Probablement des geysers sur un satellite de Jupiter

Lundi 28 novembre 2016

Bientôt des poissons extraterrestres?

On n’en est pas encore au débarquement des petits hommes verts, mais un petit pas a peut-être été franchi vers la découverte de vie extraterrestre: le 26 septembre dernier, dans une conférence de presse1 , la NASA affirmait avoir détecté de probables panaches de vapeur d’eau au-dessus du sol d’Europe, un des quatre gros satellites («lunes») de Jupiter. Des jets de vapeur de 200 km de haut ont été observés, qui pourraient bien correspondre à de l’eau éjectée à haute altitude par des «geysers» europiens.

Un océan sous la banquise

Europe est une «lune» de même taille que la nôtre, entiè- rement couverte d’une couche de glace, striée de fractures et de bosses, qui ressemble à la banquise terrienne. Divers indices semblent indiquer l’existence d’un immense océan liquide et salé sous cette couche. En somme, Europe serait recouvert d’une sorte de super-océan Arctique profond de plusieurs dizaines de kilomètres, protégé par une banquise ininterrompue de plusieurs kilomètres d’épaisseur. Pour trouver de l’eau liquide sur Europe, il faudrait donc effectuer un forage à travers la couche de glace… Un projet extrêmement complexe et coûteux. On comprend donc mieux l’émoi des astronomes: les possibles «geysers» sont une occasion inespérée de connaître la composition de l’eau «sous-glaciaire» sans devoir percer la banquise. Il «suffirait» de récupérer la vapeur, à quelques dizaines de kilomètres de la surface du corps céleste… «Ces panaches, si leur existence est bien confirmée, pourraient fournir un autre moyen de connaître le sous-sol d’Europe», affirme, prudent, G. Yoder (NASA).

Science et science-fiction

Et pourquoi, au fond, tant d’excitation pour analyser l’eau d’un geyser situé à près d’un milliard de kilomètres de chez nous? Tout simplement parce que, selon le même G. Yoder, toujours prudent, «l’océan d’Europe est considéré comme un des endroits les plus prometteurs du Système Solaire pour, potentiellement, abriter de la vie». Europe fait rêver les scientifiques depuis longtemps, ainsi que les auteurs de science-fiction (et leurs lecteurs, comme moi), qui ont imaginé des formes de vie plus ou moins évoluées dans l’océan europien. Le roman 2010, Odyssée II, par exemple, raconte l’épopée de missions spatiales (une chinoise, et une russo-américaine) partant en exploration dans le voisinage de Jupiter. Le vaisseau chinois se pose sur Europe et se fait détruire par une créature émergeant de la glace… un exemple, parmi d’autres, de la fascination exercée par le mystérieux océan caché d’Europe.

Des poissons sur Europe?

Pourtant, la météo sur Europe semble peu agréable… à 800 millions de kilomètres du soleil (soit cinq fois plus loin que nous), les conditions sont franchement hivernales, avec un thermomètre à -150 °C, température à côté de laquelle le -93°C mesuré au milieu de l’Antarctique, semble presque confortable. Comment peut-on imaginer de la vie dans de telles conditions? Jusqu’à 1977, difficilement. Mais cette année-là, une exploration en océan très profond a révélé que certaines sources chaudes volcaniques jaillissant au fond de certains océans (les «fumeurs noirs») hébergent un écosystème complètement isolé du reste du monde, qui ne dépend pas de la lumière du soleil. Cette découverte bouleversante a mis fin à l’idée ancienne suivant laquelle la vie a absolument besoin de photosynthèse, terme qui décrit la ré- action chimique de production de molécules organiques par les plantes, à partir de la lumière du jour2 . Dans ces écosystèmes des abysses, d’autres réactions chimiques procurent à des bactéries, l’énergie nécessaire pour produire les molécules organiques, à leur tour consommées par des formes de vie animales, vers et crustacés. Toute une chaîne alimentaire fonctionne ainsi par «chimiotrophie», sans plante verte et sans soleil! Par la suite, d’autres écosystèmes «extrémophiles» ont été trouvés dans des milieux a priori hostiles (très froids, très acides, très salés, radioactifs, etc.), élargissant le spectre des lieux pouvant accueillir la vie. Il devient donc beaucoup plus sensé d’espérer trouver de la vie sur Europe. On peut notamment penser à des bacté- ries anaérobies (qui vivent sans oxygène) résistantes au froid, comme celles détectées au lac de Vostok, en Antarctique. Certains scientifiques, comme R. Greenberg3 , soutiennent même que les mouvements de la banquise europienne pourraient apporter de l’oxygène dans l’océan sous-glaciaire, et ainsi permettre l’émergence d’une macro-faune, comparable à nos poissons, par exemple. L’océan d’Europe pourrait bien être peuplé d’animaux rappelant ceux des grands fonds terriens.

