L’éducation multilingue, l’apprentissage implicite et la didactique coopérative

Lundi 9 novembre 2020

En Belgique, comme partout ailleurs en Europe, une approche didactique révolutionne l’enseignement. Cette révolution silencieuse, offi ciellement propagée par l’Union européenne et soutenue juridiquement par les diverses communautés belges, s’appelle Enseignement d’une Matière par Intégration d’une Langue Étrangère (EMILE) ou, en anglais, Content and Language Integrated Learning (CLIL). Mais en Belgique la terminologie écoles d’immersion est la plus répandue.

Il y a plus de 300 de ces écoles (200 fondamentales et 100 secondaires) en Fédération WallonieBruxelles et plus de 120 écoles secondaires en Flandre. Chaque année le nombre d’écoles augmente comme dans beaucoup d’autres pays européens, comme l’Espagne, l’Italie ou encore l’Allemagne. Chacun sait que changer quelque chose dans une institution si traditionnelle comme l’enseignement est difficile, mais à cette échelle, c’est presque miraculeux. Quels sont donc les résultats et pourquoi cette approche connaît-elle un tel succès? Comment expliquer ces résultats pour le moins spectaculaires? Voici un résumé de cette expérience.

EMILE/CLIL: qu’est-ce que c’est?

En fait, c’est une approche simple. Au lieu d’enseigner la langue explicitement par l’introduction du vocabulaire et les règles grammaticales, on enseigne une partie de la matière scolaire dans une langue cible. Donc, le cursus est divisé en deux, par exemple, 50% en français, langue véhiculaire de l’école, et 50% en néerlandais, langue cible. La matière et la thématique peuvent varier: apprentissage des saisons, par exemple, en maternelle; soustraction, climat et biodiversité, en primaire; géographie/ histoire de l’Europe ou géométrie, en secondaire. Comment mettre cela en place? Comme toujours dans l’enseignement, il faut des instituteur·trice·s/ professeur·e·s motivé·e·s et enthousiastes qui, bien sûr, maîtrisent la langue dans laquelle ils/elles enseignent.

Les résultats de l’approche EMILE, ou l’enseignement en immersion

Les premières recherches cherchaient à trouver une réponse à six questions de base. Les voici:

  • quel sont les résultats sur la maîtrise de la langue cible?
  • quels effets sur la langue maternelle?
  • quel est l’effet sur les résultats scolaires?
  • quelles sont les attitudes et la motivation des élèves et des enseignants?
  • quel impact au niveau cognitif?
  • quels effets sur le développement du cerveau?

En enseignant dans la langue cible et en négligeant jusqu’en 5e primaire la grammaire et les «maudites» listes de vocabulaire (à apprendre par cœur!), la maîtrise de la langue cible des élèves EMILE est de loin meilleure que dans l’enseignement traditionnel. De plus, la langue maternelle n’en souffre pas du tout et la matière scolaire est mieux, ou aussi bien maîtrisée que dans l’enseignement traditionnel. En ce qui concerne la cognition[1], des tests calibrés de mathématiques ont clairement démontré que les élèves issus de l’approche EMILE avaient de meilleurs résultats que ceux issus de l’enseignement traditionnel. Finalement, on voit sur des images IRM que le cerveau des élèves bilingues réagit différemment par rapport à celui des monolingues. Récemment, des recherches en Wallonie et en Flandre ont encore une fois confirmé les mérites de cet enseignement. L’approche EMILE est donc une approche innovante qui ne se limite pas aux aspects langagiers de la formation mais qui touche au processus d’apprentissage entier.

