Elections 2014 : Pour qui voter ?

Jeudi 8 mai 2014

Le dossier de l’enseignement est d’une telle complexité, qu’il est devenu difficile de répondre à la question : pour qui voter ?

Se forger une opinion

Les multiples scrutins du 25 mai prochain ne simplifient pas les choses, car les questions se posent en des termes différents selon le niveau des pouvoirs concernés et ce, au moins pour deux types de raisons : les compétences en matière d’enseignement et de formation, - et donc les problèmes traités -, sont différentes à chaque niveau ; les rapports de force et les enjeux politiques n’y sont pas les mêmes. Dans ces conditions, il devient très difficile de comparer les programmes des partis pour se forger une opinion. Pas uniquement parce qu’ils ressemblent à un catalogue de vaines promesses, – ils serviront de références lors des négociations pour la formation des gouvernements -, pas seulement parce qu’ils ne livrent qu’une liste de souhaits et de vœux pieux sans préciser les moyens de les réaliser, - ils donnent ainsi une indication sur les orientations choisies -, pas simplement parce que les programmes sont trop copieux et trop divers pour que l’électeur puisse faire une comparaison entre chacun, - quelques thèmes clés ou emblématiques pourraient faire l’objet d’une utile comparaison, mais parce qu’il est probable qu’à chaque niveau de pouvoir, européen, fédéral, régional et communautaire, des majorités de gouvernement différentes se mettront en place, rendant particulièrement aléatoire, toute prévision sur les points des programmes qui seront retenus, écartés ou adaptés, dans les accords de gouvernement. Ces points feront, en effet, l’objet d’un troc entre les désidératas de chacun, où n’interviendront pas seulement les questions d’enseignement, mais aussi toutes les autres compétences, à chaque niveau de pouvoir, sans qu’il soit déjà possible de dire si les négociations fédérales auront, ou non, une influence significative sur la formation des autres gouvernements.

Un choix identitaire

Face à autant d’opacité et de complexité, il est probable que l’électeur votera davantage (par habitude, par fidélité, par tradition, par peur, par rejet, par amertume) pour un parti, plutôt que pour un programme, rejoignant ainsi ce qu’on pourrait appeler un vote identitaire, où l’on vote plus pour le sentiment d’appartenance qu’il donne (à une communauté, à un monde de valeurs, à une culture, ou, pour mieux dire, à une conception du monde) que pour les raisons qui fondent un choix informé et circonstancié. Dans le domaine de l’enseignement, en particulier, la portée identitaire du vote n’est jamais à sous-estimer. La politique de l’enseignement charrie, en effet, tant de valeurs, elle recèle, au moins depuis le XVIIIe siècle, tant d’enjeux civilisationnels, qu’elle est devenue, avec le temps, la question politique de la Modernité. Avec les Lumières, le propre de l’homme devient son inachèvement : ne pouvant être défini, ni comme une créature que son Créateur a créée, ni comme un animal dont l’instinct définit la nature, ni comme une chose dont la réalité est toute entière fixée par sa fonction ou les éléments qui la composent, l’homme n’est que ce qu’il devient, ou, pour le dire autrement, que ce qu’il se fait être. D’où le thème de l’éducation. Tandis que l’animal nait « achevé », l’homme doit, tout au long de la vie, se former, pour être. Telle est la plasticité humaine. Mais dès lors, se posent les questions : quelle formation, pour former quel être humain, et, celui-ci n’étant jamais un individu solitaire, pour vivre dans quelle société ? Depuis le XVIIIe siècle, toute philosophie de l’éducation, toute conception de la société, et partant, tous les partis politiques, ont été convoqués par ces questions et sommés d’y répondre et ce, même quand ils s’opposaient à cette perspective humaniste. Ils ne s’en sont pas privés, dessinant, peu à peu, les contours d’une identité politique, dans laquelle les citoyens pourront se reconnaître, mais à travers laquelle, également, chaque parti ou famille politique pourra se faire (re)connaître, c’est-à-dire se distinguer des autres. Derrière tout programme politique, il est, en matière d’enseignement et de formation, un projet éducatif, c’est-à-dire une certaine conception de l’homme et de la femme, une certaine vision de la société à promouvoir, et, de façon cohérente avec ces visées, une certaine manière d’y parvenir, à savoir une pédagogie ou, plus généralement, une méthode et des moyens. Ces différents projets éducatifs demeurent. C’est eux qui donnent une cohérence aux programmes des partis dans l’univers changeant des contextes et des époques. Au lecteur de ces programmes, ils donnent un fil conducteur pour déchiffrer le sens des propositions et des positionnements politiques des partis.

