Précarité infantile: l’importance de l’école

Mardi 13 mars 2018

Tous les enfants sans-abri, qu’ils soient belges, migrant.e.s, ressortissant.e.s de l’Union européenne ou non, devraient pouvoir jouir de leur droit à l’instruction. Pourtant en Belgique, ces enfants sont discriminés et leurs droits bafoués. Et c’est de pire en pire…
On le sait, tous les 5 ans, depuis que la Belgique a ratifié la convention relative aux droits de l’enfant en 89 (convention signée par tous les pays sauf les USA), le gouvernement doit rendre un rapport au Comité des droits de l’enfant qui fait état des progrès réalisés dans le pays sur la thématique. En parallèle, les ONG, mandatées pour appliquer la convention, doivent rendre leurs rapports alternatifs. Le rapport du gouvernement a été remis en juillet, en mars, ceux des 41 organismes de terrain francophones et néerlandophones actifs dans la défense des droits de l’enfant. Autant dire que les différences entre les rapports sont importantes. Le constat des ONG est sans appel: «les enfants n’ont pas tous les mêmes droits». Y sont pointées un certain nombre de problématiques pour lesquelles la Belgique est en porte à faux: discrimination, pauvreté, asile et migration, maltraitance et enseignement. «Les inégalités restent nombreuses entre les enfants et les jeunes en Belgique: enfants placés, enfants en situation de handicap, enfants précarisés ou enfants migrants sont clairement discriminés par rapport à d’autres, dans notre pays» déclarent les auteur.e.s du rapport alternatif dont Bernard De Vos (Délégué général aux droits de l’enfant), Bruno Vanobbergen (Vlaams Kinderrechtencommissaris), la Coordination des ONG pour les droits de l’enfant, la Kinderrechtencoalitie et le projet «What Do You Think?» d’UNICEF Belgique.

Pauvreté grandissante

Le nombre d’enfants touchés par la pauvreté ne cesse d’augmenter. Selon l’Unicef, la Belgique a un des taux de précarité infantile les plus hauts d’Europe. À Bruxelles, 4 enfants sur 10 grandissent dans la pauvreté, 1 sur 4 en Wallonie et 1 sur 10 en Flandre. Le taux de risque de pauvreté des jeunes entre 16 et 24 ans est lui aussi, en augmentation, passant de 15,3 % en 2011 à 21,2 % en 2016[1]. En Belgique, 15,5 % de la population connait un risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. À Bruxelles, il monte à 38 %. L’augmentation du coût de la vie et principalement des logements, combinée à une forte crise de l’emploi, ont plongé de plus en plus de familles dans la situation. 14 % des familles vivent avec moins de 1.500 euros par mois, et 29 % d’entre elles sont monoparentales, ce qui sous-entend encore plus de précarité, particulièrement quand il s’agit de mères célibataires. Pour certaines familles, le passage par une maison d’accueil d’urgence est inévitable, résultat d’une multitude de difficultés devenues ingérables: endettement, problèmes psychosociaux, violences intrafamiliales, conjugales…

Accueil d’urgence pour les familles

Nous nous sommes rendus au 160, une des maisons d’accueil d’urgence de l’asbl L’ilôt à Bruxelles. 24h/24 et 7 jours/7, elle y reçoit spécifiquement des femmes seules ou avec enfants et des familles (mais pas d’hommes seuls) qui du jour au lendemain, se retrouvent sans domicile. «Notre objectif est de les sortir de cette urgence», explique Jean-Luc Joiret, directeur. «Nous établissons un programme bien précis sur trois mois afin d’essayer de répondre à leurs besoins fondamentaux que sont la sécurité, le logement et la nourriture». Les enfants sont encadrés par des éducateur.trice.s. Des activités sont organisées, des ateliers créatifs, une école de devoirs, du soutien scolaire. Les parents bénéficient eux aussi d’un programme de soutien à la parentalité pour les aider à gérer au mieux le séjour en maison avec leurs enfants. Ces familles ont des profils très différents. Toutes cependant, ne bénéficient que de faibles revenus ou même pas du tout. Elles sont au CPAS ou au chômage. Certaines sont issues de pays européens, mais elles ne sont jamais parvenues à se trouver un logement, faute de revenus ici en Belgique. C’est le cas de plus en plus de familles issues de l’Europe de l’Est notamment mais aussi d’Italie, de France ou des Pays-Bas. Les personnes issues de l’immigration en procédure de régularisation en Belgique peuvent également élire domicile à l’ilot, le temps de souffler. Mais sans perspectives d’avenir ici en Belgique, elles repartent vers d’autres lieux d’hébergement.

Priorité: scolarité

Pour les enfants qui accompagnent les parents, la priorité c’est de rester scolarisés ou de le devenir au plus vite. «Il nous arrive de devoir chercher une école pour l’un ou l’autre enfant et bien souvent, on trouve» comme l’explique Véronique Dassy, assistante sociale. «C’est vraiment important de leur permettre d’aller à l’école pour leur sociabilisation». En revanche, pour les crèches, c’est une autre paire de manches, «Bien souvent, il faut être domicilié dans la commune pour obtenir une place, alors pour ces familles qui ne font que passer par notre maison, c’est quasi impossible de trouver un accueil en crèche. Pour certaines mères, c’est désespérant. Et pour les enfants, ce n’est vraiment pas idéal de passer leurs journées ici, entourés de personnes en difficultés, plutôt qu’avec leurs pairs et des puéricultrices. On tente de se débrouiller avec l’ONE (Office de la Naissance et de l’Enfance)… Il m’arrive de proposer une alternative aux femmes qu’on accueille et de les diriger vers une formation auprès d’Actiris. Ainsi, elles peuvent se former et souffler un peu en confiant leurs enfants à un service de crèche».

