Bâtiments scolaires - Pénurie de places dans les écoles : mesures d’urgence et parcours semé d’embûches

Mercredi 12 février 2014

Fin novembre, sous la pression grandissante des acteurs et actrices de l’Enseignement, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté, après diverses discussions, un accord prévoyant la construction, ces deux prochaines années, de 13 750 places supplémentaires dans les écoles. Si, au regard de l’urgence de la situation, la mesure a été unanimement saluée, subsistent encore quelques inquiétudes…
Face à un manque de places de plus en plus effectif dans les écoles, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles vient de débloquer, dans l’urgence, un budget de 55 millions d’euros pour la création de 13 750 nouvelles places. 11 250 places sont prévues dans le fondamental (maternel et primaire) et 2 500 places dans le secondaire, principalement à Bruxelles, fortement touchée par le « boom démographique ». Ces places s’ajoutent aux 20 000 places déjà planifiées dans la capitale jusqu’à 2017, par les autorités francophones et flamandes.

Des écoles saturées

Depuis quelques années, ressurgissent régulièrement les problématiques autour de la pénurie de places dans les écoles ; pénurie qui sévit surtout au niveau du fondamental, mais aussi, de plus en plus, au niveau du secondaire (certaines tensions autour du décret Inscription en sont la preuve). Mi-janvier 2014, la ministre de l’Enseignement obligatoire, Marie Martine Schyns, a dressé au Parlement un état des lieux de la disponibilité des places en Fédération Wallonie-Bruxelles. Les conclusions sont claires : sur base d’un relevé effectué sur 302 écoles de la région, il apparaît que nombre d’écoles sont engorgées. Si 3 400 places sont encore disponibles et peuvent, en théorie, absorber les 2 000 nouveaux élèves annuels, c’est leur répartition sur le territoire qui pose problème. En effet, les écoles encore incomplètes se trouvent dans le Sud de la région, quand il manque des places dans le Nord-Ouest de Bruxelles. Alain Maingain, chef de cabinet adjoint de la ministre de l’Enseignement obligatoire, nous en expliquait les raisons il y a peu : « La dernière grande époque de construction d’écoles date de la fin des années 1950, elle court dans les 1960 jusqu’au début des années 1970, en lien avec le baby-boom. (…) Le parc des infrastructures scolaires ne couvre donc pas tous les nouveaux quartiers de la ville, entre autres, tous ceux qui se sont développés dans le Nord. Ces quartiers sont plus récents, donc moins coûteux, ce sont donc ceux qui, majoritairement, accueillent des jeunes ménages avec des enfants. »

Le contenu de l’accord

L’accord évoque deux phases. Dans un premier temps, ce sont 6 375 nouvelles places qui verront le jour durant l’année scolaire 2014-2015. Les écoles qui le souhaitent pourront obtenir des pavillons modulaires, dont l’objectif est de répondre aux demandes urgentes (le délai de mise en place étant moins long que pour les constructions « en dur »). Ainsi, 5 625 places seront créées dans le fondamental, dont 4 375 dans des structures modulaires classiques fixes et 1 250 dans des « MoDules MoBiles ». Dans le secondaire, 750 places seront ouvertes via ces structures modulaires, fixes ou mobiles. Un montant de 25,5 millions d’euros est mobilisé pour cette première phase. Dans un deuxième temps, et au cours des deux années à venir, 29,5 millions d’euros supplémentaires seront dégagés pour créer des places plus durables (aménagements de locaux, réaffectations ou extensions), à hauteur de 5 625 pour le fondamental et de 1 750 pour le secondaire. Concernant les pavillons modulaires mobiles, les écoles auront fait leurs demandes avant le 20 janvier et avant le 10 février pour un pavillon fixe. Pour les demandes de rénovation ou de travaux, les requêtes sont attendues pour le 10 mars, au plus tard.

