Parfois être un enfant sage a un prix

Lundi 1 avril 2019

L’enfant sage est un enfant facile à élever. Il ne pose de problème ni à ses parents, ni à ses éducateurs/trices : en toutes circonstances, il s’adapte et rend facile la tâche des adultes. Il est obéissant, mange et dort facilement, est poli, travaille bien à l’école et s’occupe seul.
Mais, derrière cette apparente normalité, se cache parfois un enfant en difficulté et en souff rance. Certes, il n’y a pas lieu de s’alarmer devant tout enfant calme. Ce qui est inquiétant, c’est un enfant sage en toutes circonstances. Trop de sagesse n’est pas un objectif éducatif. Ce n’est pas non plus un indicateur de bien-être de l’enfant. Si un enfant reste - trop - sage, c’est parce qu’il doit prioritairement satisfaire aux attentes de ses parents.
enfants comprennent qu’ils ne doivent pas poser problème dans leur famille : par exemple face à des parents trop fragiles qu’il faut ménager, après un événement traumatique dans la famille, pour s’assurer une « meilleure » place dans la fratrie, ou parce qu’ils imaginent que c’est ce qu’on attend d’eux. Ces enfants sont si souvent préoccupés à coller aux attentes de l’adulte qu’ils renoncent, sans le savoir, à faire des expériences essentielles pour leur développement. Par exemple, ils ne prennent pas le risque de se différencier, de s’opposer, de sentir et d’affirmer leurs désirs… en fin de compte d’exister. Car pour éprouver ses désirs propres, chaque enfant doit passer par de telles expériences. Pour cela, il a besoin de s’appuyer sur un adulte vécu comme solide, capable de supporter ses écarts émotionnels.
La fragilité d’un parent diminue sa capacité à contenir et rassurer son enfant. Un enfant perçoit que son parent est en difficulté dans sa vie sans avoir les forces pour y faire face.
Il peut alors devenir celui qui soigne son parent. La sécurité de base de l’enfant peut en pâtir et le pousser, à l’insu de tous, du côté d’une inhibition majeure de sa vie psychique. L’enfant croit que c’est ainsi qu’il faut faire pour être aimé. D’un autre côté, il peut tirer des bénéfices secondaires de ce renoncement émotionnel, prix à payer pour être celui qu’on aime tant, valorise et cite en exemple. Les parents ne sont pas forcément conscients du dysfonctionnement familial et de ce que cela fait vivre à leur enfant. C’est souvent tout un travail de prise de conscience de cette situation qui permettra à l’enfant sage de se dégager de cette prison.

Quelles sont les conséquences pour l’enfant ?

Pour se conformer à ce qu’il pense qu’on attend de lui, l’enfant peut en arriver à occulter ses émotions parce qu’il pressent qu’elles pourraient parasiter l’équilibre relationnel déjà fragile, voire inexistant. Perdre le contact avec ses désirs propres, éviter de donner libre court à ses émotions personnelles handicapent l’enfant au même titre que l’empêcher de marcher. Sans désirs personnels, cet enfant aura les plus grandes difficultés pour devenir un adulte ouvert, actif et à l’aise dans ses relations sociales et amou reuses tant qu’il continuera à s’adapter au regard de l’autre.

Que faire face à un enfant sage ?

Socialement, l’enfant sage est souvent cité en exemple car il ne remet pas en cause la position éducative des parents. Attirant les compliments, il renvoie l’adulte à une image positive de lui comme parent ou comme éducateur. Sa souffrance ne touche que lui-même et pas son entourage ; il ne suscite aucun dérangement. Il est cependant important qu’il soit reconnu dans sa difficulté, même si les symptômes sont rares et se manifestent à bas bruit. Les lieux d’accueil sont parfois des occasions pour lui de sortir de ce rôle. C’est donc là que se trouve l’espace pour être regardé comme une personne autonome, à part entière, un être global avec ses difficultés mais aussi ses ressources et ses désirs propres, pour y être soutenu et mis à sa place d’enfant qui ressent, cherche, essaie, s’oppose... D’où l’importance de prendre le temps de regarder et de porter attention également à l’enfant (trop) sage. Derrière son silence et son calme, il peut y avoir un enfant qui s’est hyper-adapté et est incapable de reconnaître ses désirs personnels, sa valeur et de trouver sa voie propre. Dans les réunions d’équipe, il est souhaitable de prendre le temps de s’arrêter aussi sur ceux qui ne posent pas problème : parfois une observation plus fine peut mettre en évidence ce fonctionnement. Les professionnel·le·s seront plus attentif·ve·s à ne pas renforcer le côté trop conforme de l’enfant et à lui permettre d’avancer en questionnant ses désirs personnels, reconnaissant sa valeur, trouvant ainsi sa voie.   Yapaka

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