Le sentiment d’efficacité personnelle des enseignant.e.s

Vendredi 17 février 2017

Un facteur clé de l’efficacité pédagogique La croyance de l’enseignant.e en sa capacité à faire progresser ses élèves peut être un facteur clé de son efficacité pédagogique. La question qui se pose alors est la suivante: d’où vient le sentiment d’efficacité personnelle et comment agir pour l’améliorer?
La notion de sentiment d’efficacité personnelle s’inscrit au cœur de la théorie sociocognitive d’Albert Bandura1 et désigne l’ensemble des croyances que possède un individu à propos de sa capacité à réaliser une tâche avec succès. Selon la théorie sociocognitive, le sentiment d’efficacité personnelle agit comme un mécanisme autorégulateur de la motivation et de l’action humaine, dans la mesure où les personnes ont plutôt tendance à exécuter  les tâches qu’elles se sentent capables d’accomplir et à éviter celles qu’elles perçoivent comme étant hors de leur portée.

Niveau de compétence réel et niveau de compétence perçu

Cette idée, aussi simple qu’elle puisse paraître, peut avoir une influence déterminante sur les objectifs que nous nous fixons au quotidien et sur les moyens que nous mettons en œuvre pour les atteindre. La croyance en nos capacités détermine, par exemple, notre persévérance dans la poursuite de nos objectifs, et les réactions émotionnelles que nous sommes susceptibles d’éprouver face à une quelconque difficulté. De cette manière, un niveau  de sentiment d’efficacité personnelle élevé permet d’obtenir des performances elles-mêmes élevées. La réussite dans l’accomplissement d’une tâche est donc à la fois déterminée par le niveau de compétence  réel et le niveau de compétence perçu. Autrement dit, face à une même tâche, deux individus aux compétences  identiques, pourraient obtenir des performances relativement différentes selon leur niveau de  sentiment d’efficacité personnelle. De la même manière, un individu  ayant de solides compétences dans un domaine particulier, peut ne pas être efficace dans les actions qu’il entreprend si ses compétences interagissent avec  un manque de confiance en ses capacités qui pourrait, par exemple, influencer sa vulnérabilité face à une situation stressante.

Le sentiment d’efficacité personnelle associé à l’engagement professionnel

Depuis plus d’une trentaine d’années, la recherche en éducation s’est intéressée au sentiment d’efficacité personnelle des enseignant.e.s. Ce dernier fait référence aux croyances que se font les enseignant.e.s de leur capacité à accomplir avec succès les tâches liées à leur mission d’enseignement (Tschannen-Moran & Hoy,  2001). A la lumière de la théorie sociocognitive, plusieurs études scientifiques ont démontré que le sentiment d’efficacité  personnelle des enseignant.e.s est associé aux attitudes et aux comportements de l’enseignant.e dans la classe. Par exemple, Guskey (1988) a établi que les enseignant.e.s qui manifestent un niveau de sentiment d’efficacité personnelle élevé ont tendance à démontrer une plus grande ouverture aux pratiques pédagogiques novatrices. Selon Allinder (1994), les enseignant.e.s qui ont confiance en leurs capacités pédagogiques, présentent une plus grande facilité à planifier et organiser les activités d’enseignement.  Coladarci (1992) s’est, quant à lui, intéressé à l’influence du sentiment d’efficacité personnelle sur la motivation et l’engagement professionnel des enseignant.e.s. Ses travaux aboutissent à la conclusion que le sentiment d’efficacité personnelle des enseignant.e.s est positivement associé à leur engagement professionnel. Baker (2005),  a démontré que  les enseignant.e.s qui présentent un faible sentiment d’efficacité personnelle, ont tendance à éprouver plus de difficulté face aux comportements perturbateurs de leurs élèves. Plus récemment, de nombreux auteurs se sont penchés sur la relation entre le sentiment d’efficacité personnelle des enseignant.e.s et leur satisfaction professionnelle (Klassen & Chiu, 2010; Caprara et al. 2006; Collie et al. 2012). Les résultats de leurs recherches vont dans le même sens: les enseignant.e.s qui font  état d’un faible sentiment d’efficacité personnelle ont tendance à éprouver moins de satisfaction professionnelle. L’inverse est vrai également.

