Quels sont les impacts de la pauvreté sur les étudiant.e.s?

Jeudi 1 février 2018

La pauvreté est un cercle vicieux: une difficulté en entraîne souvent une ou plusieurs autres, mettant à mal les études et le projet d’avenir des jeunes. Comment en sortir?
Eduquer 135: Paupérisation des étudiant.e.s, urgence d'agir!
Nous l’avons vu en début de dossier, la pauvreté des familles gagne du terrain et malgré une démocratisation de l’accès aux études, les montants des bourses et le nombre de bourses disponibles sont insuffisants pour répondre à la quantité de demandes en Fédération Wallonie-Bruxelles. La première conséquence de cet appauvrissement des familles, c’est que pour beaucoup de jeunes, les études supérieures sont un luxe que leurs parents ne peuvent tout simplement pas leur offrir.

Accès et choix d’études

Pour celles et ceux qui accèdent aux études supérieures, le choix de la filière est souvent plus limité en fonction du type d’enseignement secondaire que le jeune a fréquenté et si ses conditions de vie sont précaires. Ainsi Christine Hermant, chargée de projets d’insertion des Jeunes au CPAS de Saint-Gilles, explique que «les jeunes sont nombreux à faire le choix d’un parcours d’études plus court et directement professionnalisant». Ce choix de filière semble donc influencé tant par les situations financières des étudiant.e.s que par ce qu’ils pensent être le plus souhaitable en termes de «chances de réussite». A ce sujet, en décembre 2017, le Délégué général aux droits de l’enfant, Bernard De Vos, écrivait justement dans nos pages que cette restriction du choix commence déjà durant les primaires et les secondaires: «La relation entre la relégation scolaire et la pauvreté n’est plus à prouver.

Faire de prestigieuses études annonciatrices d’un avenir radieux est plus souvent une question de moyens économiques que de talent individuel.

Un enfant dont les parents sont pauvres sera bien plus à risque de se retrouver dans les filières professionnelles - qui devraient être des filières d’excellence mais qui sont devenues avec le temps des filières de relégation - ou en enseignement spécialisé»[1]. Les inégalités scolaires en Fédération Wallonie-Bruxelles – redoublements excessifs, relégations dans certaines filières – sont une entrave à l’accès aux études supérieures pour des jeunes déjà fragilisés dans leur quotidien. De plus, pour celles et ceux qui parviennent tant bien que mal à y accéder, les choix de filières se limitent en fonction du nombre d’années de la formation, de la portée professionnalisante de celle-ci et du coût des études.

La question du logement

Au niveau du logement, les inégalités se font également ressentir. Payer un kot à son enfant, n’est pas envisageable pour toutes les familles, ce qui peut également limiter les choix de l’étudiant.e. Soit il reste chez ses parents et s’accommode comme il peut de ce non-choix, soit il part de chez lui et tente l’aventure seul ou en colocation. Dans le deuxième cas, l’offre restreinte des logements étudiants publics contraindra la grande majorité des jeunes à se diriger vers le privé où les loyers ne sont nullement encadrés. «La pénurie de kots constatée dans certaines villes et communes étudiantes exerce une pression à la hausse sur les loyers et renforce la précarisation étudiante par l’exclusion ou par difficulté de paiement», souligne Coralie Sampaoli, secrétaire générale de la Fédération des Étudiant.e.s

Santé des étudiant.e.s

L’enquête française sur Les Vies étudiantes met en avant le lien très fort entre l’indépendance en matière de logement et le non-recours aux soins de santé. «Le renoncement à aller voir un médecin déclaré par les étudiant.e.s est associé à la situation face au logement, et bien évidemment aux revenus qui, naturellement, jouent un rôle dans le renoncement aux soins des plus précaires (…) Près de 3 étudiants sur 10 vivant hors du foyer parental ont déjà renoncé à des soins (…) La famille et le maintien de la relation familiale jouent un rôle non négligeable de protection en matière de santé[2]». Elle conclut par ailleurs que «tout porte à constater que ce n’est pas l’isolement de chacun de ces événements qui entraîne des situations de vulnérabilité. Au contraire, on perçoit combien tout cela s’inscrit dans un processus cumulatif qui, par conséquent, impacte la santé des étudiant.e.s et plus largement, a des conséquences sur leurs parcours de vie», et donc, sans nul doute, sur leur réussite scolaire.