Remous autour du Pacte scolaire

Trouver un accord au sein de l’Olivier n’a pas été chose aisée, et l’on a vu ressurgir le spectre de la Guerre scolaire[1]. La proposition initiale d’Ecolo et du cdH consistait à investir, immédiatement, 20 millions d’euros pour construire, avant la prochaine rentrée, des pavillons préfabriqués ; en outre, il s’agissait de permettre à certaines écoles de s’agrandir ou de réaffecter des bâtiments publics actuellement non destinés à l’enseignement. Le projet devait être financé à 100% par la Fédération Wallonie-Bruxelles, à hauteur de 55 millions d’euros. La mesure s’appliquait, de façon indistincte, à tous les réseaux d’enseignement. Brandissant le Pacte scolaire, le PS a refusé que l'argent public couvre à 100% la construction des bâtiments des écoles libres catholiques. En effet, le Pacte scolaire, qui régit encore aujourd’hui l’enseignement, prévoit un financement différent selon chaque réseau. A l’instar du PS, plusieurs associations sont montées au créneau dont la Ligue de l’Enseignement[2], dont voici des extraits du communiqué de presse, paru le 22 novembre 2013 : « Les ministres Nollet et Antoine proposent un montage financier qui tient du bricolage juridique (…) Les écoles catholiques sont mal placées pour répondre aux besoins engendrés par l’évolution démographique en créant des nouvelles places dans l’enseignement. Par leur caractère confessionnel, ces écoles s’adressent aux parents dont les convictions sont d’inspiration chrétienne et pas à l’ensemble des familles. Elles n’ont pas pour mission de répondre aux besoins de tous, mais seulement aux familles qui ont des attentes religieuses spécifiques. Si l’enseignement privé souhaite endosser le rôle des services publics, il faut qu’il en adopte les caractéristiques, à savoir, en particulier, le statut public des propriétés, le caractère neutre et un mode de gestion public. C’est à ce prix seulement que les investissements publics en matière de bâtiments scolaires pourraient être identiques dans le libre et dans l’enseignement public. » Les partis de la majorité ont finalement trouvé un terrain d’entente: l’enseignement officiel bénéficiera de moyens qui correspondront au double de son poids relatif. En résumé, on comptera pour deux, chaque élève du réseau de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le Secrétariat général de l’enseignement catholique (SeGEC) s’est dit satisfait: « En prenant en charge les investissements à 100%, quel que soit le pouvoir organisateur (communes, provinces, asbl ou la Fédération Wallonie-Bruxelles elle-même), le gouvernement lève les obstacles financiers à la réalisation des projets. »

Les critiques de l’Inspection des finances

La Libre Belgique du 15 janvier évoque un rapport de l’Inspection des finances qui critique certains aspects de l’accord. Selon les auteurs du rapport, la mesure prise par le gouvernement comporterait des risques d’ordre budgétaire et financier. Différents points sont décriés : - la Fédération Wallonie-Bruxelles sortirait artificiellement les budgets : « L’opération financière envisagée par l’entremise de la société anonyme St’art vise manifestement à débudgétiser le financement nécessaire à la mise à disposition des classes modulaires et de travaux de rénovation et de création de nouvelles classes."; - un non-respect de la Constitution : « Il est en outre plus que douteux que le gouvernement puisse déléguer une mission aussi fondamentale que la sélection d’écoles bénéficiaires à une société anonyme, celle-ci n’étant ‘politiquement’ responsable que devant son assemblée générale (…) l’on peut craindre dès lors que la Justice accueille favorablement d’éventuels recours contre des décisions de refus d’intervention dans le cadre du dispositif de financement en cours." ; - enfin, "le dossier ne contient aucune donnée démontrant que le nouveau dispositif de création de places pourra être financé sans mettre en péril la trajectoire pluriannuelle devant assurer le retour et le maintien de l’équilibre du budget."

Des inquiétudes

Au regard de ce rapport, la FAPEO et l’UFAPEC, principales associations de parents d’élèves, ont exprimé leurs inquiétudes dans un communiqué de presse paru le 20 janvier. Selon elles, il y a un risque majeur que la création de ces nouvelles places soit hypothéquées par d’éventuels recours légitimes de pouvoirs organisateurs dont les projets d’extensions ou de rénovations n’auraient pas été retenus. La FAPEO et l’UFAPEC demandent donc instamment au ministre Jean-Marc Nollet et au gouvernement de ne pas « jouer avec le feu et d’assurer la création de ces places en rendant inattaquables, juridiquement, les mécanismes de financement et de sélection des écoles bénéficiaires ». Par ailleurs, dans Le Soir du 15 janvier 2014, l’ancien ministre président PS de la Région bruxelloise, Charles Picqué, fustige le fait que le plan mit en place serait insuffisant et que la question du manque de places risque de se poser dès mars-avril. Pour lui, si les années 2016 et peut-être 2015 sont à l’abri d’une pénurie, cela pourrait ne pas être le cas pour l’année 2014. Il évoque alors différentes communes (Saint-Gilles, Saint-Josse, Bruxelles, Evere, Forest et Anderlecht) où il apparaît que, déjà, à cette période des inscriptions, les écoles sont au-dessus de leur capacité d’accueil, pour l’année prochaine. En outre, selon lui, si le coût des rénovations et des modulaires est pris en charge par la Fédération Wallonie-Bruxelles, les pouvoirs organisateurs devront tout de même prendre, eux-mêmes, en charge certains frais qu’ils pourraient avoir du mal à assumer: frais de pompiers, personnels supplémentaires, permis d’urbanisme, marchés publics. Pour Charles Picqué, « il faut donc donner du ‘mou’ aux communes et aux pouvoirs organisateurs » et agir vite, de peur que l’échec ne retombe sur les responsables de la Fédération Wallonie-Bruxelles, alors qu’il s’agit, selon lui, de rester unis afin d’affronter une éventuelle crise institutionnelle en mai prochain. A suivre…

[1]Le Pacte scolaire fut signé par les trois grands partis en 1958, et était destiné à mettre un terme à la "guerre scolaire" ouverte entre le monde chrétien et le monde laïque au sujet de l´enseignement secondaire dans les années 1950.
[2]www.ligue-enseignement.be  

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