Les sources du sentiment d’efficacité personnelle

Au regard de ces quelques exemples, il est donc permis de supposer que l’efficacité pédagogique de l’enseignant.e soit, au moins en partie, déterminée par son niveau de sentiment d’efficacité personnelle. Autrement dit, la  croyance de l’enseignant.e en sa capacité à faire progresser ses élèves, peut être un facteur clé de son efficacité pédagogique. La question qui se pose alors naturellement est la suivante: d’où vient le sentiment d’efficacité  personnelle et comment agir pour l’améliorer? Le sentiment d’efficacité personnelle n’est pas inné, il s’acquiert. Les travaux de recherche de Bandura (2003) ont permis d’identifier quatre principales sources du sentiment d’efficacité personnelle: les expériences de maîtrise, l’apprentissage vicariant, la persuasion verbale et les états émotionnels.

Les expériences de maîtrise

Il apparaît, de manière à priori évidente, que les expériences de maîtrise, c’est-à-dire les succès rencontrés en cours de carrière, peuvent avoir une influence positive sur le sentiment d’efficacité personnelle des enseignant.e.s. Inversement, les échecs ont tendance à l’abîmer. De  manière générale, les succès et les échecs constituent des  souvenirs autobiographiques (Galand & Vanlede, 2004) que l’enseignant.e. va utiliser comme indicateurs de compétences. Cependant, les succès contribuent à améliorer le sentiment d’efficacité personnelle uniquement si l’enseignant.e les attribue à ses propres aptitudes pédagogiques plutôt qu’à des facteurs  extérieurs sur lesquels il/elle n’a aucune emprise. De même, les échecs interprétés comme un manque d’effort affaibliront assez peu le sentiment d’efficacité personnelle. C’est donc plus l’interprétation des expériences  vécues, que les succès et les échecs en eux-mêmes, qui influence le développement du sentiment d’efficacité personnelle.

L’apprentissage vicariant

Ensuite, si l’enseignant peut construire  son sentiment d’efficacité personnelle en se nourrissant de ses propres expériences, ce sentiment peut aussi se développer en observant et en s’inspirant des expériences de ses pairs. Il s’agit de la deuxième source de sentiment d’efficacité personnelle: l’apprentissage vicariant. Observer les pratiques pédagogiques de ses collègues et être témoin de leur réussite peut augmenter la confiance en ses propres capacités. Ainsi, l’enseignant.e qui multiplie les occasions de poser des questions, de s’informer, de partager  ses expériences ou encore d’échanger sur ses pratiques, fait généralement état d’un meilleur sentiment d’efficacité personnelle. Cette idée est notamment confirmée par les résultats de l’enquête TALIS 2 de l’OCDE qui soulignent l’importance des pratiques de collaboration dans le développement du sentiment d’efficacité personnelle des enseignant.es. En effet, les enseignant.es qui déclarent participer à des activités d’apprentissage professionnel collaboratif au moins 5 fois par an manifestent un niveau de sentiment d’efficacité personnelle relativement meilleur que les autres (OCDE, 2014). Instaurer un climat de collaboration au sein d’un établissement scolaire peut donc être une manière efficace d’agir pour améliorer le sentiment d’efficacité personnelle des enseignant.e.s.

La persuasion verbale

Dans un même ordre d’idées, la troisième source de sentiment d’efficacité personnelle est la persuasion verbale. Etre entouré de personnes qui croient en nos capacités et qui nous le font savoir permet d’accroître notre sentiment d’efficacité personnelle. Pour autant qu’ils soient réalistes, les conseils, les encouragements et les marques de soutien des collègues et de la direction constituent des éléments importants qui peuvent alimenter et renforcer le sentiment d’efficacité personnelle de l’enseignant.e. Les travaux de Mukamutara (2012) ont par exemple montré que les enseignant.e.s débutant.e.s qui font partie d’une équipe au sein de laquelle ils/elles se sentent soutenu.e.s ont tendance à se sentir plus efficaces. Ce soutien s’avère essentiel pour prévenir les risques d’abandon de la profession enseignante au cours des premières années de carrière.

L’état émotionnel

Enfin, en évaluant ses capacités, il peut arriver que l’enseignant.e se base sur l’information transmise par son état émotionnel. L’épuisement, le stress, l’angoisse, le découragement, peuvent être interprétés comme des signes  d’incompétence et amener l’enseignant.e à douter de ses capacités. A contrario, les états émotionnels positifs comme  la fierté, la joie, la satisfaction ont tendance à renforcer le sentiment d’efficacité personnelle. Amener l’enseignant.e à identifier, comprendre, reconnaître ses états émotionnels et à mieux appréhender les émotions négatives peut donc être utile en vue de l’aider à développer un meilleur sentiment d’efficacité personnelle.