La vision libérale

La pensée libérale est un individualisme. Elle place à la base de la société les individus et vise leur bonheur. Elle privilégie la valeur de liberté. L’homme, n’étant défini, ni par nature, ni par création, est libre. Nul n’est, ce faisant, mieux placé que chaque individu pour définir librement son propre intérêt et pour y veiller. D’où également, un fort accent mis sur la responsabilité et l’effort individuels. Chaque être humain est, en quelque sorte, un « self made man ». Sur le plan des valeurs, le libéralisme est particulièrement sensible à la méritocratie (à chacun selon son mérite) et à l’égalité des chances, en particulier dans l’enseignement, par opposition aux acquis de la naissance qui limitent la liberté de chacun (par exemple, les privilèges de la naissance). Le but de l’éducation est de préparer les individus, en tant que citoyen et en tant qu’acteur économique, à la société des individus qui, en compétition les uns vis-à-vis des autres, poursuivent leurs intérêts propres, concourent à la richesse de la société.

Le programme du Mouvement réformateur (MR)

C’est cette vision libérale qui se retrouve à la base du programme du Mouvement réformateur (MR) et des autres partis qui, à sa gauche ou à sa droite, partagent, en tout ou en partie, cette conception. Du côté du MR, on ne s’étonnera pas, dès lors, de retrouver, en introduction du programme sur l’enseignement, cette profession de conviction toute libérale : « Pour réussir dans le monde actuel, les jeunes doivent acquérir des compétences et des habiletés supérieures qui leur permettront de s’adapter à un milieu de travail, et à un environnement social en perpétuelle évolution. Mais l’enseignement ne peut se limiter à ce seul aspect, et nous attendons aussi de l’école qu’elle transmette et fasse vivre les valeurs de respect, de travail, de liberté et de solidarité. L’école, il ne suffit pas d’y aller pour réussir. Réussir sa scolarité, cela demande avant tout de la volonté, du travail et des efforts. Ce sont aussi les valeurs incarnées par le sport, et par notre culture humaniste et progressiste. Relever le niveau de l’enseignement n’implique pas seulement d’augmenter le niveau de chaque élève, mais de réduire aussi les écarts entre les élèves les plus forts et les élèves les plus faibles. Telle est la condition d’une véritable égalité des chances. A cet égard, la liberté de choix des parents doit être complète. Nous voulons un enseignement qui dote les jeunes de compétences modernes et d’aptitudes à la vie quotidienne essentielles pour réussir dans un monde qui change. » Dans son programme, le MR trace les « trajectoires pour l’école du XXIe siècle » qu’il articule autour de deux grands axes: faire de l’école un instrument adapté pour assurer l’égalité des chances de chaque individu dans sa formation ; lier plus étroitement l’enseignement et le monde de l’entreprise pour préparer les jeunes à leur participation à la vie économique. En ce qui concerne le premier aspect, le programme du MR insiste sur l’acquisition des savoirs de base pour tous les élèves. Le sens de l’effort doit retrouver toute sa place à l’école, qu’il s’agisse de la mise en place d’un soutien immédiat et permanent pour lutter contre l’échec, ou des devoirs adaptés tout au long de la scolarité. De même, l’initiative personnelle de l’élève doit être replacée au centre du choix des études : il faut mettre fin à l’orientation comme relégation, et l’élève doit devenir le moteur de son orientation. En matière de liberté de conscience, la neutralité de l’enseignement officielle doit être garantie, mais l’Etat ne doit pas s’immiscer dans le choix par les parents de l’école de leurs enfants ; le MR s’oppose à une régulation étatique par les inscriptions et réclame l’abrogation du décret Inscriptions. Pour favoriser l’égalité des chances, le MR propose, à défaut d’une gratuité totale de l’enseignement, de créer un fonds pour les fournitures scolaires. En ce qui concerne le second aspect, le MR pointe, parmi les causes structurelles du chômage wallon, l’insuffisance de la formation initiale et professionnelle. Il fait, dès lors, de la formation, un des axes de sa politique de l’emploi. Il met, sur ce plan, l’accent sur l’enseignement technique, une collaboration plus étroite entre les écoles et les acteurs économiques, ainsi que, outre un soutien renforcé à la recherche en sciences appliquées (à la base de la création de spin up), une réflexion globale sur l’apport des technologies de l’information pour penser les classes de demain. Il propose de rapprocher les acteurs économiques de ceux de l’enseignement (en intégrant les représentants du monde de l’entreprise dans les pouvoirs organisateurs des écoles (et pas seulement en technique et professionnel)) afin d’anticiper les évolutions. Du point de vue de l’organisation de l’enseignement, il privilégie une logique de bassins d’emploi transcendant les réseaux. Il propose également la valorisation des diplômes entre les différents systèmes de formation (IFAPME, CEFA et l’enseignement technique et professionnel (FWB)). Dans la même perspective, il veut généraliser progressivement l’enseignement en alternance dans la filière technique et professionnelle, l’immersion technique et industrielle en entreprise, et « promouvoir l’intelligence des mains ».

