Infléchir la croissance de l’épidémie, puis la maintenir sous contrôle : un effort collectif

Mercredi 25 mars 2020

François Chamaraux, docteur en sciences, enseignant en mathématiques et sciences
Infléchir la croissance de l’épidémie, puis la maintenir sous contrôle. Voici l’enjeu vital pour une grande partie du monde en 2020. La Chine semble avoir réussi. Les Belges, comme beaucoup d’Européen·ne·s, s’y emploient concrètement depuis le 14 mars. 
Le but de cet article particulier est de reprendre le coeur des mathématiques de l’épidémie et de sensibiliser le lecteur et la lectrice sur l’importance du confinement d’une part, et de la vigilance qu’il faudra garder pendant la période post-confinement. Les chiffres cités seront de grossières approximations, afin de simplifier au maximum le propos, mais sans sacrifier leur réalisme. Quant aux raisonnements, ils sont de niveau 6e secondaire et très largement inspirés des articles cités en fin de ce texte. On conclura par ce message : le confinement de mars/avril (peut-être mai) risque fort de devoir être suivi (mai, juin, voire plus) par une seconde phase de grande vigilance, phase contraignante mais compatible avec une vie « un peu plus normale ».

Avertissement : ceci est le point de vue d’un scientifique non spécialiste de la question, qui a étudié un certain nombre de sources qu’il estime de qualité, sources s’appuyant sur des raisonnements mathématiques valables. Ce faisant, faute de recul et de consensus, il s’aventure à des conclusions qui ne sont sans doute pas partagées par tou·te·s les scientifiques.


Faits

 Certains faits sont assez bien connus : mode de transmission, durée de vie du virus sur des supports, temps d’incubation, durée moyenne de la maladie. Nous retiendrons notamment qu’il existe un temps de l’ordre de 10 à 20 jours entre une contamination et une hospitalisation (voire décès), et donc un « effet retard » important entre une mesure (confinement, traitement) et ses conséquences.

D’autres faits sont mal connus : quelle proportion des malades doit être hospitalisée, quelle proportion décède ? Tout ceci n’est pas clair, car on ne sait pas combien de personnes sont réellement malades. En revanche, il est clair que la mortalité augmente lorsque les hôpitaux sont surchargés. Nous allons voir qu’éviter l’engorgement des hôpitaux est l’enjeu majeur de cette épidémie.

Deux notions-clés : taux de reproduction et temps de doublement

Une notion-clé pour comprendre un schéma mathématique simple d’épidémie est le taux de reproduction de la maladie, R. Ce paramètre est simplement le nombre moyen de personnes qu’un malade infecte. R dépend du virus, mais aussi du mode de vie de la population (voyages, hygiène, câlins, etc.). Si R est plus grand que 1, par exemple R = 2, chaque malade infecte deux autres personnes, et ainsi de suite. On assiste alors à une croissance dite « géométrique » ou « exponentielle » du nombre de nouveaux cas : 2, 4, 8, 16, 32, 64, etc. Cette croissance, assez anodine au début, explose rapidement, et atteint, par exemple, un million de personnes au bout de 20 étapes. Si R est inférieur à 1 (c’est-à-dire que, par exemple, seul un.e malade sur deux « refile son virus » à quelqu’un), alors le nombre de nouveaux cas décroît selon une suite inverse, du type 32, 16, 8, 4, 2, 1. Après la guérison des derniers cas, l’épidémie s’éteint, d’autant plus vite que R est proche de zéro. Si R = 1, c’est un cas particulier entre l’explosion et l’extinction : le nombre de malades reste stable (mais éventuellement élevé). L’épidémie est alors « sous contrôle ». Récapitulons. R > 1 : augmentation vertigineuse. R < 1 : fin de l’épidémie. R = 1 : stabilisation du nombre de malades. Le cas R > 1 correspond à ce qu’a vécu la Belgique en février - mars : l’augmentation exponentielle y a été rapide. Pour décrire cette vitesse, on a recours au temps de doublement : c’est tout simplement le temps nécessaire pour que le nombre de nouveaux cas passe de 2 à 4, de 4 à 8, etc. Le temps de doublement pour l’épidémie actuelle est estimé à 3 jours environ.

