Monoparentalité: femmes et enfants en danger

Jeudi 6 février 2020

Les familles monoparentales représentent une famille sur quatre en Belgique, une sur trois en Région bruxelloise. La responsabilité de ces familles repose dans 80% des cas sur les femmes. Se séparer et vivre seule accroît davantage le risque de pauvreté pour les mères et les enfants que pour les pères.

Une enquête de la Ligue des familles réalisée en 2019 et étalée sur 3 années, montre qu’«après la séparation, un grand nombre de parents ont dû se reloger (79%), racheter des meubles (75%), voire une voiture (39%). Ainsi, plus de 8 parents sur 10 s’estiment (fortement) appauvris par la séparation et ont des fins de mois difficiles. 25% des répondants rencontrent même des difficultés pour se nourrir correctement[1]». La monoparentalité est souvent synonyme de précarité, de solitude, de stéréotypes genrés, d’injustices, de charge mentale et physique et de violences intrafamiliales. L’expérience est rarement vécue comme positive, exceptée quand l’autre parent partage de manière égale les responsabilités liées à l’enfant. Or, en Belgique la responsabilité de 80% de ces familles repose sur des femmes. La moitié de ces femmes ne perçoit aucune rente alimentaire pour leur enfant tant l’accès au SECAL, l’organisme public qui peut sous certaines conditions avancer et récupérer les pensions alimentaires non payées, est conditionné et tant l’exécution des jugements est longue et coûteuse (frais d’avocats et d’huissier).

Monoparentalité et pauvreté

Depuis le 19 mars 2019, suite à des mobilisations de mères monoparentales devant le palais de justice, le plafond de revenu pour les avances du SECAL a été augmenté à deux reprises. Au 1er janvier 2020, les parents solos qui ont droit à une pension alimentaire pourront bénéficier des avances du SECAL si leur revenu mensuel ne dépasse pas les 2.200 euros nets augmentés de 70 euros par enfant à charge. C’est un progrès, certes, mais ça n’est pas suffisant pour lutter de manière structurelle contre les inégalités abyssales auxquelles sont majoritairement confrontées les mères monoparentales. Il faut rappeler que « ces familles (monoparentales) ont un plus grand risque de sombrer sous le seuil de pauvreté que les autres familles. (...) Ce risque élevé de précarisation des familles monoparentales est dû aux facteurs de risques sur le marché du travail comme le niveau de formation et le genre. (...) Les femmes (...) ont un niveau de formation généralement moins élevé que la population d’âge actif. Cela rend leur position sur le marché du travail particulièrement précaire. En outre, il est plus difficile pour les mères isolées de combiner travail et vie familiale que pour les couples». Par ailleurs, et comme énoncée précédemment, 40% des mères monoparentales cheffes de famille, ne perçoivent aucune pension alimentaire. Or « Selon une étude réalisée par la K.U. Leuven en 2009, lorsque les familles monoparentales touchent une pension alimentaire, le taux de pauvreté s’élève à 22,8%. Sans cette pension, il grimpe à 42,6%[2]».

