Thermodynamique de comptoir

Mercredi 26 octobre 2016

La thermodynamique, branche passionnante de la physique, est celle qui traite des échanges de chaleur. Chauff er et refroidir, prévoir la température d’un mélange, connaître la quantité de bois à brûler nécessaire pour fondre du métal, les variations de température de l’atmosphère ou de l’océan: voilà des questions de thermodynamique, un domaine extrêmement varié occupant des centaines de milliers de physiciens et d’ingénieurs à travers le monde. Où peut-on faire de la thermodynamique? Au bistrot. On y sert du café, des bières et des jus: des boissons que l’on apprécie à diverses températures, où chauff er et refroidir est de première importance. Petite promenade dans la thermodynamique de l’horeca.
Lorsqu’un objet descend vers le sol, sa vitesse augmente. Juste avant le contact avec le plancher, sa vitesse est maximale: on dit que l’objet possède beaucoup d’énergie cinétique (énergie liée à la vitesse). Or, juste après l’écrasement, la vitesse, et donc l’énergie cinétique, est nulle. Qu’est-elle devenue? Elle n’a pas disparu, en vertu du principe fondamental de conservation de l’énergie: elle s’est brutalement transformée en chaleur, et c’est ce que Joule, physicien et brasseur, a établi de façon précise au 19e siècle. Par exemple, 250 grammes de beurre tombant de 2 mètres de haut, vont s’échauffer de 0,01 degré au moment du choc. Un phénomène peu visible pour une chute de beurre, mais tous les cyclistes savent qu’après une grande descente, la jante est fortement chauffée par le frottement des freins (parfois, de l’eau jetée sur la jante se met à bouillir!). Le système de freinage (patins de caoutchouc, disques, etc.) transforme le mouvement en chaleur. Il en est de même, bien sûr, pour une voiture ou pour un marcheur qui sent ses articulations chauffer en descendant une montagne. Ainsi, en vertu du principe de conservation de l’énergie, Joule a établi qu’on peut toujours faire correspondre une quantité de chaleur au freinage d’une certaine masse après une certaine hauteur de descente. L’unité officielle d’énergie, le joule, correspond à peu près à l’énergie donnée par un corps de 100 g après un mètre de chute.

Du soleil au thé

Lorsqu’on chauffe un corps, on a besoin d’une quantité de chaleur proportionnelle à la masse que l’on veut chauffer, et à l’élévation de température visée. Par exemple, pour préparer un thé (200 grammes d’eau que l’on veut porter de 20 à 100 degrés), on aura besoin de 65.000 joules environ, deux fois plus que pour un café de 100 grammes. C’est déjà une belle quantité d’énergie, fournie par le freinage d’un cycliste de 100 kg sur une descente de 65 mètres de dénivelé (imaginons par exemple, à Bruxelles, une descente de l’Altitude 100, à Forest, jusqu’à la gare du Midi). Concrètement, d’où vient cette énergie pour chauffer notre tasse de thé? En général, les cafetiers n’utilisent pas la jante d’un vélo venant d’effectuer une descente de 65 mètres. Mais ils possèdent une bouilloire électrique, branchée sur une lointaine usine fonctionnant grâce à l’énergie mécanique d’un fleuve, d’une éolienne ou d’une turbine. Dans le cas d’un barrage par exemple, pas de cycliste, mais de l’eau: c’est bien la chute de 100 kg d’eau sur 65 mètres, ou 1000 sur 6,5 mètres, qui donnera l’énergie nécessaire à la préparation du thé! Bien sûr, pour faire bouillir de l’eau, on peut brûler un combustible (gaz, bois, etc.). Là aussi, les conversions sont connues depuis plus d’un siècle: brûler un gramme de gaz fournit 50.000 joules, par exemple, presque de quoi faire notre thé, le bois environ trois fois moins. Au fait, d’où vient l’énergie de la combustion du bois? Des molé- cules qui le constituent, qui ont été synthétisées par une plante à partir de la lumière du soleil. Le bois peut être vu comme une sorte de «condensé» d’énergie solaire collectée sur plusieurs années par l’arbre. De même pour le gaz et le pétrole, à ceci près que la conversion a eu lieu il y a 200 millions d’années. Les plantes de l’époque se sont dé- composées d’une façon particulière, se transformant en «combustible fossile» protégé par des roches imperméables. Ainsi, notre thé doit sa bonne chaleur à quelques pieds de fougères de l’Ère Secondaire, une pensée qui devrait forcer l’admiration devant la longue conservation de cette ancienne énergie solaire, stockée dans le sous-sol pendant tant d’années. Notons d’ailleurs que l’électricité provient également presque toujours du soleil: pétrole, charbon, panneaux solaires, bien sûr, mais aussi éolienne ou barrage. Le soleil est responsable des différences de température qui mettent l’air en mouvement, et c’est toujours le soleil qui permet l’évaporation, et donc la chute de pluies sur les montagnes, et in fine l’existence de fleuves. L’énergie nucléaire fait exception: de toutes les sources d’énergie courantes, elle est la seule à n’être pas d’origine solaire. L’uranium a été formé il y a plusieurs milliards d’années dans des étoiles lointaines et ne doit pas son existence au soleil.