La catastrophe exponentielle

Temps de doublement de 3 jours ! Il faudrait que chacun·e prenne un temps de réflexion pour mesurer ce que cela signifie. Nous sommes par exemple le 1er mars. Le 4, il y aura doublement. Le 7, quadruplement. Le 10, multiplication par huit. En 9 jours seulement, 8 fois plus de malades qu’aujourd’hui, 8 fois plus de décès, 8 fois plus de virus dans l’air, 8 fois plus de risques de tomber malade en se promenant dans la rue, 8 fois plus de lits mobilisés, 8 fois plus d’infirmier·e·s accaparé·e·s par le COVID. Aucun système hospitalier ne peut tenir très longtemps face à une exponentielle aussi vigoureuse. De petits calculs malheureusement morbides montrent par exemple que si rien n’est fait, on obtient un nombre de malades en Belgique de l’ordre de 500.000 mi-avril, ce qui conduirait à des centaines - ou milliers ? - de décès.

Première phase : le confinement, ou R < 1

Que faire ? La première étape consiste donc à casser cet élan exponentiel. D’abord, notons que cet élan finit par s’épuiser naturellement. Car au bout d’un certain temps, le virus a moins de terrain vierge à attaquer, entre autres grâce à la présence d’ancien·ne·s malades guéri·e·s et immunisé·e·s : l’épidémie arrive « à maturité », et se tasse. Mais il n’est pas question en Belgique d’attendre l’infléchissement naturel de l’exponentielle, qui pourrait n’arriver qu’après des milliers de décès. Pour calmer cette exponentielle, il faut réduire le taux R à une valeur inférieure à 1. Pour cela, on empêche le plus possible de contacts entre humains, ce qui est mis en place dans différents pays d’Europe à des dates variables (en Belgique : le 14 mars pour l’horeca, le 16 pour les écoles, et le 18 pour le plus grand nombre). Plus R est proche de zéro, plus le nombre de nouveaux cas et de décès baissera (après le retard de 10 à 20 jours). Dans l’idéal, si R vaut zéro, l’épidémie est terminée en Belgique le 15 avril ! Malheureusement, faire descendre R à zéro représente un idéal inatteignable. De nombreuses contaminations auront lieu pendant le confinement. D’une part, de nombreuses personnes continuent de travailler dans des conditions où la distance de 2 m est difficile à respecter (personnel soignant, éboueur·se·s, caissier·re·s, etc.). D’autre part, on peut encore se contaminer entre cohabitant·e·s, par le courrier, etc. Notre R de confinement ne peut donc être rigoureusement zéro. Mais si R est proche de zéro (si chacun.e fait très attention, on estime qu’on peut atteindre un R de 0,4), l’élan de l’exponentielle sera tout de même coupé net. Après quelques semaines dues à l’effet retard, on peut ainsi tabler sur une décroissance du nombre d’hospitalisations courant avril. Mais pour cela, un strict respect des consignes de confinement est nécessaire ! Pour de nombreux·se auteur·trice·s, dont moi-même qui ne suis pas spécialiste, mais un « matheux » qui savons ce qu’exponentielle veut dire, les mesures de confinement belge, qui autorisent des sorties fréquentes, notamment des courses à tout moment, sont encore fort légères. En Chine, par exemple, chaque foyer devait désigner une seule personne pour les courses, qui pouvait sortir tous les trois jours. On dira que la Chine « bénéficie » d’un régime autoritaire, mais on peut également croire qu’une pédagogie efficace parvienne au même but…