Changements structurels dans la justice

Si ces mesures devraient permettre d’améliorer les conditions de vie de ces femmes et de leurs enfants, il semble cependant, indispensable de réformer en profondeur la justice, qui d’une certaine manière, bien qu’elle se soit modernisée notamment en droit de la famille, n’est pas du tout au point concernant l’exécution des jugements et les questions de violences intrafamiliales. En effet, au jourd’hui en Belgique, un père peut obtenir la garde partagée simplement en la demandant, sans aucune difficulté. On constate toutefois, qu’une partie de ces pères la demande pour se soustraire au paiement de la pension alimentaire car ils savent pertinemment que les mères se décourageront face à une nouvelle procédure judiciaire, souvent très longue, coûteuse et non satisfaisante. Par ailleurs, si certaines femmes se sentent menacées du simple fait de recourir à la contrainte judiciaire pour le paiement des pensions alimentaires, encore faut-il qu’elles aient les moyens financiers et l’énergie pour les récupérer dans les situations d’insolvabilité. La contrainte judiciaire est parfois un prétexte d’escalade de violences. Dans ces cas précis, les mères n’ont aucun recours possible. À noter que les enfants témoins de violences sont souvent confiés au parent violent sous prétexte qu’un «mauvais mari n’est pas forcément un mauvais père». Un point de vue contesté par Édouard Durand, ex-juge aux affaires familiales et ex-juge des enfants, aujourd’hui chargé de formation à l’École nationale de la magistrature en France et auteur du livre «Violences conjugales et parentalité» qui défend l’idée que «Si on protège la mère, on protège son enfant». Alors qu’en France, le Syndrome d’aliénation parentale, concept d’un psychanalyste américain masculiniste sans fondement scientifique, est considéré comme une violence faite aux femmes, en Belgique cette notion fait jurisprudence et condamne les mères en leur ôtant leur autorité parentale. Les mères monoparentales, victimes de violences de la part de leur ex-conjoint, continuent d’être exposées aux violences après la séparation car 70% des plaintes pour violences conjugales sont classées sans suite dans le Royaume belge, ce qui conforte les auteurs de violences.

Solidarité associative et action politique

Devant ces difficultés, le manque d’information et d’aide à ce sujet, est née la page Facebook «Des Mères Veilleuses». L’idée était de créer un lieu d’échange et de solidarité pour mieux soutenir et accompagner les mères monoparentales. En avril 2017, un appel lancé sur la page a permis l’organisation d’une rencontre de mères monoparentales à l’initiative «Des Mères Veilleuses» (initialement «Des Mères dont Nous») en collaboration avec la Ligue des Familles et la Maison des FemmesMove asbl. Cette rencontre a eu lieu à la Maison des Femmes de Molenbeek réunissant des femmes de catégories socio-économiques très disparates (diplômées, non diplômées, de milieu populaire, de classe moyenne, originaires du Brabant Wallon ou de Bruxelles…) permettant une belle mixité sociale, avec des échanges d’expériences riches et étonnement similaires. La matinée s’est organisée autour de 4 thématiques spécifiques aux mères monoparentales: les violences faites aux femmes, les stéréotypes liées à la monoparentalité, le burn-out parental et l’aspect financier de la monoparentalité. À l’issue de ces ateliers et du partage des vécus, les participantes ont proposé de nombreuses pistes d’action adressées aux pouvoirs publics et reprises dans une brochure téléchargeable sur le site web de l’association «Amazone». La page Facebook «Des Mères Veilleuses» est un premier pas pour lutter contre l’isolement de ces mères et leur permet d’échanger des bons tuyaux, de rencontrer d’autres mères isolées, de s’informer de leurs droits, de prendre connaissance des activités gratuites. Grâce à cette page, des acteurs et actrices du monde associatif ainsi que les institutions publiques ont pris connaissance des besoins des mères monoparentales et leur proposent des actions de soutien. Une «Maison des parents solos» est née à Forest suite à tous ces nombreux échanges. Depuis la nouvelle législature, la monoparentalité sous l’angle genré fait également partie de la Note de politique générale et des priorités de Nawal Ben Hamou, Secrétaire d’État à l’Égalité des Chances de la Région bruxelloise. Par ailleurs, la Région bruxelloise, toujours sous l’égide de la Secrétaire d’État, est en train de répertorier toutes les initiatives des Communes bruxelloises en matière de monoparentalité.

