Cours philosophiques, une pression de plus en plus forte

Jeudi 20 décembre 2012

En évoquant l’idée de restaurer la possibilité, pour les écoles catholiques, d’organiser un cours de religion islamique, le SeGEC a relancé le débat sur les cours philosophiques. Débat qui n’est pas près de se clore vu les dissensions au sein même de la majorité.
Etienne Michel, secrétaire général du SeGEC (Secrétariat général de l’enseignement catholique), précise : « Nous n’introduisons aucune demande formelle. Nous nous posons juste une question. Le contexte, aujourd’hui, est celui-ci : nos écoles scolarisent des enfants de confession musulmane et, en certains lieux comme Bruxelles, Liège, Verviers, ceux-ci représentent parfois une majorité des élèves de l’école. Le fait de ne pas leur offrir de cours de religion islamique est ressenti par eux comme une forme de violence. »

Une idée opportuniste

Le cabinet de la ministre Marie-Dominique Simonet n’a pas tranché. « Si le SeGEC introduit une demande, on l’examinera, on ne l’évacuera pas. Il faut en analyser la faisabilité juridique et financière. C’est complexe. » Pascal Chardome, président de la CGSP-Enseignement, est plus direct : « L’idée du SeGEC ne me semble pas conforme au projet éducatif de l’école catholique. C’est une idée opportuniste. » Pour sa part, le président de la CSC-Enseignement, Eugène Ernst, regrette la « sortie unilatérale » du SeGEC et signale qu’il existe des enceintes pour traiter sereinement de ces questions, comme le Conseil consultatif des cours philosophiques. Sur le fond : « Il y a une demande, c’est sûr, puisque l’école catholique inscrit des élèves de confession musulmane. Mais qu’une école puisse enseigner une religion autre que celle dont elle se réclame, je dois avouer que ça nous pose question. » En réaction, Nadia Geerts, initiatrice du Rappel (Réseau d’action pour la promotion d’un Etat laïque), se demande « pourquoi (…) refuser aux élèves ‘sans Dieu’ le droit à un cours de morale non confessionnelle, dès lors que l’on envisage d’offrir aux élèves musulmans un cours de religion catholique ? » Pour Abdelghani Ben Moussa, coordinateur du think tank Vigilance musulmane, la proposition du SeGEC, « c’est d’abord une tentative de protéger sa part du marché scolaire ! Si cette proposition vient à se concrétiser un jour, c’est sûr que cela permettra au réseau libre d’enseignement catholique de conforter sa position. C’est indiscutable. On voit bien que la pression est forte dans la mesure où des initiatives commencent à voir le jour pour lancer des écoles qui se revendiquent du confessionnel musulman. » Un cours de religion islamique à l’école catholique ? Cette question a remis au centre des débats le projet de la ministre Simonet d’instaurer un « tronc commun » à tous les cours de morale non confessionnelle et de religions reconnues. « L’intérêt de ce principe de tronc commun, c’est qu’il favorise un vivre-ensemble et un dialogue interconvictionnel dans le cadre du cours de religion ou de morale choisi par l’élève. Il s’agit donc d’un contenu renforcé, mais qui n’implique pas de changements d’horaire ni de licenciement de professeurs puisque les cours de religion et de morale sont maintenus. », déclare-t-on du côté de la ministre. « Le discours de certains consistant à demander la suppression pure et simple de ces cours pour les remplacer par un cours de philosophie à part entière nous laisse penser qu’ils ne veulent rien faire, car ils savent que cela demande une révision de la Constitution. » Le problème, c’est que ce sont les députés socialistes, favorables à la proposition du Cedep, qui soutiennent ce discours. Or, le PS est dans la majorité au parlement aux côtés du cdH et d’Ecolo. Les socialistes sont ainsi tiraillés entre la volonté de soutenir le réseau officiel et la nécessité de rester crédibles face à l’opposition libérale. En avril dernier, le Cedep (Centre d’étude et de défense de l’école publique) avait, en effet, diffusé un communiqué de presse réclamant la suppression du caractère obligatoire des cours philosophiques et le renforcement de la formation citoyenne destinée à tous les élèves.