Des recherches sur le sujet, en Belgique

Si le sentiment d’efficacité personnelle  des enseignant.e.s a suscité un intérêt croissant dans la littérature internationale depuis plus d’une trentaine d’années, il reste, de manière assez paradoxale, encore relativement peu étudié en Belgique francophone. Sur le plan théorique, ce concept semble pourtant prometteur dans la mesure où les croyances que développent les enseignant.e.s à propos de leurs capacités pédagogiques semblent avoir  un impact important sur la qualité de l’enseignement dispensé. Des recherches sont donc actuellement en cours afin d’évaluer l’influence du sentiment d’efficacité personnelle des enseignant.e.s sur la réussite scolaire des élèves en Fédération Wallonie-Bruxelles.   Emilie Martin, doctorante en sociologie de l’éducation à l’ULB 1. Professeur de psychologie à l’Université de Stanford, Albert Bandura est considéré comme le père fondateur du concept de sentiment d’efficacité personnelle. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont le suivant: «SelfEfficacy: The Exercice of Control» publié en 1997. 2. L’enquête TALIS est une enquête internationale sur l’apprentissage et l’enseignement. Elle apporte de nombreux éclairages sur les pratiques pédagogiques, les convictions et les attitudes des enseignant.e.s à l’égard de leur profession.   Émilie Martin est doctorante en sociologie de l’éducation à l’ULB et membre du Groupe de recherche sur les Relations Ethniques, les Migrations et l’Egalité (GERME). Sa thèse de doctorat, financée par le Conseil Européen de la Recherche (ERC), porte sur l’impact du sentiment d’efficacité personnelle des enseignants sur la réussite scolaire des élèves en Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour Éduquer, elle revient sur le lien entre sentiment  d’efficacité personnelle des enseignant.e.s et son impact sur la qualité de l’enseignement dispensé.

Références

  • Allinder, R. M. (1994). The relationship between efficacy and the instructional practices of special education teachers and consultants. Teacher Education and Special Education: The Journal of the Teacher Education Division of the Council for Exceptional Children, 17(2), 86-95.
  • Baker, P. H. (2005). Managing student behavior: How ready are teachers to meet the challenge?. American Secondary Education, 51-64.- Bandura, A. (1977). Self-efficacy: toward a unifying theory of behavioral change. Psychological review, 84(2), 191.
  • Bandura, A. (1997). Self-efficacy: The exercise of control. New York: W. H. Freeman. - Bandura, A. (2003). Auto-efficacité: le sentiment d’efficacité personnelle. De Boeck Supérieur.
  • Caprara, G. V., Barbaranelli, C., Steca, P., & Malone, P. S. (2006). Teachers’ self-efficacy beliefs as determinants of job satisfaction and students’ academic achievement: A study at the school level. Journal of school psychology, 44(6), 473-490.
  • Coladarci, T. (1992). Teachers’ sense of efficacy and commitment to teaching. The Journal of experimental education, 60(4), 323-337.
  • Collie, R. J., Shapka, J. D., & Perry, N. E. (2012). School climate and social–emotional learning: Predicting teacher stress, job satisfaction, and teaching efficacy. Journal of Educational Psychology, 104(4), 1189.
  • Galand, B., & Vanlede, M. (2004). Le sentiment d’efficacité personnelle dans l’apprentissage et la formation: quel rôle joue-t-il? D’où vient-il? Comment intervenir?. Savoirs, (5), 91-116.
  • Guskey, T. R. (1988). Teacher efficacy, self-concept, and attitudes toward the implementation of instructional innovation. Teaching and teacher education, 4(1), 63-69.
  • Klassen, R. M., & Chiu, M. M. (2010). Effects on teachers’ self-efficacy and job satisfaction: Teacher gender, years of experience, and job stress. Journal of educational Psychology, 102(3), 741.
  • Mukamutara, I. (2012). Évolution et sources du sentiment d’efficacité personnelle des enseignantes et des enseignants débutants du secondaire au Québec. Thèse de Doctorat. Université de Sherbrook.
  • Tschannen-Moran, M., & Hoy, A. W. (2001). Teacher efficacy: Capturing an elusive construct. Teaching and teacher education, 17(7), 783-805.
  • OCDE (2014), «Importance des sentiments d’efficacité personnelle et de satisfaction professionnelle des enseignants», dans Résultats de TALIS 2013: Une perspective internationale sur l’enseignement et l’apprentissage, Éditions OCDE, Paris.

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