Le programme du Front des francophones (FDF)

Se considérant comme des « libéraux sociaux », le FDF se place à la gauche du MR et à la droite du PS dont il dénonce le collectivisme : « Libéral et social. Les deux mots ont leur valeur. On en connait aussi les dérives. Chacun mesure les effets nocifs d’un libéralisme débridé, non contrôlé. Et personne n’ignore les impasses d’un socialisme doctrinaire. Libéraux et sociaux, nous sommes plus libéraux que les individualistes de droite et plus sociaux que les collectivistes de gauche. Et cela se traduit très concrètement dans notre programme. » (Extrait de l’introduction au programme fédéral) Le FDF se donne comme objectifs de faire figurer l’enseignement francophone à la tête du classement PISA et de permettre à l’école de jouer son rôle d’ascenseur social. Pour ce faire, il formule une quarantaine de propositions sur l’enseignement, parmi lesquelles on notera l’accent mis sur le pédagogique, l’autonomie de gestion des directions et des équipes pédagogiques, ainsi que la valorisation des enseignants en début de carrière. Pour lutter contre les inégalités face à l’apprentissage scolaire, il propose d’abaisser l’âge de l’obligation scolaire à 3 ans, car les développements cognitif, social et culturel s’acquièrent dès les premières années. Il défend le principe d’un parcours scolaire commun jusqu’à 14 ans, le renforcement des apprentissages de base (français, math-sciences, langues étrangères) et une meilleure orientation à la fin du tronc commun. Le FDF propose de remplacer le décret Inscriptions par un décret « orientation » : « Une procédure unifiée basée également sur un critère où l’on reconnait l’importance des recommandations pédagogiques d’orientation formulées par des professionnels, nous semble représenter la meilleure piste. Un avis de l’école primaire, de l’école secondaire et l’avis d’orientation du Centre PMS devraient pouvoir être pris en compte dans l’établissement des critères d’accès aux écoles. » (Extrait de la proposition 60)