Stéréotypes et burn-out

Cette rencontre du 23 avril 2017 a donc permis de mettre clairement en évidence ces inégalités liées au genre dans le contexte de la monoparentalité. Une mère monoparentale, en raison des responsabilités qu’elle assume à peu près seule, du dysfonctionnement judiciaire (plaintes classées sans suite), des pensions alimentaires non payées, des difficultés à trouver un logement ou un emploi, s’isole peu à peu. Le cercle social se réduit donc au mur de son foyer ou à quelques échanges sur internet si elle a le privilège d’avoir une «connexion» chez elle. Sans compter celles qui ont dû partir en raison des violences de l’ex-partenaire, et qui continuent de les subir malgré la séparation, eu égard à une justice défaillante et sous-financée quant à ces questions. Les mères monoparentales mettent par ailleurs considérablement plus de temps à reconstruire une vie en couple à cause de ces nombreux obstacles. Elles doivent aussi faire face aux stéréotypes de genre. Elles sont par exemple souvent considérées comme responsables de la situation de séparation. Elles sont supposées mieux gérer les enfants. L’épuisement est donc inévitable dans un contexte aussi anxiogène et discriminatoire. Un homme monoparental reçoit davantage de soutien, sans le demander, comparé à une mère monoparentale car il suscite plus de pitié et de compassion contrairement à la mère qui est supposée avoir l’instinct maternel.

Soutien structurel à la monoparentalité

En conclusion, il est important de souligner que les différentes initiatives lancées par les pouvoirs publics et le monde associatif, notamment par «Des Mères Veilleuses» apportent des solutions très concrètes pour soulager le quotidien des mères monoparentales. Mais il faut résolument des changements structurels au travers d’une réforme de la justice, des leviers économiques, des facilitations d’accès au logement et au travail, des garderies, pour que la monoparentalité ne soit plus source d’inégalités entre les femmes et les hommes et entre les enfants. C’est dans cet objectif que «Des Mères Veilleuses» continuera donc de porter la voix des mères monoparentales auprès des acteurs et actrices du socioculturel, des institutions publiques et des médias. [1] Monoparentalité: quelques chiffres clés, 4 avril 2019. [2] «Pour une réponse structurelle à la précarisation des familles monoparentales en Belgique », étude réalisée par la Fondation Roi Baudouin en collaboration avec le Réseau Wallon de Lutte contre la Pauvreté (RWLP) et le Centrum voor Sociaal Beleid Herman Deleeck (CSB), 2014, p 14. 

Fatma Karali, créatrice de la page «Des Mères Veilleuses»

   La page Facebook «Des Mères Veilleuses» apparaît en novembre 2015. Elle a pour objectif de créer un espace de rencontre entre mères solos et d’y trouver des informations utiles, un lieu d’écoute, du soutien psychologique et juridique.


Des garderies accessibles aux chômeurs et chômeuses

Dans une étude datant de novembre 2019[1] , Philippe Defeyt, économiste et fondateur de l’Institut pour un Développement Durable (IDD) a croisé les statistiques relatives aux taux d’emploi, d’activité et de chômage et a ventilé ces données en fonction de la situation du ménage: couple avec ou sans enfant, chef d’un ménage monoparental, isolé·e… le tout, associé aux critères de l’âge, du genre ou de la région de résidence. Il en ressort notamment qu’une jeune maman bruxelloise vivant seule est davantage exposée au risque du chômage qu’un homme flamand âgé entre 25 et 49 ans et vivant en couple avec enfant(s). Au sein de cette première catégorie, le taux d’emploi est de 18,1 % (pour 94,4 % au sein de la seconde), tandis que le taux de chômage y est de 70,5 % (pour 3,1 % au sein de la seconde). Autre info: les hommes en couple avec enfant(s) affichent un taux d’emploi de 87 %, pour 75 % aux femmes dans la même situation; les isolés présentent un taux de 63 %, pour 60 % aux femmes vivant seules. Philippe Defeyt indique dans Le Soir, qu’il faut adapter les politiques qui en découlent notamment en mettant en place des garderies accessibles aux enfants de familles monoparentales, que le/la chef·f·e de ménage soit chômeur/euse ou actif/active. Se séparer et vivre seul·e accroît le risque de pauvreté tant pour les parents que pour leur(s) enfant(s). [1] Participation au marché du travail et sources de revenus en fonction de la position dans le ménage, Philippe Defeyt, In: www.iddweb.be

fév 2020

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