Idées pour refroidir

Ça y est, l’eau arrive à ébullition (une minute à peine avec une bouilloire de puissance moyenne). Le thé est mis à infuser. À près de 100 degrés, il est imbuvable. En combien de temps atteint-on les 40 degrés d’un thé qui ne brûle pas les lèvres? Jusqu’à quinze bonnes minutes si on ne fait rien. Heureusement, pour les gens 38 éduquer n° 124 | octobre 2016 sciences pressés, il existe plusieurs moyens pour accélérer le refroidissement d’une boisson, qui chacun concernent une branche de la thermodynamique. Première idée toute simple: verser de l’eau froide, bien sûr. Les joules de la tasse chaude sont réparties sur une plus grande masse d’eau, la température diminue. Et si on ne veut pas diluer le thé? Voici la conduction, qui consiste à évacuer la chaleur hors du liquide. On peut utiliser une tasse en matériau conducteur pour améliorer la fuite de chaleur vers l’extérieur: en aluminium, par exemple, bien meilleur conducteur que la porcelaine. On peut également stimuler les échanges de chaleur en augmentant la surface de contact entre le liquide et l’extérieur, s’inspirant ainsi des Français qui mangent la soupe dans une assiette (les Belges la préférant dans un bol). On peut, enfin, verser tout le thé dans une autre tasse froide: le liquide va donner une bonne partie de sa chaleur à la deuxième tasse.

Souffler

En surface, l’eau s’évapore. Chaque molécule d’eau qui part dans l’atmosphère sous forme de vapeur est plus agitée que l’eau liquide: elle emporte avec elle un peu d’agitation, donc un peu de chaleur. Le changement liquide-vapeur, en somme, consomme de la chaleur. On peut activer ce processus en soufflant sur le thé, ce qui augmente le nombre de molécules choisissant de partir en vapeur. De même, notre transpiration d’humain, s’évaporant sur notre peau, nous évite de trop chauffer et nous permet de fournir un effort prolongé: un extraordinaire atout (qui manque à la plupart des autres animaux) que la vie sédentaire moderne ne permet pas d’utiliser bien souvent.

On the rocks

Le procédé de refroidissement le plus spectaculaire consiste à tirer parti de la propriété suivante: un solide a besoin de beaucoup de chaleur pour devenir liquide. L’eau ne fait pas exception. Ainsi, la fonte de la glace reste un des procédés les plus rapides et efficaces pour refroidir un liquide. Un gla- çon de 30 grammes à 0 degrés suffit pour faire chuter la température de notre thé d’une vingtaine de degrés! L’effet est beaucoup plus spectaculaire qu’avec un caillou de même taille, même très froid (chute de 4 ou 5 degrés) car la pierre ne refroidit le liquide que par conduction, ce qui est beaucoup moins efficace que le changement d’état pour retirer de l’énergie au liquide. Certains amateurs servent le whisky «on the rocks» sur des cailloux froids, suivant une ancienne tradition écossaise. Ce procédé élégant évite la dilution du whisky due à la glace fondue, mais on perd l’efficacité de la glace. Une solution existe: les glaçons emballés dans du plastique, malheureusement pas très chics dans un whisky!

Il ne reste plus qu’à boire

Ces quelques considérations permettent de regarder d’un autre œil la boisson prise en terrasse: un liquide qui a reçu de l’énergie solaire par l’intermédiaire de l’électricité ou du gaz. Une collection de molécules d’eau dont la température diminue par conduction, évaporation ou liquéfaction. Des rêveries thermodynamiques qui ne devraient pas nous empêcher d’apprécier notre café!   François Chamaraux, Docteur en physique

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