Un outil pédagogique pour aborder la colonisation au Congo

Mardi 23 avril 2013

A partir de la série documentaire Kongo, qui retrace 500 ans de colonisation belge au Congo, l’association Culturea, en collaboration avec la Loterie Nationale et la ministre de l’Enseignement obligatoire, a conçu une valise pédagogique qui permet d’aborder ces problématiques en classe d’histoire. Un bel outil, très attendu par les enseignant-e-s !
L’originalité du projet tient au fait que la démarche pédagogique s’articule autour d’archives filmées de l’époque coloniale. Le procédé permet, d’une part, d’illustrer et d’aborder la colonisation au Congo et son indépendance dans le cadre des cours d’histoire du secondaire supérieur, d’autre part, d’entamer une réflexion, avec les élèves, autour de l’analyse de l’image.

La genèse du projet

Le projet a vu le jour il y a cinq ans, lorsque la société de production Eklektik, liée à l’asbl Culturea, a entrepris, en partenariat avec des centres d’archives et des universités belges et africaines, de digitaliser environ 200 films tournés entre 1910 et 1960, au Congo. Souvent étatiques ou missionnaires, les films oscillent entre réalité et propagande. Si ce travail de duplication s’inscrivait dans une démarche de sauvegarde des films pellicules, il avait aussi pour objectif de valoriser ce patrimoine, en permettant au grand public de découvrir ces images, dont seulement une infime partie avait déjà été rendue publique. C’est en ce sens qu’a été produite la série documentaire Kongo, diffusée en 2010 sur la RTBF et Canvas-VRT. Les trois documentaires qui composent la série sont chronologiques. Les films, en noir et blanc ou en couleurs, représentent des scènes quotidiennes ou officielles. Utilisant des procédés de docu-fiction, les réalisateur-trice-s ont agrémenté les films d’animations 2D, qui interviennent lorsque des images manquent pour illustrer certains aspects de l’épisode. L’animation devient, en fait, le fil conducteur de la narration, on écoute différents personnages de l’époque nous raconter leur histoire. Trois époques sont distinguées qui correspondent aux trois films :
  • « La Course effrénée » (1510-1908) revient sur les grandes étapes de l’occupation coloniale européenne au Congo ;
  • « Les Grandes Illusions » (1908-1960) nous parle du choc des idéaux entre les communautés blanche et noire;
  • « Le Géant inachevé » (1960-2010) évoque l’indépendance du Congo et la difficulté de reconstruire un pays sur les « décombres de l’aliénation coloniale ».
Lors de sa diffusion, la série Kongo a réuni plus d’un million de spectateurs. Forts de ce succès auprès d’un public adulte, les réalisateur-trice-s ont souhaité faire découvrir ces images à un public plus jeune. Le projet de la valise pédagogique Congo est né.

La valise pédagogique

La démarche pédagogique s’appuie sur différentes sources documentaires d’époque : images de films, témoignages, photographies, etc. Concrètement, la valise est composée de plusieurs fiches pédagogiques qui reprennent différents thèmes : la fiche « Mains coupées », par exemple, traite de l’exploitation dans l’Etat indépendant du Congo, la fiche « Stéréotypes » aborde la question des stéréotypes raciaux et ethniques, la fiche « Ségrégation raciale » revient sur les phénomènes migratoires et les dominations, etc. Pour chaque volet, est suggéré un parcours pédagogique que peut suivre l’enseignant-e, ainsi qu’un panel d’outils, en lien avec le parcours proposé. Sur certaines fiches, figure une grammaire cinématographique qui permet à l’enseignant-e de traiter différents termes liés à l’analyse audiovisuelle. Sont abordés les notions « d’angle de vue », de « valeur de plan », de « montage », etc. Enfin, le dossier comprend diverses annexes où se trouvent des synthèses générales, un lexique, un ensemble de biographies, une chronologie, etc.

Un outil fonctionnel

Pour Vincent Terlinchamp, producteur du projet, il était indispensable de proposer un outil correspondant directement aux attentes des enseignant-e-s sur le terrain, en lien donc avec les référentiels et programmes de compétences en vigueur. L’historienne Anne Cornet, chargée de la rédaction d’une grande partie des fiches, souhaitait réaliser « un outil très pratique afin que les enseignant-e-s gagnent du temps face à des programmes scolaires déjà très chargés ». Il ne s’agissait dès lors pas d’alourdir le travail des enseignant-e-s, mais plutôt de proposer un outil opérationnel qui permette d’aborder la colonisation, thème déjà inscrit dans le programme (même s’il peut être abordé par d’autres biais que la colonisation au Congo).

Développer l’esprit critique

Selon Marianne Tilot du cabinet de la ministre de l’Enseignement obligatoire, le soutien du projet par la ministre a suscité nombre de réflexions : « On a dit que la ministre soutenait un seul point de vue sur la colonisation » (preuve que le sujet est encore tabou). Pourtant, toujours selon Marianne Tilot, « le projet se conforme exactement à ce que l’on attend d’un cours d’histoire en Fédération Wallonie-Bruxelles, à savoir, apprendre aux élèves à avoir une vision la plus contrastée possible, pour développer un avis critique et pouvoir argumenter. » Anne Cornet va dans ce sens : « Nous avons souhaité proposer des documents qui vont parfois dans des sens contradictoires, afin que les élèves se fassent leur propre opinion.» Il est donc davantage question de développer un esprit critique que d’imposer un point de vue sur un fait historique. De plus, nous dit Vincent Terlinchamp, « l’utilisation des images filmées permet d’apprendre aux élèves à analyser un discours audiovisuel et de développer une lecture critique face aux médias d’aujourd’hui, qui tiennent actuellement une place prédominante dans la vie des jeunes. »

Un projet inter réseaux

Dans un contexte qui laisse la part belle, en matière de pédagogie, aux réseaux d’enseignement, il était important, pour les producteur-trice-s, que les réseaux soient intégrés au projet et puissent promouvoir l’outil en leur sein, malgré des sensibilités propres. C’est en ce sens que des conseillers pédagogiques des différents réseaux francophones, ainsi qu’un inspecteur de l’enseignement secondaire, ont été invités à relire et valider les fiches pédagogiques qui composent le dossier. Pour Marianne Tilot, « la valise pédagogique Congo a permis de faire travailler les réseaux ensemble pour construire un projet commun (…) Une démarche très riche pour l’avenir de l’enseignement ! »

Le rôle de l’histoire

Peu de manuels et de ressources pédagogiques spécifiques existent autour de la colonisation au Congo. Cet outil devrait pallier ce manque. Gageons qu’il soit largement utilisé par les enseignant-e-s. Anne Cornet nous parlait de l’importance d’apprendre aux élèves à nuancer les événements, hors de tout cliché. La valise pédagogique Congo semble s’inscrire dans cette volonté d’encourager l’esprit critique. Espérons, alors, que cela contribue, tout comme les référentiels de compétences en histoire le stipulent, à aider les jeunes à se situer dans la société et à la comprendre, afin d’y devenir des acteur-trice-s à part entière.   Le dossier pédagogique Congo a été distribué dans chaque école possédant un 3e degré secondaire, toutes filières et tous réseaux confondus. Pour plus d’informations : Anais Boudry, Eklektik Productions : anais@eklektik.be Philippe Plumet, Cellule Démocratie ou barbarie de l’Administration de la Fédération Wallonie-Bruxelles : philippe.plumet@cfwb.be   Juliette Bossé

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