dans la brochure pédagogique. Avec des « fiches pédagogiques » qui sont autant de recommandations précises sur la manière d’aborder le problème en classe. Cela doit se faire dans tous les cours, insistent Véronique Charon et Christophe d’Alosio, tous deux inspecteurs (respectivement de morale et de religion orthodoxe) et participants actifs à l’élaboration de la campagne. Les outils mis à la disposition des enseignants ? « Les capsules vidéo et les fiches pédagogiques présentes sur le site. Ces fiches aident à préparer et à mener à bien un débat, une animation en classe. », explique Véronique Charon. On conseille ainsi aux enseignants d’éviter les débats stériles qui ne font que renforcer les préjugés des jeunes. « Tenter de convaincre un-e élève qui se revendique homophobe ou transphobe, qu’il/elle se trompe, peut le/la conduire à conforter sa position face à l’adulte, représentant l’autorité. Adopter un discours moralisateur, voire culpabilisant, risque de faire naître l’idée qu’il est plus simple de dire à l’adulte ce qu’il a envie d’entendre… Si les comportements homophobes ou transphobes doivent être sanctionnés, les idées doivent pouvoir être discutées (…). Les faire émerger ne signifie pas les cautionner, mais saisir l’occasion de les passer au crible de l’esprit critique. » « C’est la première fois, en Belgique francophone, que l’on organise une campagne de lutte contre l’homophobie d’une telle ampleur. », analyse Isabelle Simonis, ministre chargée de la Jeunesse, des Droits des femmes et de l’Egalité des Chances. « C’est indispensable, estiment les deux inspecteurs scolaires. Les enseignants se sentent très désarmés. Ils ne savent comment réagir face aux insultes sexistes et homophobes qui progressent dans certains établissements.» Les fascicules reprenant les grands thèmes de la campagne ont été envoyés dans toutes les écoles. Il s’agit maintenant de se servir des outils proposés.
  • La campagne est réalisée par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, en collaboration avec le Centre interfédéral pour l’égalité des chances, la Fédération Wallonie-Bruxelles, le Délégué général aux droits de l’enfant, la Wallonie, la Commission communautaire française
 

Quelques exemples vécus

  Clara est en deuxième secondaire. Elle a toujours aimé jouer au football. Dans son ancienne école, cela ne posait pas de problème. Quand elle est arrivée dans sa nouvelle école, elle a voulu jouer au foot avec les garçons. Les filles ont trouvé ça bizarre. « L’une d’elles est venue me trouver après le match en disant que je n’avais pas intérêt à la draguer. Après, ont commencé les insultes, les blagues lesbophobes. Un prof, ayant assisté à la scène, m’a demandé si j’étais lesbienne. Je lui ai répondu que non. Il m’a dit de ne pas faire attention à ce que disaient les autres, que c’était « pour rire ». Maintenant l’un des garçons de la classe, avec qui je m’entendais bien, ne veut plus me parler. Ses copains se moquent de lui et lui disent qu’il est amoureux d’une gouine Lou est en deuxième secondaire et a fait toutes ses études dans la même école, où on la connaissait comme étant une fille. A 14 ans, Lou déclare être un garçon. Il est soutenu par ses parents qui l’accompagnement dans ses démarches. Mais à l’école, les filles le virent des toilettes à cause de son apparence de garçon. Les garçons le virent aussi des toilettes parce qu’il a un prénom de fille. Au final, Lou doit se débrouiller pour ne jamais aller aux toilettes. Interpellée, sa titulaire lui autorise l’accès aux toilettes des profs mais cette décision sera perçue comme une injustice par les autres élèves. Tom ressent une attirance envers un autre élève. Il se confie à Laure, une amie proche, mais Laure ne garde pas le secret. Toute la classe est mise au courant et se moque de lui. On l’imite avec des gestes efféminés, on le pousse dans les couloirs. Des propos homophobes sont postés sur le groupe Facebook de la classe. A la fin de l’année, il ne sort plus en récréation et ses résultats se sont effondrés. Tom pense à la fugue et au suicide. Les profs ne réagissent pas aux insultes en classe. Impossible d’en parler avec ses parents, ignorant son homosexualité. Tom a redoublé. Il s’est retrouvé avec des élèves plus jeunes, il s’est fait oublier et il s’est blindé aussi. Mais cela n’a pas duré. Finalement, il a eu une dépression et a dû changer d’école. Martine Vandemeulebroucke, responsable du secteur Communication

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