Intelligence extraterrestre et paradoxe de Fermi

Possibles poissons sur Europe, vie extrémophile… difficile de ne pas rêver, une fois de plus, à la vie extraterrestre, voire à des civilisations lointaines capables de communiquer. Si aucune forme de vie lointaine n’a jamais été observée, en 1995, a été faite une découverte majeure, peut-être l’une des plus importantes du siècle dernier: une première «exoplanète», c’est-à-dire une planète orbitant autour d’une étoile autre que le Soleil, a été détectée. Une telle observation n’a rien d’évident: détecter une planète tournant autour d’une étoile lointaine, c’est un peu comme voir un moucheron tournant autour d’un lampadaire, à mille kilomètres de distance… Depuis 1995, environ 3000 exoplanètes ont été trouvées, de toutes tailles et températures. Si tant de planètes existent, il est tentant d’espérer y détecter une trace de vie lointaine. Pour certains scientifiques comme Carl Sagan, la vie extraterrestre est même certaine; la question est plutôt de comprendre pourquoi nous ne l’avons toujours pas remarquée. Cette question aurait été soulevée par Fermi, un des plus grands physiciens du siècle dernier, et a été examinée par de nombreux scientifiques. Pourquoi, au fond, n’avons-nous toujours pas été contactés par des extraterrestres? Après tout, l’Univers est très ancien. Il doit bien y avoir des civilisations, même très lointaines, qui ont évolué pendant des millions d’années, temps suffisant pour coloniser la Galaxie et venir nous rendre visite. Ainsi, certains scientifiques parfaitement sérieux retournent le problème, qui n’est plus «y a-t-il de la vie ailleurs?» mais plutôt «par quel mystère ne l’a-ton toujours pas vue?» De nombreuses hypothèses ont été avancées, hautement spéculatives mais dont la variété témoigne de l’imagination des scientifiques, pas nécessairement bridée par leur supposée rationalité. Certains suggèrent ainsi que la Terre est une sorte de réserve naturelle protégée par des puissances extraterrestres qui refusent d’y pénétrer (l’hypothèse «du zoo»). Pour d’autres, la vie existe ailleurs, et peut-être même pas loin, mais ces êtres n’ont pas spécialement envie (ou pas les moyens) d’entrer en contact avec nous. Pensons aux éventuels poissons europiens: sous leur banquise, comment pourraient-ils nous appeler? Pour d’autres, les civilisations extra-terrestres sont sobres et modestes, et n’ont tout simplement pas envie de coloniser d’autres planètes que la leur. D’autres enfin apportent l’argument inverse: les civilisations ne sont pas sobres, ni modestes. Soit par épuisement des ressources, soit par auto-destruction, elles disparaissent après quelques milliers d’années, un temps bien trop court pour aller explorer la galaxie: un scénario bien évidemment inspiré des nôtres (Empire Romain, Maya, et peut-être, civilisation actuelle).

Le jour où la NASA l’annoncera

Pourquoi, finalement, cette excitation autour de la vie extraterrestre? Que se passera-t-il le jour où la NASA ou l’ESA publiera la preuve de vie sur Europe ou ailleurs, si ce jour survient? À titre personnel, j’espère assister, de mon vivant, à ce moment historique, pas si improbable que cela, même s’il ne s’agira sans doute que de micro-organismes sans intelligence. On peut s’amuser à parier sur les réactions des uns et des autres et les titres des journaux. Réflexes nationalistes (ou plutôt planétalistes): «nous n’avons rien à voir avec ces êtres-là». Projets d’exploitation commerciale («beaucoup d’argent à faire») contre protection («laissons-les tranquille»). Assistera-t-on à une révélation philosophique globale («nos querelles terrestres ne sont-elles pas ridicules, vues de Jupiter?»), enthousiasme collectif, envie accrue de vivre ensemble et de gaspiller moins? Beaucoup de débats passionnants en perspective, qui éclipseront sûrement, quelques temps au moins, querelle linguistique, tunnel de l’avenue Louise et nouvelles pessimistes de… l’Europe.  

François Chamaraux, Docteur en physique  

1. www.nasa.gov/press-release/nasa-s-hubblespots-possible-water-plumes-erupting-onjupiters-moon-europa 2. Rappelons que même les amateurs d’américain non préparé et autres carnivores stricts (buse ou brochet) ont besoin de plantes, qui nourrissent leurs proies ou les proies de leurs proies. Quant aux champignons, ils ne peuvent survivre sans interaction avec une plante verte. Ainsi, aucune vie terrestre «habituelle» ne fonctionne sans soleil. 3. www.universetoday.com/42303/ europa-capable-of-supporting-life-scientist-says/  

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