Pour une égalité des chances à l’école

Permettre aux enfants dans des situations extrêmes de précarité de pouvoir se rendre à l’école n’est pas forcément simple. Pourtant, en Fédération Wallonie-Bruxelles ainsi qu’en Communauté flamande, tous les enfants, peu importe leur statut administratif, la présence ou non de document de séjour, ont accès à l’enseignement. Le Délégué général aux droits de l’enfant, Bernard De Vos, et le Kinderrechtencommissaris, Bruno Vanobbergen, souhaitent que les autorités compétentes garantissent à toutes les familles les moyens de participer pleinement à la vie en société. Cela passe par un accès à un logement de qualité financièrement abordable pour tout.e.s et par la mise en place d’une véritable politique d’égalité des chances explicite en matière d’enseignement. Cela commence par la réduction des frais scolaires qui restent trop élevés. Un sondage de la Ligue des familles réalisé en 2016 relevait qu’en maternelle, le coût d’une année scolaire s’élevait en moyenne à 280€[2] et à 1.225€ pour une année en primaire. Il s’agit de tendre vers la gratuité promise par la Constitution belge et le droit international. Par ailleurs, le groupe Ecolo a récemment interpellé la ministre de l’Éducation, Marie-Martine Schyns, afin de créer «un cadre structurel pour que la gratuité soit effective partout et pour tout le monde (…) Le projet de décret déposé au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles permet de mettre en pratique cette intention. L’école est un premier reflet de notre société, il est fondamental qu’elle soit accessible à tous les enfants, quelle que soit leur origine sociale». Une autre préoccupation pointée par les organismes de défense des droits de l’enfant concerne d’autres inégalités à l’école. Des enfants ont été interrogés par UNICEF Belgique. Ces enfants recommandent une vraie égalité des chances à l’école. «Les réorientations du général vers le technique, le professionnel ou le spécialisé, les redoublements, les mauvais choix d’études, les démotivations, les échecs répétitifs ne peuvent pas être la norme[3]». Le nombre de jeunes qui quittent l’enseignement obligatoire sans un diplôme devient inquiétant; les exclusions scolaires et le taux de redoublement en Belgique francophone sont également pointés du doigt, notamment par les tests PISA[4]. Beaucoup de jeunes venant de milieux défavorisés se retrouvent encore dans l’enseignement spécialisé qui offre, certes, un encadrement plus personnalisé que le général et coûte moins cher. Ceci étant, l’enseignement spécialisé est loin de proposer les mêmes perspectives d’avenir professionnel. A l’avenir, le Pacte pour un Enseignement d’Excellence devrait s’inspirer de toute une série de recommandations émanant de la Fondation Roi Baudouin, association spécialisée dans l’accompagnement de familles précarisées disposant ou non d’un logement. La formation initiale des enseignant.e.s a également un rôle essentiel à jouer en termes d’égalité et d’ouverture vis-à-vis de publics plus fragilisés et aux origines sociales et ethniques différentes. Maud Baccichet, secteur communication   [1] SPF Économie. 2017. Risque de pauvreté selon sexe et classe d’âge pour la Belgique. [2] www.laligue.be [3] www.dgde.cfwb.be [4] www.oecd.org   Plus d'infos: http://www.lacode.be/etude-2017-rapport-alternatif-des.html Illustration: Abdel de Bruxelles  

Sur le vif:

En 2018, la scolarisation des enfants sans domicile fixe a déjà fait l’objet de deux interventions de députées au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, Mathilde Vandorpe (cdH) en janvier et Latifa Gahouchi (PS) en ce mois de mars.
Dans sa réponse à madame Gahouchi, datant de ce lundi 12 mars, la ministre de l’Éducation Marie-Martine Schyns relaie certaines problématiques soulevées par les associations de terrain en matière de scolarisation des enfants sans-abri, comme « les frais liés aux équivalences de diplôme ou les difficultés pour les écoles de scolariser un tel public sans moyens supplémentaires en cours d’année scolaire… ». La ministre Schyns indique que ces obstacles seront levés grâce au Pacte d’excellence, notamment sur « la gratuité des équivalences pour certaines catégories d’élèves et l’octroi d’un encadrement à plusieurs dates de comptage en fonction du nombre d’élèves primo-arrivants ou non-primo-arrivants qui n’ont jamais été scolarisés ». La ministre évoque par ailleurs, le lancement d’un appel à projets financé, « sur plusieurs domaines et notamment sur la lutte contre les inégalités scolaires et le renforcement de la scolarisation des élèves en grande difficultés sociales, culturelles et familiales ».
Les difficultés sociales, culturelles et familiales ne doivent pas être un frein en matière de scolarité. Pour rendre l’école accessible à tou.te.s, si c’est bien cela que l’on souhaite, le Gouvernement doit tout mettre en œuvre pour simplifier les modalités d’inscription, diminuer les coûts réels de l’école en tendant vers la gratuité scolaire et mieux encadrer et soutenir les écoles. Le travail de sensibilisation des parents ou de soutien scolaire aux enfants porté à bras-le-corps par les associations de terrain ne peut venir combler ces manquements de la part des pouvoirs politiques.

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