Le programme du Parti Populaire (PP)

De son côté, le PP se place à la droite du MR, avec un ultra libéralisme, à la fois anti étatique, radicalement individualiste et favorable au renforcement de l’autorité. En matière d’enseignement, le constat est sans appel : « L’école se meurt. Il est temps de la sauver et de lui redonner l’ambition de former des jeunes gens qui seront des citoyens respectueux de leur environnement, de leur histoire et de leur lignée, des travailleurs qui seront ponctuels, loyaux, acquis à l’effort et, surtout, des humains qui seront pétris de culture, de valeurs et de savoirs. L'avenir de notre civilisation en dépend. A coups de suppression des devoirs, de mauvaises mesures qui accroissent les inégalités intellectuelles (à défaut de les amenuiser) et de destruction effrénée du savoir pluriséculaire, les responsables au pouvoir dévalorisent à dessein l’effort intellectuel au profit d’une part, d’un nivellement par le bas, catastrophique pour l’avenir du pays, et, d’autre part, de valeurs consensuelles qui ne souderont, contrairement à ce qu'ils pensent, jamais une nation. » (Extrait du programme du PP, introduction au chapitre sur l’enseignement). D’où une série de propositions, parmi lesquelles : la suppression du décret Inscriptions et le libre choix des parents et des écoles ; le bénéfice pour chaque famille d’un chèque éducation à remettre à l’école de son choix qui se financera de cette manière ; une large autonomie pour les écoles qui les rendent libres du système éducatif, pour autant qu’un programme défini par l’autorité soit suivi ; l’introduction de tests régionaux périodiques, comme le baccalauréat, afin d’évaluer les niveaux de connaissance réels ; la réintroduction de l’éducation civique et des manuels scolaires (en version papier ou électronique) ; le rétablissement de l’autorité des professeurs et la revalorisation la profession.

La conception socialiste

La pensée socialiste est également l’héritière des Lumières, mais elle a été nourrie, autant par l’apport théorique très divers de penseurs comme Auguste Comte, Fourrier, Proudhon, Marx, que par l’expérience pratique de multiples organisations qui se sont développées, pour une part, à partir de la bourgeoisie libérale de gauche, et pour l’autre, dans les milieux ouvriers (caisses de solidarité, coopératives, syndicats, cercles d’éducation ouvrière, partis politiques). Dans sa version sociale-démocrate, elle est étroitement apparentée au radicalisme et au solidarisme ou à l’apport de la sociologie de Durkheim. Il en résulte un moindre niveau d’intégration théorique : le courant socialiste est étatique (communisme et social-démocratie) ou anti étatique (anarchisme) ; démocratique (anarchisme, social-démocratie, travaillisme) ou autoritaire (communisme), collectiviste ou individualiste, etc. D’une façon générale, le courant socialiste privilégie une vision sociale de l’individu. Il insiste sur les déterminismes sociaux qui empêchent l’émancipation des individus, en particulier, dans les classes sociales exploitées par le système capitaliste. Ce faisant, l’émancipation ne saurait être purement individuelle mais collective : elle passe par le changement social. La valeur centrale est moins la liberté que l’égalité car, pour ceux qui subissent l’inégalité, les libertés formelles ne conduisent pas à une liberté réelle. L’homme étant considéré comme un être social, la compétition est vue comme un égoïsme dont pâtit le plus grand nombre. Le courant socialiste, lui, préfère les attitudes de coopération, d’entraide et de solidarité. En matière d’enseignement, le courant socialiste va dès lors favoriser l’éducation mutuelle et l’enseignement « intégral ». Il ne se satisfait pas d’une égalité des chances purement formelle et lutte contre les inégalités de fait. D’où une critique, plus ou moins radicale, de l’Ecole comme instrument de reproduction sociale. Sur le plan philosophique, les socialistes, comme les libéraux, vont cultiver plusieurs tendances qui ne seront pas sans influences sur la question scolaire. Tandis que du côté libéral, une aile conservatrice put voir dans la religion un garant de l’ordre social et, une aile progressiste, un frein à l’émancipation individuelle, du côté socialiste, on trouve, d’une part, un courant très anticlérical et, d’autre part, une tendance plus pragmatique, cherchant à renvoyer la question de la religion dans la sphère privée, pour favoriser un rapprochement avec les milieux ouvriers chrétiens.

