Généraliser la lutte contre le (cyber) harcèlement

Mercredi 10 février 2021

Depuis le début de la crise sanitaire et le développement de l’enseignement hybride, les cas de cyberharcèlement entre élèves ont augmenté.

Selon un sondage réalisé par l’ONU en 2019 auprès d’adolescent·e·s de 30 pays, un jeune sur trois déclare avoir été victime de cyberharcèlement, et un sur cinq avoir manqué l’école à cause de ce phénomène. La dernière enquête menée en 2018 en Fédération Wallonie-Bruxelles confirmait aussi qu’un·e élève sur trois était victime de harcèlement. Avec la pandémie, les cas de cyberharcèlement sont en augmentation. La crise sanitaire a provoqué un renforcement des relations sociales à distance. Les relations familiales et amicales se sont davantage étendues sur les réseaux sociaux et les services de messagerie. L’enseignement à distance est devenu la norme pour beaucoup d’élèves et d’étudiant·e·s.

Cyberharcèlement et pandémie

Le professeur canadien Bill Belsey définit le cyberharcèlement comme «toutes formes de harcèlement qui font appel aux nouvelles technologies de l’information et de la communication pour importuner, menacer, insulter de manière intentionnelle et répétitive les victimes avec pour objectif de les blesser»[1] . Insultes, moqueries, rumeurs, menaces, le cyberharcèlement revêt plusieurs formes d’expression. Ses origines semblent très souvent découler d’un mal-être à l’école. Il y a quelques jours, au tout début de ce mois de février 2021, le CEF- Comité des Élèves Francophones, un syndicat des élèves du secondaire, publiait sur Facebook un sondage sur le harcèlement et le cyberharcèlement à destination des élèves du secondaire. «Il y a un volet «harcèlement» et un volet «cyberharcèlement» puisqu’on se rend compte que les deux fonctionnent un peu comme des vases communicants», explique Logan Verhoeven, coordinateur du CEF. «Le cyberharcèlement augmente et le harcèlement lui, semble diminuer. On se rend également compte que nos outils sont devenus obsolètes, c’est pourquoi on a décidé de relancer une enquête pour coller au mieux aux réalités vécues par les jeunes dans les écoles en cette période de pandémie». Dans le questionnaire, les répondant·e·s reçoivent une liste de faits de harcèlement, qui vont du surnom ridicule à la violence physique, afin de bien percevoir où commence le harcèlement. Ils/ elles sont interrogé·e·s sur leurs impressions quant à l’ambiance qui règne dans leur école: ont-ils/elles observé ou été victimes de faits, qu’en est-il de leur relation aux équipes éducatives? Un volet «prévention» les informe sur les outils qui existent et sur l’importance d’informer les adultes sur les faits de (cyber)harcèlement. Enfin, le Comité des Élèves Francophones propose un accompagnement et des formations pour les enseignant·e·s, directions, personnels des CPMS et personnes extérieures.

Impacts psychologiques de la crise sanitaire

Le contexte actuel favorise le cyberharcèlement, comme l’explique la psychologue clinicienne Angélique Gozlan[2], «le cyberharcèlement peut être un moyen de renverser le sentiment de passivité en devenant acteur. Ce renversement fait qu’on va pouvoir se sentir exister, avoir l’impression d’être regardé aussi. Et c’est un des enjeux vraiment importants des réseaux sociaux. Quand on va harceler quelqu’un, on va terrifier une personne mais il va y avoir aussi cette communauté qui s’allie à soi. Il y a donc un sentiment de toute puissance qui va émerger via l’écran, ce qui est très jouissif pour le sujet». La présence des élèves du secondaire sur les réseaux sociaux est plus importante que jamais et elle est sans limite. «L’école ne fait plus office de barrière. La mise en image de l’adolescent est beaucoup plus importante. Il se montre en vidéo, poste des publications… Et plus on dépose un bout de soi sur la toile, moins il nous appartient. Cette intimité devient collective et génère des critiques et des rapports haineux. Certains adolescents n’ont plus de relation à l’autre. La crise sanitaire réactive des angoisses de dépendance. L’adolescent est par définition celui qui doit aller vers l’extérieur, se délivrer de la famille pour aller vers la vie sociale. Mais le contexte les en empêche. La frustration, la haine, l’agressivité n’ont pas d’espaces extérieurs pour s’exprimer et ce sont les réseaux sociaux qui font office de surface de projection. L’isolement est très néfaste pour les adolescents qui chercheront le contact quoiqu’il en soit, même s’il se créée dans l’agressivité».

Sensibiliser les jeunes aux conséquences judiciaires

Le 20 janvier 2021, une résolution portée par Ecolo avec ses partenaires de la majorité (PS et MR) a été votée au Parlement de la Fédération WallonieBruxelles. Celle-ci définit l’éducation aux médias comme outil pour lutter contre le cyberharcèlement et les discours de haine en ligne. Son objectif? Sensibiliser les jeunes aux conséquences des discours haineux sur les réseaux sociaux. Comme l’explique la députée Margaux De Ré, également cosignataire de la résolution, «énormément d’internautes n’ont pas conscience de ce qui est légal ou non, en ligne, et c’est pourquoi il faut éduquer les jeunes le plus tôt possible pour que, demain, ils soient plus responsables sur les réseaux sociaux et le web en général[3] ». Le groupe Ecolo pointe deux autres éléments encourageant le cyberharcèlement: l’impunité des discours haineux en ligne et le manque de suivi de la police, ainsi que le manque de responsabilité des plateformes elles-mêmes. Une attention particulière doit être portée sur les jeunes filles et les femmes, qui sont exposées à une forme aggravée de discours de haine parce qu’elles se trouvent à la charnière entre plusieurs discriminations.