L’enseignement supérieur est le reflet de la société et la société est le reflet de son enseignement supérieur et les deux s’influent. Pourtant, de nos jours, aucun des deux ne va dans le sens du bien-être de tous et des droits de chacun.

Coralie Sampaoli, Secrétaire générale de la FEF

Précarité du travail étudiant

Selon la FEF, «1 jeune sur 2 est obligé de jobber pour financer ses études»[3]. à côté de l’appauvrissement général des familles et de la hausse du coût des études, le développement de flexy job et de petits contrats de travail à durée déterminée sont venus chambouler les équilibres qui existaient auparavant. Il y a de moins en moins de jobs étudiants disponibles et ceux-ci sont de moins en moins en rapport avec les études entreprises: rarement de quoi en retirer une réelle expérience professionnelle à faire valoir dans le futur. Cette dégradation de l’offre de jobs et des jobs étudiants pousse les jeunes à accepter de plus en plus n’importe quoi, ce qui peut encore davantage mettre en danger leurs études. Mis sous pression, certains vont travailler à tout prix, peu importe les horaires, y compris pendant les heures de cours, ce que la loi sur le travail étudiant interdit, théoriquement[4].

Prostitution étudiante

Même si la prostitution étudiante existe depuis longtemps, elle est en augmentation et elle se cristallise davantage depuis l’apparition des nouvelles technologies. Une étude bruxelloise sur les nouvelles formes de prostitution[5] démonte le mythe d’une jeune prostitution «d’agrément» et souligne que dans 30 à 50 % des cas, c’est bien la précarité qui pousse les étudiant.e.s rencontré.e.s à la prostitution. Le recours à la prostitution est plus fréquent en cas d’isolement, de rupture avec les liens familiaux et sociaux, en cas d’éloignement des services sociaux et de déconnexion progressive de la réalité institutionnelle, comme le soulignent les auteur.e.s Renaud Maes, professeur de sociologie et Chedia Leroji, chercheuse indépendante. Ils ont tous deux mené cette étude à partir de témoignages. Ils estiment qu’ils et elles sont au moins 1.800 à se prostituer: «La prostitution est en constante augmentation et elle s’appuie sur la précarisation grandissante des étudiants. Si l’on veut réellement endiguer cette prostitution, il ne suffit pas d’empêcher que la publicité arrive aux étudiants mais il faut faire en sorte qu’elle ne soit pas pertinente et lutter contre la précarité!»[6].

