Systématiser la lutte contre le harcèlement

Vendredi 29 octobre 2021

Le gouvernement de la Fédération Wallonie Bruxelles planche sur des mesures concrètes pour un meilleur climat scolaire dans les écoles. Analyse du projet par Bruno Humbeeck, spécialiste en la matière.

En France, depuis le début de l’année scolaire, 18 mineur·e·s se sont suicidé·e·s à cause du harcèlement scolaire. Le mercredi 6 octobre, à Frévent dans le Nord-Pas-de-Calais, une marche blanche s’est organisée en hommage à Chanel, une élève de 12 ans qui a mis fin à ses jours le 30 septembre dernier. Elle était victime de harcèlement aussi bien au collège que sur les réseaux sociaux.

 Chez nous en Fédération Wallonie-Bruxelles, un cadre de lutte contre le harcèlement est sur le point de voir le jour. Le gouvernement vient d’approuver, sur proposition de la ministre de l’Éducation Caroline Désir (PS), une note d’orientation en matière de prévention du harcèlement scolaire et de climat scolaire. L’objectif premier est d’aborder la lutte contre le harcèlement de manière plus systémique. En effet, jusqu’ici les actions en la matière se limitaient souvent à sou[1]tenir des projets-pilotes et des initiatives locales comme l’explique Bruno Humbeeck, psychopédagogue et spécialiste de cette problématique des violences scolaires. «Cette volonté réelle de mettre de la structure dans ce qui est fait est absolument indispensable. Jusqu’à présent, cela partait dans tous les sens avec des tas de petits projets cosmétiques qui finissaient par décourager beaucoup les écoles. C’est courageux de l’avoir fait parce que cela signifie concrètement qu’on va prendre les choses au sérieux et qu’on va essayer de régler le problème de fond. Mais c’est une note, donc c’est un cadre. Ce n’est pas le cadre qui fait l’œuvre. Tout va dépendre de ce qu’on va mettre dans le cadre».

Et le cyber-harcèlement?

Depuis plusieurs années et encore davantage depuis la crise sanitaire, les cas de cyber-harcèlement ont fortement augmenté. Pourtant, selon Bruno Humbeeck la note du gouvernement ne s’y attaque pas de front. «Aujourd’hui, cela semble difficile d’imaginer que l’on puisse encore diffuser des modèles de prévention contre le harcèlement en espérant venir à bout du cyber-harcèlement. La note évoque le cyber-harcèlement mais elle ne le lie pas encore au harcèlement alors que tous deux sont quasiment systématiquement associés, en tous cas dans l’enseignement secondaire, et même dans les dernières années du fondamental. Selon moi, il faut absolument qu’il y ait des dispositifs qui soient mis en place pour faire société. Des systèmes de loi qui rappellent par exemple qu’on ne peut pas utiliser les réseaux sociaux de manière asociale».

Implication des équipes pédagogiques

La note prévoit de former les équipes pédagogiques et éducatives afin de signaler rapidement les cas de cyber-harcèlement. Des espaces de dialogue et d’apaisement devront être créés dans les établissements scolaires. Pour Bruno Humbeeck, d’autres outils pourraient s’avérer plus efficaces. «Il faut mettre en place des systèmes qui permettent à celles et ceux qui sont en difficulté de révéler ce qu’ils et elles vivent, c’est le principe du cyber-help et aussi, faire en sorte que les témoins puissent activer un dispositif dans lequel on a des adultes qui ne sont pas des adultes tâtonnants. On ne peut pas demander aux enseignants d’observer et repérer des situations qui ressortent d’une violence qui, on le sait, est d’abord invisible. Je crois beaucoup plus à la diffusion de techniques qu’à la formation des enseignants pour la bonne et simple raison que les enseignants sont formés. Ce dont ils ont besoin ce sont des techniques pour gérer les situations de harcèlement et de cyber-harcèlement. La note parle de les coacher et je trouve que ça, c’est une excellente idée. En revanche, je suis un peu déçu du nombre d’écoles qui bénéficieront de ces coachings et du fait que tous les élèves de toutes les écoles ne bénéficieront pas des retombées de ces coachings». En effet, dès 2022, une enveloppe budgétaire permettra à 200 établissements scolaires de bénéficier de 10 coachs pour une période de 3 ans. Ce passage d’une logique d’initiative à une logique structurelle s’inscrira et s’appuiera sur les contenus des plans de pilotage et contrats d’objectifs.