Maximiser le présentiel

Si en théorie l’hybridation appliquée dès la 3e secondaire prévoit la présence physique de 50% des élèves à l’école, dans la pratique, certains élèves ne se rendent dans leur établissement qu’un seul jour par semaine, ce qui augmente encore le temps passé sur internet depuis leur domicile. Une pétition a été lancée par les élèves de 5e et 6e secondaire de l’athénée de Waha à Liège au début du mois de janvier pour dénoncer cette injustice et demander de maximiser le présentiel à l’école. La Ministre de l’éducation Caroline Désir semble entendre les craintes et difficultés des élèves et demande aux Pouvoirs Organisateurs de «maximiser la présence des élèves dans les limites de temps prévues. Le contact entre élèves et enseignants reste en effet plus important que jamais». Contacté par nos soins, le psychopédagogue et docteur en sciences de l’éducation Bruno Humbeeck[4], spécialiste de la question du harcèlement, insiste lui aussi, sur le rôle essentiel des adultes qui gravitent autour des jeunes. «Depuis la rentrée scolaire, les apprentissages ont repris et les cours ont lieu de manière hybride, mais les élèves ont peu de temps et peu l’occasion de se rencontrer et d’échanger. Ils sont relativement isolés les uns des autres même dans leur temps scolaire. Or apprendre ensemble, c’est le principe d’une classe. Cet enseignement mutuel où des élèves apprennent aux autres, où l’entraide, le tutorat, la réflexion commune peuvent émerger, ces pratiques sont fortement mises à mal ces derniers mois. Mais c’est aux adultes à mettre en place ces espaces d’échanges entre pair·e·s. L’urgence politique se trouve là et c’est toute la communauté éducative qui doit lutter ensemble pour plus de bien-être à l’école, sans quoi, des élèves continueront de sortir du circuit scolaire».

Plan de lutte coordonné

Le 29 janvier dernier, 59 structures en lien avec la jeunesse, dont le CEF – Comité des Élèves Francophones, ont rédigé une carte blanche qui demande la tenue d’une conférence interministérielle permettant la création d’une Stratégie Jeunesse dès 2021 comprenant notamment un Plan de relance spécifique co-construit avec les jeunes et l’associatif jeunes. «Le souci avec cette lutte contre le harcèlement, c’est justement qu’il y a énormément d’opérateurs extérieurs mais pas de plan coordonné et clair déplore le coordinateur du CEF, Logan Verhoeven. Il est urgent que les écoles, toutes les écoles, admettent que le harcèlement existe et qu’elles doivent se mobiliser. On sent que le gouvernement bouge et qu’il réfléchit enfin à un Plan plus généraliste et transversal à mettre en place dans les écoles sur le long terme. C’est une nécessité car sans vision politique, sans volonté d’enfin écouter et donner la parole aux élèves, on ne viendra pas au bout du harcèlement. Cette lutte doit aussi se faire en-dehors de l’école, dans les mouvements de jeunesse, les clubs sportifs, les milieux culturels. Il faut élargir au maximum le champ d’action et les publics touchés, ne pas avoir peur de répéter les informations et les bonnes pratiques pour espérer enrayer le phénomène».

Maud Baccichet, secteur communication

Illustration: Abdel de Bruxelles


Label et budget

Chaque année, la Fédération Wallonie-Bruxelles consacre un budget d’un peu plus de 400.000 euros à des projets de lutte contre le harcèlement scolaire. Au-delà de certaines aides publiques, les écoles font aussi appel à des financements privés. La Ministre de l’Éducation Caroline Désir travaille actuellement à un plan qu’elle va soumettre rapidement au gouvernement avec des actions concrètes dès l’année prochaine. Un label sera notamment proposé aux écoles afin de les inciter à lutter efficacement contre le harcèlement. Il sera octroyé à condition que les établissements remplissent un certain nombre de critères comme la création d’espaces de parole, une cour de récré régulée, la mise en place d’un conseil de discipline, etc.


Besoin d’aide?

Le Service Écoute-Enfants est joignable par téléphone au numéro 103, tous les jours de 10h à 24h. Plus d'infos: http://www.103ecoute.be/     Le centre de prévention du suicide offre lui aussi une ligne d’écoute gratuite, 24h/24 et 7 jours/7 au 0800 32 123. Plus d'infos: https://www.preventionsuicide.be   Memento cyberharcèlement: commune de Saint-Gilles Dans le cadre de la Journée mondiale "Surfer en toute sécurité" (Safe Internet Day) du mardi 9 février, la Cellule Accrochage Scolaire de la commune de Saint-Gilles a crée un Mémento sur le Cyberharcèlement. Consultez-le ici: https://ligue-enseignement.be/assets/Mémento-cyberharcèlement-2020.pdf


[1] Qu’est-ce que le cyberharcèlement? in: www.enseignement.be/ [2] Cyberharcèlement: devenir acteur de violence pour se sentir exister, pour être en lien. Vidéo de Yapaka, 22/01/21. [3] Sensibiliser les jeunes aux conséquences judiciaires du cyberharcèlement: la résolution portée par Ecolo votée mercredi au Parlement, Jacob Hemptinne, Newsmonkey, 19/01/21. [4] Auteur de Prévention du Cyberharcèlement et des violences périscolaires, 2017, et Prévention du harcèlement et des violences scolaires, 2016.    

fév 2021

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