Le programme du Parti socialiste (PS)

Rien d’étonnant dès lors, compte tenu de ce corpus doctrinal, que le PS intitule son programme « Plus fort ensemble, pour un avenir plus juste ». En matière d’enseignement, il importe, pour le PS, « de redéfinir les finalités de l’école, de rendre force à sa mission d’émancipation et de justice sociale, et de doter les équipes éducatives d’outils adaptés. » (Extrait de l’introduction générale du programme). Le PS constate, sur base des enquêtes PISA, que le système éducatif dans la FWB est l’un des plus inégalitaires de l’OCDE : « La manière dont notre système éducatif s’est construit génère des inégalités entre écoles, entre élèves qui produisent des résultats globaux insatisfaisants. Certaines écoles concentrent les difficultés et d’autres accueillent les élèves les plus forts scolairement mais aussi ceux qui ont le plus de capital social. Les bons élèves progressent entre eux tandis que les élèves les plus faibles sont freinés dans leur évolution lorsqu’ils se concentrent dans les mêmes écoles. Depuis 2000, les résultats de PISA montrent que les inégalités augmentent en FWB en raison de la forte ségrégation entre les établissements, et que les systèmes fortement clivés, qui ont pourtant une forte proportion d’établissements de très bon niveau mais sélectifs, ne parviennent pas à atteindre un bon niveau d’ensemble. Les défis économiques majeurs auxquels se trouvent confrontés les Régions wallonne et bruxelloise appellent à mettre fin à cette logique de marché scolaire qui conduit à ce que certaines écoles préparent efficacement aux meilleures filières universitaires alors que d’autres en sont réduites à gérer la misère scolaire. Pour le PS, l’objectif principal doit être l’élévation du niveau de performance et la réduction des inégalités. » (Extrait de l’introduction aux propositions pour l’enseignement obligatoire) Sur le plan de la réduction des inégalités, le PS formule une série de propositions à orientation sociale, visant à améliorer les conditions dans lesquelles les élèves de l’enseignement obligatoire étudient. Il s’agit, par exemple, des repas chauds gratuits à l’école fondamentale, ou d’une étude dirigée et de la garderie gratuites jusque 18h pour les élèves du fondamental. Dans le même esprit, pour diminuer les frais scolaires des familles, le PS propose de créer une centrale d’achat au niveau de la FWB proposant des fournitures scolaires aux pouvoirs organisateurs et aux écoles. Contre l’échec scolaire, le PS propose, par exemple, l’engagement de 1 000 enseignants supplémentaires pour faire de la remédiation en petits groupes, ou, sur un plan organisationnel, un tronc commun pour tous, jusqu’ à la 3e secondaire, avec l’introduction de cours techniques et technologiques. Défendant le principe de la mixité sociale dans les écoles, le PS n’envisage pas l’abandon du décret Inscriptions et croit davantage à des solutions qui passent par l’augmentation du nombre de places disponibles dans l’enseignement. En ce qui concerne l’obligation scolaire, il propose de la fixer à l’âge de 5 ans et de sensibiliser les parents à l’importance de la fréquentation régulière de l’école maternelle. La réduction des inégalités résulte également, selon le programme du PS, de l’amélioration des conditions dans lesquelles les enseignants travaillent. C’est pourquoi, une série de mesures touchent l’amélioration de la carrière des enseignants, notamment le soutien des jeunes enseignants et un assouplissement des règles de l’engagement des enseignants, l’amélioration du cadre de travail ou l’allègement des charges administratives pour les directions. Sur le plan de l’amélioration des performances de l’école, notons l’attention toute particulière portée à l’enseignement qualifiant, qui vise à améliorer son attractivité et son adéquation par rapport aux réalités économiques. Citons, pêle-mêle, l’amélioration de l’information sur les métiers et sur les filières qualifiantes, une conception positive du processus d’orientation, des enseignements réellement en phase avec les réalités des métiers enseignés, le développement de l’enseignement en alternance, l’acquisition d’équipements modernes et le renforcement des centres de technologies avancées, etc.