Deuxième phase : la vigilance post-confinement, ou R = 1

Et après ? Supposons que le confinement soit levé fin avril, voire en mai. Déplacements, fêtes, câlins : le taux de reproduction R va remonter. Mais quelle remontée peut-on s’autoriser ? Surtout pas un R supérieur à 1, car cela signifierait de nouveau une croissance exponentielle, donc redémarrage de l’épidémie. Cet « effet rebond », classique, semble être actuellement observé en Asie (fin mars). L’idée est donc de rester avec un R voisin de 1, pour maintenir l’épidémie à un niveau constant. On n’évite ainsi pas l’épidémie, mais on étale la courbe des malades sur une durée suffisamment longue, ce qui rend l’épidémie « absorbable » par les hôpitaux, avec donc une faible mortalité. Pour fixer les idées, si par exemple le nombre de malades reste à 100.000, c’est comme si chaque semaine, une nouvelle génération de 100.000 Belges se mettait à tousser (un.e toutes les 6 secondes !), dont quelques milliers iront à l’hôpital, et en ressorte guérie (sauf une faible fraction de décès) après 10-15 jours. Ainsi, en un an, quand suffisamment de personnes auront « fait leur corona », l’épidémie s’éteint.

Donner du temps !

Cette stratégie (confinement strict, puis vigilance post-confinement) présente de nombreux avantages : d’abord, donner du temps à la recherche pour un vaccin et/ou un traitement. Du temps également pour la fabrication de matériel (masques, matériel de réanimation…). Ensuite, elle « remet dans le circuit » le personnel soignant qui a eu le temps de guérir et pourra s’occuper également des autres malades (l’épidémie ne doit pas nous faire oublier que les cancers, diabètes et autres AVC continuent « as usual » !). Donc, clairement, abaissement de la mortalité grâce à de meilleurs soins. Enfin, elle permet la circulation de plus en plus de personnes guéries et donc (sans doute) immunisées. Par exemple, si un million de Belges immunisés se promènent en juin dans la population de onze millions, le virus aura beaucoup plus de mal à se diffuser. Pour toutes ces raisons, on peut espérer une durée de « vigilance post-confinement » inférieure à 12 mois, peut-être beaucoup plus courte. Voici donc le pari de plusieurs pays d’Europe, dont le nôtre. Mais les Pays-Bas (tout comme la Grande-Bretagne dans un premier temps), par exemple, ont choisi l’autre option de « l’immunité collective » : pas de confinement sauf personnes à risque, nombre élevé de malades en un temps limité, en espérant une extinction rapide de la maladie par la présence de guéri·e·s immunisé·e·s. Cette stratégie fort critiquée obtient le soutien de certains scientifiques.

A quoi ressemblera l’après-confinement ?

Mais concrètement, maintenir ce taux sous la barre de 1 risque d’être difficile, surtout au printemps qui incite aux sorties ! Clairement, la « vie normale » (déplacements + fêtes + câlins + etc.), avec un R estimé à 2 ou 3, ne sera pas possible. Certain·e·s auteur·trice·s estiment qu’il faudrait encore une série de mesures contraignantes, qui seraient à peu près compatibles avec une vie normale : pas de voyages, règles d’hygiène toujours strictes, isolement des malades, test de leur entourage, voire tests généralisés dans tout le pays, etc. D’autres estimeront peut-être qu’il suffira de maintenir quelques mesures d’interdiction de grand rassemblement. On peut espérer que les scientifiques estiment quelles précautions seront nécessaires et suffisantes.

Conclusion

Récapitulons les trois phases de l’épidémie en termes de taux de reproduction. 

  • Jusqu’au 18 mars : R > 1 : pas ou peu de mesures, croissance exponentielle.
  • Du 18 mars à avril ou mai sans doute :  R < 1 , confinement, inflexion de l’exponentielle et stabilisation.
  • Mai, juin, juillet … ?, R = 1, phase de vigilance post-confinement, épidémie sous contrôle, faible taux de mortalité, gain de temps et sortie de crise.

Sauf bonne nouvelle (traitement, vaccin, ou autres), la période de reprise d’activités post-confinement où nous devrons maintenir R à 1 sera donc cruciale. Pour cela, une vie « absolument normale » ne pourra reprendre, faute de quoi nous risquons une nouvelle flambée exponentielle. Il faudra sans doute continuer à suivre un certain nombre de règles, qui poseront sans doute des problèmes économiques, éthiques, juridiques. Pour les faire respecter, il faudra user de patience, de civisme et de pédagogie.

François Chamaraux, docteur en physique, enseignant en sciences  

Photo: https://pixabay.com/

Avr 2020

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