Le succès de cette approche

Chaque année lors de la rentrée, les articles sur le déclin de l’enseignement font la une des journaux et des médias. Néanmoins, l’approche bilingue est rarement mise en valeur, si ce n’est par curiosité amusée. Mais les instituteur·trice·s et professeur·e·s qui sont impliqué·e·s, ainsi que les directions d’écoles savent que les élèves du programme EMILE dépassent les défis sans soucis. La première raison du succès de cette approche est simplement le fait qu’elle fonctionne bien et qu’elle permet d’améliorer considérablement les résultats scolaires. C’est parce que l’immersion se pratique tous les jours, sans bouleverser l’enseignement classique, que le succès est au rendez-vous. Mais il y aussi des raisons scientifiques qui expliquent ces résultats extraordinaires.

Pourquoi EMILE fonctionne-t-il?

Il y a deux raisons importantes: la première, assez simple, de nature linguistique et la seconde, plus compliquée mais intéressante, de nature didactique. Comme chacun le sait, il n’y a qu’une réponse à cette question «comment vraiment apprendre une langue?»: par une approche communicative. Vous pouvez apprendre par cœur des listes de vocabulaire, des règles grammaticales, des expressions, etc., nulle autre approche que l’approche de communication ne vous permettra de bien parler une autre langue. Il est clair qu’EMILE utilise l’approche communicative sans modération pour arriver aux résultats énoncés plus haut. La deuxième raison est plus intéressante encore. Comme EMILE néglige les formes de la langue cible et se concentre sur le contenu, donc sur la matière scolaire, l’apprentissage se fait implicitement, c’est-à-dire, les élèves apprennent sans vraiment avoir l’impression d’apprendre. On apprend, en quelque sorte, inconsciemment. Ce n’est qu’après quelques années qu’on va se pencher sur les aspects formels de la langue cible mais à ce moment-là, les élèves parlent déjà bien. C’est comme si vous apprenez à jouer d’un instrument de musique sans avoir la moindre notion de solfège. L’étude du solfège peut attendre, jouons d’abord! L’étude scientifique de l’apprentissage im plicite n’a pas été aussi populaire que l’étude de l’apprentissage explicite mais EMILE offre une bonne occasion de compenser cela. Les caractéristiques les plus sensationnelles de l’apprentissage implicite sont:

  • on retient mieux et plus longtemps ce qu’on a appris implicitement que ce qu’on a appris explicitement;
  • la variation entre élèves est moins grande dans un contexte implicite;
  • l’apprentissage implicite offre une occasion excellente de travailler en coopération.

Examinons ce dernier aspect plus en détail. La coopération, qui est de loin préférable à la différenciation, tant aimée part certain·e·s pédagogues, n’est malheureusement pas encore bien connue par les enseignant·e·s. Comme le suggère Plante (2012), les croyances envers cette approche – pour ne pas dire «préjugés» - sont liées à la planification et la gestion de la coopération qui sont considérées comme plus compliquées. Pourtant, il y a beaucoup d’avantages à l’apprentissage coopératif. Les élèves travaillent en petits groupes de manière structurée avec un objectif commun; de plus, chaque membre du groupe est responsable de sa partie mais aussi du travail du groupe entier. L’apprentissage coopératif vise donc plusieurs choses: l’interdépendance positive, la responsabilité individuelle, la promotion des interactions, les habilités sociales ou coopératives et les processus de groupe. À nouveau, on constate que la coopération, comme l’apprentissage implicite et comme l’approche EMILE, dépassent l’apprentissage d’une langue.

Conclusions

Certain·e·s disent que l’approche EMILE est le changement le plus important que l’enseignement ait connu depuis 50 ans. Les cours de langues deviennent ainsi un levier d’amélioration pour l’enseignement en général. Le nombre d’écoles qui adoptent cette approche, non seulement dans des pays officiellement trilingues comme la Belgique, mais aussi dans toute l’Europe et même au-delà, en est la preuve. C’est un enseignement particulièrement innovant avec des implications de taille sur la didactique des langues et la didactique en général. En bref, c’est l’enseignement du 21e siècle.

Piet Van de Craen, Vrije Universiteit Brussel et Véronique Sanctobin, Universiteit Gent


SOMMAIRE DU DOSSIER: Vers un enseignement multilingue… Natuurlijk! Maar hoe?