Le programme du Parti du Travail de Belgique (PTB)

Situé à la gauche du PS, le PTB en radicalise les enjeux d’égalité et de lutte contre les inégalités. Seul parti organisé au plan national, le PTB est également le seul à proposer une « re-fédéralisation » de l’enseignement. Il réclame, de plus, une augmentation du budget national de l’enseignement au niveau de 1980 (c’est-à-dire à 7 % du PIB) qu’il se propose de financer avec une taxe pour les millionnaires, qui rapporterait 8 milliards d’euros ; 1,6 milliard irait à l’enseignement, dont 1 milliard pour l’engagement de 25 000 enseignants supplémentaires (surtout dans l’enseignement primaire), 300 millions pour la construction d’écoles et 300 millions pour l’enseignement supérieur. Les 400 millions restants iraient à la recherche scientifique. Par ailleurs, concernant l’enseignement obligatoire, le PTB revendique une série de mesures qui, pour une part, recoupent celles du PS: - 15 élèves par classe au maximum jusqu’en troisième année en primaire et ensuite, 20 élèves maximum par classe; - un tronc commun jusque 16 ans ; - la gratuité des moyens d’apprentissage et des activités obligatoires ; - les repas et l’accueil pré ou postscolaire gratuits ; - une politique d’inscription favorisantla mixité sociale dans toutes les écoles et garantissant une place à chaque élève dans une école proche diversifiée sur le plan social ; - l’État doit être responsable du financement de structures scolaires nouvelles ; - l’engagement d’un second enseignant dans les classes pour mieux soutenir les élèves en difficulté d’apprentissage; - l’obligation scolaire à partir de 3 ans ; - une logique partenariale au niveau des quartiers (parents, bibliothèques, éducation fondamentale, services de quartier, associations socioculturelles, artistiques, sportives…) ; - une coopération entre les réseaux et, à terme, un seul réseau d’enseignement public ; - une partie des cours donnée en français et une autre en néerlandais et ce, pour tous les élèves.

La conception écologique

L’écologie politique rompt avec les conceptions qui donnent à l’homme une place prééminente dans la nature et, en même temps, prolonge à bien des égards l’humanisme moderne. Contre les conceptions judéo-chrétiennes qui s’inspirent du commandement fait à l’homme par Dieu de dominer la terre (« Fructifiez et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-là, ayez autorité sur les poissons de la mer et sur les oiseaux des cieux, sur tout vivant qui remue sur la terre ! », Genèse, I, 28), mais aussi contre l’humanisme moderne qui fait de l’homme le fondement et le but de toute action, l’écologie replace l’homme dans la réalité naturelle, parmi les autres êtres vivants, vis-à-vis desquels il est considéré, moins comme le « maître de toutes choses », que comme un être vivant, entretenant avec la réalité naturelle une relation d’interdépendance. D’où la critique de toute conception politique (ou économique) qui ne voit dans la nature (êtres inanimés et animaux) qu’une matière, techniquement manipulable, que l’homme peut légitimement exploiter, selon sa convenance, et à ses propres fins. D’où également, l’idée que l’humanité, à une échelle industrielle avec le capitalisme, par son exploitation sans frein, détruit l’environnement dont l’homme dépend, finissant par le mettre lui-même en danger. L’écologie politique peut, ce faisant, conduire, autant à une tendance « fondamentaliste » antihumaniste, qu’à un humanisme, enrichi par le développement scientifique des connaissances du vivant et de la biosphère. L’écologie politique de la fin du XXe siècle n’est cependant pas seulement l’héritière de l’écologie scientifique ou d’un sentimentalisme pour la nature. Elle s’est également développée, en particulier à partir des années 1970, dans la mouvance du gauchisme et des mouvements tiers-mondistes, autogestionnaires, féministes, anti-nucléaires, pacifistes, etc. qui ont fortement influencé sa culture. De la même manière que les conquêtes de la bourgeoisie moderne ou les avancées du mouvement ouvrier ont façonné l’identité libérale ou socialiste, ces mouvements alternatifs ont forgé le style des partis écologiques. C’est également le cas en Belgique, où l’orientation réformiste d’Ecolo n’a pas peu contribué à l’inscrire dans la perspective d’un humanisme soucieux de l’amélioration des conditions de vie.

