La Ligue et l’enseignement: quels enjeux?

Jeudi 2 mars 2023

école, élève
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Patrick Hullebroeck, Directeur

Nous vivons des temps incertains. Santé publique, climat, biodiversité, télétravail, énergie, guerre, migration, populisme sont les mots qui expriment les inquiétudes de notre temps. Les crises s’enchaînent et s’interpénètrent comme autant de menaces qui planent sur les populations, les sociétés, les économies, les cultures, la planète. Et l’enseignement doit pouvoir y répondre.

C’est tout bonnement l’avenir du genre humain qui semble soudainement remis en question. Comment s’y préparer et disposer des instruments pour y répondre? Comment interagir positivement, demain, avec un monde devenu plus complexe et moins lisible? Autant de préoccupations auxquelles l’enseignement doit pouvoir répondre, même si les réponses ne sont pas données et si le monde de demain est encore à inventer.

Ce sont là des questions qui interrogent autant les finalités éducatives que les contenus d’enseignement, les méthodes d’apprentissage ou l’organisation de l’enseignement et de la formation. Ce sont, en d’autres termes, des questions éducatives, pédagogiques et politiques ou organisationnelles. Dans tout cela, en quoi la Ligue peut-elle apporter sa contribution?

Des finalités éducatives

La Ligue est le pôle laïque de réflexion sur l’enseignement et l’éducation. Son action est basée sur des principes et des finalités éducatives qui donnent une cohérence à ses activités et donnent des repères dans les débats compliqués de l’enseignement. Quels sont ces principes et ces lignes directrices?

LIBERTÉ DE CONSCIENCE ET LIBRE-EXAMEN

La Ligue considère la liberté de conscience dans le domaine axiologique (les choix de valeurs, les engagements, les convictions philosophiques, les opinions politiques) et le libre-examen (dans le domaine de la connaissance, des sciences et de la recherche du vrai en général) comme les pierres angulaires sur lesquelles reposent l’éducation et l’enseignement dans une société moderne, pluraliste et démocratique. Egaliser les conditions d’apprentissage des enfants est aussi un objectif important pour la Ligue.

NEUTRALITÉ

La Ligue adhère au principe de la neutralité de l’enseignement telle qu’elle a été définie, en particulier, dans le décret du 31 mars 1994: «Article 1 er . - Dans les établissements d’enseignement organisés par la Communauté, les faits sont exposés et commentés, que ce soit oralement ou par écrit, avec la plus grande objectivité possible, la vérité est recherchée avec une constante honnêteté intellectuelle, la diversité des idées est acceptée, l’esprit de tolérance est développé et chacun est préparé à son rôle de citoyen responsable dans une société pluraliste. Article 2. - L’école de la Communauté éduque les élèves qui lui sont confiés au respect des libertés et des droits fondamentaux tels que définis par la Constitution, la Déclaration universelle des droits de l’homme et les Conventions internationales relatives aux droits de l’homme et de l’enfant qui s’imposent à la Communauté. Elle ne privilégie aucune doctrine relative à ces valeurs. Elle ne s’interdit l’étude d’aucun champ du savoir. Elle a pour devoir de transmettre à l’élève les connaissances et les méthodes qui lui permettent d’exercer librement ses choix. Elle respecte la liberté de conscience des élèves.»

La neutralité, telle qu’elle est ainsi définie, ne renvoie pas à une neutralité institutionnelle, telle qu’elle a pu, à juste raison, être critiquée par des sociologues comme Pierre Bourdieu ou François Dubet. L’école, en effet, n’est pas «neutre», car elle véhicule, comme toute institution, des normes (scolaires), des valeurs (de mérite, de hiérarchisation des disciplines scolaires par exemple), des privilèges socioculturels (de genre, de langue, d’origine, etc.). Cette sorte de (pseudo) neutralité produit, en effet, de l’inégalité.

RECHERCHE DE LA VÉRITÉ ET DE L’OBJECTIVITÉ

La neutralité dont il s’agit renvoie à la démarche intellectuelle dans la recherche de la vérité et de l’objectivité. Cette neutralité suppose une pacification des relations dans le dissensus et une éthique de la discussion (recherche de la vérité en commun, argumentation rationnelle, respect de l’interlocutrice ou de l’interlocuteur). Ce principe de neutralité est à la fois une ligne directrice dans la pratique enseignante et un objet d’apprentissage pour les élèves.