Pas de réponse bricolée

Le 23 octobre, le projet de Marie-Dominique Simonet a été débattu en commission de l’Education du parlement de la Communauté française. Quatre représentants du Cedep étaient auditionnés pour exposer leurs positions. Le député libéral Richard Miller, initiateur de ces auditions, par ailleurs partisan de l’introduction d’un cours supplémentaire de « philosophie et d’histoire culturelle des religions », s’est dit « consterné par l’absence de position claire dans le chef du PS ». Christian Dupont, disant s’exprimer au nom du PS, s’est interrogé sur l’adéquation de rouvrir un tel débat à l’heure actuelle, et a insisté sur les matières fondamentales de l’enseignement (lecture, sciences, etc.). Il a déclaré vouloir « mettre en garde contre toute réponse bricolée », le contenu des cours de religion devant être déterminé, selon lui, par les chefs de culte, non par le parlement « qui n’est pas habilité à se prononcer là-dessus ». Son collègue du PS Mohammed Daïf s’est demandé, pour sa part, « s’il ne fallait pas envisager tout simplement un cours de philosophie facultatif ». Enfin, Olga Zrihen (PS) a appelé à faire clairement la différence entre un cours convictionnel et un cours d’éducation civique et/ou de philosophie, réclamant, quant à elle, un cours sur la laïcité de l’Etat. « Donnons-nous encore du temps pour y réfléchir avec détermination. », a déclaré, pour sa part, Léon Walry (le chef de groupe PS), faisant ainsi comprendre que le projet aura peu de chances de voir le jour sous cette législature. Au cours des auditions, la CSC a chiffré le coût d’un cours supplémentaire de 15 à 18 millions d’euros et appelé à « améliorer avant tout ce qui existe ». Quant à Ecolo, Yves Reinkin s’est interrogé sur « la capacité de tous à avancer ensemble vers un dénominateur commun » d’ici la fin de la législature. Nouvelles auditions le 13 novembre. Le PS a affirmé sa disponibilité à participer à l’élaboration d’une proposition concernant les cours dits philosophiques à l’école, pour autant que la démarche philosophique y soit centrale. Mais les socialistes s’interrogent sur l’opportunité d’ouvrir une discussion qui risque d’accentuer les divisions, ainsi que sur la faisabilité juridique du projet, vu la Constitution et l’exclusivité des chefs de culte à définir le contenu des cours de religion. Inspecteur pour la religion catholique, Michel Desmedt a assuré que les référentiels de compétences prévoyant une partie commune sur les trois axes définis dans le projet ministériel (questionnement philosophique, dialogue interconvictionnel et éducation à une citoyenneté active) seraient présentés « assez vite » en ce qui concerne la religion catholique. Partisan du tronc commun, il a été soutenu dans son intervention par Salah Echallaoui, inspecteur pour la religion islamique, et Armand Benizri, son homologue pour la religion israélite. Michèle Coppens, inspectrice pour la morale non-confessionnelle, a souligné qu’à ses yeux, le tronc commun, s’il est enseigné de manière séparée au sein des cours dits philosophiques, s’avérerait insuffisant pour rassembler et assurer la distance critique. Elle a appelé à prendre le temps de la réflexion. Deux juristes seront entendus le 27 novembre prochain.[1]   Sources : - Pour la suppression DU CARACTERE OBLIGATOIRE des cours dits « philosophiques » et le renforcement de la formation citoyenne destinée à TOUS les élèves, communiqué de presse du Cedep, 26 avril 2012 ; - Respecter les décrets sur la neutralité, communiqué de presse de la Ligue de l’Enseignement et de l’Education permanente asbl, 25 janvier 2012 ; - Le Soir et La Libre Belgique, 24/10 au 26/10/2012 ; - La Dernière Heure, 13/11/2012.   [1] A l’heure où nous bouclons ce numéro d’Eduquer, ces nouvelles auditions n’ont pas encore eu lieu.

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