Le programme d’Ecolo

Sur cette base, on ne s’étonnera pas de voir le programme « école » des Verts s’intituler « Une école au coeur de l’émancipation et de la transition » (écologique?) mais on s’étonnera davantage que la priorité intitulée « Renforcer les alliances éducatives pour faire de l’école un lieu d’apprentissage de la citoyenneté et du développement durable » ne se situe qu’en cinquième et dernier lieu. Cette priorité seule se fait l’écho de la préoccupation environnementaliste (et encore, c’est à propos du transport scolaire ou de l’alimentation dans les cantines scolaires!), à côté de la préoccupation de constructions scolaires moins énergivores. Des propositions pour une école, en définitive fort peu verte, mais qui se veut surtout… plus humaine ? A chacun d’en juger, à travers cette synthèse des propositions de programme mises en avant par Ecolo : • un enseignement qui permet à chaque élève de découvrir et développer son potentiel, grâce à l’instauration d’un véritable tronc commun jusqu’à 14 ans ; • un meilleur accueil des enseignants lors de leurs premiers pas dans l’enseignement ; • des moyens budgétaires suffisants pour l’enseignement ; • la rénovation et la construction des écoles pour répondre au boom démographique ; • la dynamisation de la carrière des enseignants ; • la mobilisation des acteurs scolaires aux côtés des acteurs socio-économiques au niveau de leurs réalités territoriales ; • des écoles bilingues à Bruxelles ; • des produits de qualité, issus de circuits courts dans tous les restaurants scolaires ; • la garantie d’un accès égal aux études supérieures.