Estime de soi

Quelles sont les chances de réussir sa scolarité, sa vie sociale, familiale, amicale, sans la confiance en soi? Comment trouver cette confiance si personne ne vous la donne? Comment se lancer dans des études et croire en soi, quand tout vous rappelle que vous êtes trop pauvre pour étudier, pas assez malin pour intégrer l’université et pour vous insérer dans la société? Aujourd’hui, être pauvre, c’est se sentir coupable et pas capable. La pauvreté est chassée, contrôlée, cachée. La menace plane en permanence et rares sont ceux qui en sortent indemnes. Cette méfiance ambiante influe directement sur la confiance et l’estime de soi des personnes qui en sont les victimes, comme les étudiant.e.s bénéficiaires du revenu d’intégration du CPAS. Pour les étudiant.e.s plus précarisé.e.s, l’accès aux études et la réussite d’une formation sont entravés par les conditions de vie: famille en détresse, démarches administratives lourdes notamment en matière de logement mais aussi de demandes de bourses et autres aides, stress, job étudiant précarisant, risques d’endettement, santé détériorée, manque de confiance… Nous avons d’ailleurs constaté qu’une difficulté en entraine souvent une ou plusieurs autre(s) et nous pouvons à présent imaginer à quel point cela se répercute sur les études mettant à mal le projet d’avenir de jeune. Bernard De Vos, le Délégué général aux droits de l’enfant, écrivait dans le dernier numéro de notre Revue Éduquer de décembre 2017: «À ce manque d’argent qu’on appelle ‘pauvreté’ s’ajoutent une série de difficultés, de stigmatisations et de discriminations qui plongent les familles pauvres et leurs enfants dans une spirale d’exclusions dont il est très difficile de se sortir. Les conséquences de la pauvreté sur l’égalité des chances ainsi que sur la construction identitaire des enfants des familles qu’elle frappe sont énormes. Les souffrances physiques et psychologiques qu’entraîne la pauvreté sont également loin d’être négligeables». Dans le contexte actuel de restrictions des droits sociaux et d’économie budgétaire, les étudiant.e.s ne sont pas en reste. Cette période dite communément de «galère étudiante» n’a jamais été aussi discriminante et inégalitaire envers les jeunes et surtout envers les plus précarisés, que maintenant. Entre les mesures de restriction des droits au chômage, la précarisation des emplois à leur portée, les inégalités scolaires, peu de choses se mettent en place pour réellement encadrer leurs études. Par ailleurs, même s’il est le bienvenu, le soutien apporté par les CPAS est très contraignant et plutôt mal vécu. Nul doute que pour sortir «l’étudiant» de sa condition précaire, de grands changements devraient être opérés, à commencer par un changement de mentalité. Une réflexion globale sur la jeunesse et le statut étudiant doivent être menées. C’est l’enseignement et son mode de fonctionnement tout entier qui doit être repensé. Que voulons-nous pour les jeunes de demain et dans quelle société voulons-nous tous vivre? Maud Baccichet, secteur communication [1] DE VOS, B. «Pauvreté ou l’infranchissable barrière aux droits de l’enfant», Éduquer. Décembre 2017, n°134. Publication de la Ligue de l’Enseignement et de l’Éducation permanente. Page 26. [2] Idem. Pages 213-232. [3] Enquête sur les Conditions de vie étudiantes de la FEF. [4] Loi du 3 juillet 1978 relative au contrat de travail – Titre VII: Le contrat d’occupation d’étudiant. In: www.emploi.belgique.be/detailA_Z.aspx?id=1060 [5] Étude commanditée fin 2016, par le cabinet de la ministre bruxelloise en charge de l’Aide aux personnes, Céline Fremault (cdH). [6] «Belgique. Sur les campus, une campagne publicitaire invite les étudiantes à se prostituer». Courrier International. 26/09/2017. IN: www.courrierinternational.com/article/belgique-sur-les-campus-une-campagne-publicitaire-invite-les-etudiantes-se-prostituer Crédit illustration article: Image tirée du film Mes chères études d’Emmanuelle Bercot

Quels droits pour les étudiant.e.s stagiaires?

Les étudiant.e.s en stage sont bien souvent «utilisés» comme des membres à part de l’entreprise alors qu’ils ne bénéficient aucunement des mêmes droits et du même statut d’employé. En France, une nouvelle loi est entrée en vigueur en septembre 2015, visant à mieux protéger et encadrer les stagiaires durant leurs études. Ceux-ci ne doivent plus dépasser les 6 mois et doivent être rémunérés minimum 523 euros par mois, dès le deuxième mois de présence du stagiaire. De plus, le stagiaire doit bénéficier de ticket repas s’il y en a à disposition dans l’entreprise et doit se faire rembourser au moins la moitié des frais de transports. Enfin, nos voisins français ont même prévu la possibilité de prendre des congés sous certaines conditions. Par ailleurs, des contrôles sont renforcés afin d’empêcher les entreprises de cumuler les stages de un mois et d’éviter dès lors de rémunérer ces stagiaires. La Fédération des Étudiant.e.s Francophones continue d’appeler le monde politique à créer une législation spécifique et avance plusieurs propositions:
  • mettre en place des critères clairs dans les évaluations de stage, qui seront discutés au préalable entre toutes les parties, pour permettre aux étudiant.e.s de réussir au mieux leur période de stage; permettre la création d’une instance de recours en cas de litiges concernant un stage, afin que les étudiant.e.s puissent se défendre en cas d’abus reconnus;
  • instaurer une deuxième session dans le cas où l’étudiant.e a raté son stage, car cet échec n’est pas toujours basé sur des critères clairs et le stage est parfois la seule «matière» que l’étudiant doit repasser... l’année suivante;
  • le remboursement des frais de transport pour le stage, qui serait donc le minimum selon la FEF: il n’est pas question pour le moment de réclamer une quelconque rémunération comme en France.
Source: www.fef.be et http://fr.newsmonkey.be/article/17116  

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