APPRENTISSAGE POUR LES ELEVES

Cette dimension éducative implique que les élèves puissent expérimenter et pratiquer les attitudes et les comportements corrélatifs de ce principe. On comprend dès lors pourquoi la Ligue privilégie les pédagogies dites actives sans pour autant adopter ou défendre telle ou telle méthode en particulier.

Pour les élèves, la neutralité fait l’objet d’un entrainement à la liberté défini dans le décret de la manière suivante: «Article 3. - Les élèves y sont entraînés graduellement à la recherche personnelle; ils sont motivés à développer leurs connaissances raisonnées et objectives et à exercer leur esprit critique. L’école de la Communauté garantit à l’élève ou à l’étudiant, eu égard à son degré de maturité, le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question d’intérêt scolaire ou relative aux droits de l’homme. Ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées par tout moyen du choix de l’élève et de l’étudiant, à la seule condition que soient sauvegardés les droits de l’homme, la réputation d’autrui, la sécurité nationale, l’ordre public, la santé et la moralité publiques, et que soit respecté le règlement intérieur de l’établissement. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions et la liberté d’association et de réunion sont soumises aux mêmes conditions.»

DEVOIRS POUR LES ENSEIGNANT·ES

Pour les enseignant·es, la neutralité implique des devoirs et des attitudes requises: «Article 4. - Sans préjudice de l’application des dispositions de l’article 2, le personnel de l’enseignement forme les élèves à reconnaître la pluralité des valeurs qui constituent l’humanisme contemporain. En ce sens, il fournit aux élèves les éléments d’information qui contribuent au développement libre et graduel de leur personnalité et qui leur permettent de comprendre les options différentes ou divergentes qui constituent
l’opinion Il traite les justifications politiques, philosophiques et doctrinales des faits, en exposant la diversité des motivations. Il traite les questions qui touchent la vie intérieure, les croyances, les convictions politiques ou philosophiques, les options religieuses de l’homme, en des termes qui ne peuvent froisser les opinions et les sentiments d’aucun des élèves. Devant les élèves, il s’abstient de toute attitude et de tout propos partisans dans les problèmes idéologiques, moraux ou sociaux, qui sont d’actualité et divisent l’opinion publique; de même, il refuse de témoigner en faveur d’un système philosophique ou politique, quel qu’il soit et, en dehors des cours visés à l’article 5, il s’abstient de même de témoigner en faveur d’un système religieux. De la même manière, il veille à ce que sous son autorité ne se développe ni le prosélytisme religieux ou philosophique, ni le militantisme politique organisés par ou pour les élèves.»

UN COURS DE PHILOSOPHIE

En relation avec cette notion de neutralité, la Ligue défend depuis de nombreuses années la mise en place d’un cours de philosophie (et d’éducation à la citoyenneté), destiné à tous les élèves, quelles que soient leurs convictions philosophiques et religieuses, dans l’horaire ordinaire, c’est-à-dire répondant au principe de la neutralité. La Ligue considère, en effet, que le recul critique, la démarche raisonnée et la pratique de l’argumentation rationnelle qui caractérisent la philosophie sont des apprentissages importants de la formation des futurs citoyens. L’éducation morale et religieuse a, selon la Ligue, moins sa place dans l’enseignement neutre. Ce sont des cours qui ne peuvent être obligatoires. Ils peuvent donc être rendus optionnels, voire placés hors de la grille horaire habituelle.

Des contenus et des méthodes

Les contenus de l’enseignement et les méthodes d’acquisition des compétences font régulièrement l’objet de réformes en lien
avec les évolutions de la société et les transformations de l’enseignement. C’est particulièrement le cas dans cette phase de transformation en profondeur de l’enseignement qui fait suite à l’avancement de l’obligation scolaire à 5 ans (en 3e maternelle), à la mise en place du tronc commun dans le cadre du Pacte pour un enseignement d’excellence, à la réforme de l’enseignement qualifiant et à l’adoption du système des compétences par unité (CPU) dans celui-ci.