 


Nederlandse samenvatting

Meertalig onderwijs in de zin van content and language integrated learning (CLIL), waarbij een deel van het curriculum wordt onderwezen in een doeltaal is in. De resultaten op het vlak van kennis van de doeltaal, de moedertaal, en van de leerstof, de positieve attitudes die ermee samengaan zowel als de cognitieve voordelen zijn dermate dat we kunnen spreken van een stille onderwijsrevolutie. De verklaringen van dit succes zijn, ten eerste, dat er sprake is van echt communicatief onderwijs wat zeer leerbevorderend werkt en, ten tweede, dat er sprake is van impliciet en coöperatief leren, wat ook het leerproces eveneens in ruime mate versterkt. Deze aanpak is m.a.w. veel meer dan een nieuwe aanpak van het taalonderwijs. Het is een innovatieve, blijvende en duurzame verandering.


Références

- Baudrit, A. 2007. L’apprentissage coopératif. Origines et évolutions d’une méthode pédagogique. Louvain-la-neuve: De Boeck. - Bulté, B., L. Martens & J. Surmont. 2019. CLIL in Vlaanderen. Eindrapport. Leuven: UCLL. - Hiligsmann, Ph, L. Van Mensel, B. Galand, L. Mettewie, F. Meunier, A. Szmalec, K. Van Goethem, Kristel, A. Bulon, A. De Smet, I. Hendrikx, M. Simonis. 2017. «Assessing Content and Language Integrated Learning (CLIL) in French-speaking Belgium: Linguistic, cognitive and educational perspectives». Les Cahiers de Recherche du Girsef 17 (109), 1-25. - Martens. L. & P. Van de Craen (red). 2017. Klaar voor CLIL. Het CLIL handbook voor Vlaanderen en Nederland. Leuven/Den Haag: Acco. 236p. - Mondt, K., E. Struys, M. Van den Noort, D. Ballériaux, T. Metens, Ph. Paquier, P. Van de Craen, P. Bosch, & V. Denolin. 2011. «Neural differences in bilingual children’s arithmetic processing depending on language of instruction». Mind, Brain and Education 5(2), 79-88. - Plante, I. 2012. L’apprentissage coopératif: des effets positifs sur les élèves aux difficultés liées à son implantation en classe. Revue Canadienne de l’éducation 35(2) 252:283. - Van de Craen, P., K. Mondt, E. Ceuleers & Eva Migom. 2010. «EMILE a douze ans. Douze ans d’enseignement de type immersif en Belgique. Résultats et perspectives». Synergies – Monde 7, 127-140. - Van de Craen, P. 2012. «Comment le multilinguisme rend nos élèves plus intelligents. Aspects sociétaux et individuels du multilinguisme en Europe.» In: G. Stickel & M. Carrier Michael (eds) Language education in creating a multilingual Europe, Contributions to the Annual Conference 2011 of EFNIL in London, 19-36. - Van de Craen, P. 2014. «Le défi du multilinguisme dans l’enseignement: enjeux, solutions et résultats.»Dans: H.A Bijleveld, F. Estienne & F. Vander Linden (éds) Multilinguisme et orthopohonie. Réflexions et pratiques à l’heure de l’Europe. Issy-les-Moulineaux: Elsevier Masson, 41-57. - Van de Craen, P. 2017. «Comment apprendre une langue sans l’apprendre vraiment… Plaidoyer pour l’enseignement d’une matière intégré à une langue étrangère (EMILE)». Dans: Fionn C. Bennett & Machteld Meuleman (éds). Regards croisés sur l’EMILE/CLIL Reims: Éditions et Presses Universitaires de Reims, 49-67.


[1] Ensemble des processus mentaux qui se rapportent à la fonction de connaissance et mettent en jeu la mémoire, le langage, le raisonnement, l’apprentissage, l’intelligence, la résolution de problèmes, la prise de décision, la perception ou l’attention.


   

nov 2020

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