Autonomie technique

Pour Bruno Humbeeck, la note de cadrage devrait aller plus loin qu’une incitation forte ou une invitation à prendre en main la problématique du harcèlement et du cyber-harcèlement. Il faudrait en faire une obligation. «On doit obliger les écoles à mettre des dispositifs en place comme c’est le cas dans plusieurs pays. Il ne s’agit pas de faire une pièce de théâtre ou une fresque, mais de faire quelque chose de consistant qui permette de maîtriser ce qui se passe en cas de problème. La prévention du harcèlement est un socle qui se doit de préfigurer au Pacte d’excellence. Ça n’a pas de sens de mettre en place un Pacte d’excellence si certains élèves ne sont pas en mesure de profiter de cette excellence parce qu’ils vivent des situations impossibles. On est dans l’autonomie technique, c’est-à-dire la liberté de choisir des outils mais pas dans l’autonomie complète, c’est-à-dire la liberté de définir si on va ou pas utiliser des outils. C’est dans les outils qu’on va vouloir utiliser qu’on doit être libre mais cette liberté ne doit pas être étendue à la liberté de s’outiller ou de ne pas s’équiper. Entendre, comme je l’entends encore parfois, des parents dire qu’un directeur d’école aurait dit que le harcèlement n’existait pas ou que tout ce qui ne tue pas rend plus fort, ce n’est plus audible à l’heure actuelle pour un parent et pour n’importe quelle personne confrontée à cette difficulté. Dans mon expérience de terrain auprès des écoles qui font appel à moi, je n’entends plus jamais que l’on nie le problème. C’est pour cela que je pense que ce ne serait pas difficile pour les écoles de rendre obligatoire de s’équiper et de s’outiller. D’autant qu’on le sait, ce qui revient dans 85% des plans de pilotage, c’est le climat scolaire et comment l’améliorer».

Climat scolaire et réussite

Dans un dossier du magazine Sciences Humaines[1] de 2016 intitulé «Qu’est-ce qu’une bonne école?», le pédagogue français Éric Debarbieux étudie le concept très en vogue de «climat scolaire» et montre combien il peut expliquer une meilleure réussite et une meilleure sécurité au sein des écoles. «Les principales dimensions du climat scolaire peuvent être résumées en cinq points: les relations, l’enseignement et l’apprentissage, la sécurité, l’environnement physique et enfin le sentiment d’appartenance (…) Des procédures contre la violence claires, bien implantées et perceptibles entraînent des effets positifs sur les résultats scolaires, la santé mentale et les comportements. À l’inverse, des politiques répressives trop dures engendrent des sentiments de crainte, et augmentent les conduites à risque et le décrochage». En termes d’apprentissages, la relation entre le climat scolaire positif et la réussite des élèves a été établie internationalement, comme le souligne le journaliste de Sciences Humaines. «Un climat scolaire positif affecte puissamment la motivation à apprendre, favorise l’apprentissage coopératif, la cohésion du groupe, le respect et la confiance mutuels. Bref, investir dans le climat scolaire est une nécessité pour la réussite scolaire».

Maud Baccichet, secteur communication

Illustration: Abdel de Bruxelles


En savoir plus sur le harcèlement

Pour en finir avec le harcèlement: à l’école, au travail, sur le Net… Humbeeck, Bruno. Éditions Odile Jacob. • À bonne école (2021) Film documentaire réalisé par Chloé Garrel. Elle a suivi l’initiation de six collégien·e·s à diverses méthodes destinées à lutter contre le fléau du harcèlement scolaire  


  [1] Le climat scolaire, un défi collectif, Éric Debarbieux, Sciences Humaines n°285 «Dossier: qu’est-ce qu’une bonne école?». Octobre 2016.

 

nov 2021

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