RÉFÉRENTIELS ET PROGRAMMES

Pour rappel, les référentiels de compétences sont adoptés par le  Parlement tandis que l’adoption des programmes fait partie de la liberté pédagogique des pouvoirs organisateurs de l’enseignement. Ces dernières années, un grand nombre de référentiels ont été adoptés dans l’enseignement maternel, primaire et le premier degré du secondaire. Les parcours dans l’enseignement qualifiant de plein exercice et l’enseignement en alternance font également l’objet de modifications.

FORMATIONS INITIALE ET CONTINUE
DES ENSEIGNANT·ES

Les objectifs de réussite scolaire fixés par le Pacte pour un enseignement d’excellence et les nouveaux référentiels de compétences impliquent aussi une réforme de la formation initiale des enseignant·es qui sera augmentée d’une année à partir de la rentrée de 2023 et de la formation continue des enseignant·es qui a fait l’objet d’un nouveau décret entré en vigueur le 29 août 2022[1].

Dans la même perspective, la question de l’évaluation des enseignants fait également débat aujourd’hui. La Ligue suit attentivement ces évolutions et considère qu’il faut laisser du temps aux équipes éducatives pour assimiler toutes ces réformes et les mettre concrètement en œuvre.

Organisation et politique de l’enseignement

L’application de l’article 24 de la Constitution qui établit le principe de l’égalité des parents, des élèves, des enseignant·es et des établissements scolaires devant la loi fait l’objet d’une attention particulière de la Ligue. L’application du prescrit constitutionnel implique en effet de concilier le principe de la liberté de l’enseignement et du libre-choix des parents avec celui de l’égalité.

UN SYSTèME D’ENSEIGNEMENT UNITAIRE

L’application de l’article 24 a des conséquences importantes sur la manière dont l’enseignement est organisé. La Ligue, pour sa part, défend le principe d’un système
d’enseignement unitaire, destiné à tous les enfants, organisé par les pouvoirs publics, et, par voie de conséquence, neutre. La Ligue considère que les multiples réseaux qui organisent l’enseignement sont coûteux et suscitent artificiellement un marché scolaire
qui met en compétition les établissements scolaires et les réseaux. Ceux-ci cherchent à
capter le plus grand nombre d’inscriptions d’élèves possible afin d’obtenir les subventions correspondantes. La Ligue est favorable à des rapprochements et des collaborations entre établissements scolaires de réseaux différents afin de rendre le système d’enseignement plus convergent et moins fragmenté.

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle semble connaître ces dernières années une inflexion allant dans le sens d’une application stricte du principe de l’égalité laissant peu de place pour la prise en considération des différences objectives entre les pouvoirs organisateurs (par exemple la différence entre une propriété privée des bâtiments scolaires et une propriété publique). Cette inflexion a des conséquences importantes sur la manière dont les subventions publiques sont attribuées.


TRANSFERT à UN ORGANISME D’INTÉRêT PUBLIC

L’enseignement organisé par la Communauté française a été récemment transféré au sein d’un organisme d’intérêt public (OIP) dont la gestion est distincte de son pouvoir public de tutelle et placée sous la responsabilité de son propre conseil d’administration. Cette décision résulte de la volonté de scinder le rôle régulateur de la Communauté française de son rôle de pouvoir organisateur afin qu’elle ne soit pas juge et partie. Le caractère exceptionnel de cette décision qui voit un Etat, ici en l’occurrence la Communauté française, céder tout son enseignement à un organe indépendant, n’a pas été assez souligné. Ce transfert pose un certain nombre de questions importantes: le nouveau pouvoir organisateur WBE disposera-t-il de suffisamment de moyens? Son autonomie lui permettra-t-elle de redynamiser son offre d’enseignement? Comment s’effectuera le contrôle de l’autorité publique sur cette nouvelle entité?

 

[1] Livre 6 du Code de l’enseignement fondamental et de l’enseignement secondaire, titre 1er : De la formation professionnelle continue des membres de l’équipe éducative des écoles et des membres du personnel de l’équipe pluridisciplinaire des Centres PMS.


 

Mar 2023

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