La perspective chrétienne

L politique inspirée par les valeurs du christianisme a, ces dernières années, perdu en lisibilité. Le Centre démocratique et humaniste (cdH) est l’héritier du Parti Social-Chrétien. Celui-ci a connu une longue histoire à la suite du Parti Catholique. D’abord unitaire, puis avec deux ailes linguistiques (PSC-CVP, 1945-1972), il devint indépendant (PSC, 1972-2002). Sur le plan doctrinal, il s’inspirait officiellement des théories du personnalisme, et prétendait rejeter, tant le capitalisme libéral que la philosophie socialiste de la lutte des classes. Mais dans la réalité, le parti demeura toujours tiraillé, entre une aile droite, qui pouvait, avec le CEPIC, se situer à l’ultra droite, et la démocratie chrétienne, qui était proche du Mouvement ouvrier chrétien (MOC). Il en résultait une logique d’alliances variées, tantôt à gauche, tantôt à droite, qui tenait au moins autant aux rapports de force internes au pilier catholique qu’aux résultats des élections. De ce legs, le cdH conserve en héritage un centrisme, à la fois humaniste et démocratique, qui, rejetant l’individualisme contemporain et le matérialisme, qu’ils soient d’inspiration libérale, capitaliste, socialiste ou écologique, place la fraternité humaine à la base de ses valeurs: « Nous parlons d’‘humanisme’ car nous considérons le bonheur et l’épanouissement de l’homme, de tous les hommes, comme notre seul objectif politique et parce que nous plaçons le progrès humain comme l’alpha et l’oméga de toute action politique. L’âme de notre projet, notre marque ‘orange’, est la ‘fraternité’. La ‘fraternité’ est le seul principe qui remette la force des relations humaines au cœur d’un nouveau projet démocratique. Cela signifie que, même si chaque être possède son identité spécifique, tous les hommes participent fondamentalement à la même aventure. » (Extrait de la Charte du cdH) Quant à savoir ce qui définit « le progrès humain » ou, sur base de quels jugements de valeurs, s’établissent le bonheur et l’épanouissement humains, il devient difficile de le dire. Car, qui en juge légitimement, et sur la base de quoi, si les valeurs du christianisme n’en sont plus le socle ? La Charte du cdH s’en explique de la manière suivante : a) « Nous nous réjouissons de la fin du dogmatisme moral et de l’évolution vers une meilleure autonomie de chacun ; b) Nous ne voulons pas pour autant entrer dans une ère nous privant de tous repères en ce qui concerne les principes de la vie en société, de la mort, de la vie, du rapport à son corps... Nous défendons le principe de ‘l’autonomie collective’, c’est-à-dire la volonté de participer, démocratiquement, au choix de normes collectives en refusant le renvoi de ces questions à la seule décision personnelle ; c) C’est pourquoi l’éthique implique une responsabilité politique, un refus d’indifférence, le respect de la vie et de la dignité humaine, les principes de précaution et de non instrumentalisation de l’homme dans le domaine de la science et de la bioéthique. » De la première assertion (a), il résulte le rejet d’une autorité dogmatique, privant chacun de son autonomie de jugement. Exit donc, en principe, le magistère de l’église qui ne fait plus autorité en matière de morale. La disparition du qualificatif « chrétien » dans l’intitulé et le programme du parti a donc ici une signification. Est-ce pour un mieux ? De la seconde assertion (b), il résulte le rejet du nivellement des valeurs, « nous privant de tous repères ». S’agit-il pour autant de confier l’appréciation sur les valeurs, sur la vie, la mort, le corps, etc. à chaque individu, permettant ainsi à chacun de parvenir à cet âge adulte proclamé par les Lumières, caractérisé par le jugement autonome ? Certes non. Le cdH défend, lui, le principe de « l’autonomie collective », à savoir la participation démocratique « au choix de normes collectives en refusant le renvoi de ces questions à la seule décision personnelle ». Qu’est-ce à dire ? En quoi l’autonomie pourrait-elle être collective dans un monde pluraliste, caractéristique d’une démocratie moderne ? Je puis, certes, comprendre que des individus représentatifs formulent des règles, qui, par convention, et, à l’occasion d’accords, toujours temporaires et toujours révisables, auront valeur de lois. Le constater est une banalité. Je puis, de même, considérer comme légitime (même si c’est commun de le constater) qu’il faille édicter, sur un plan politique, des règles assurant ou garantissant la protection des plus faibles (comme ce fut le cas pour les lois sur l’euthanasie, par exemple). Mais en quoi une loi ainsi formulée devrait-elle pour autant, et par principe, se substituer à la décision personnelle, qui est le niveau spécifique de la conscience morale, une pseudo collectivité autonome, qui serait, soit disant, seule éthique et soucieuse du respect de la vie, de la dignité humaine, etc. (c) ? De plus, la troisième assertion n’exprime-t-elle pas, implicitement, que le niveau de la décision personnelle est inévitablement synonyme d’indifférence, du non-respect de la vie et de la dignité humaine, de l’instrumentalisation de l’homme, etc. ? En réalité, la disparition de toute référence explicite au système normatif du personnalisme chrétien conduit le positionnement du cdH à d’inextricables difficultés et à des sortes de non-dits grandissants, qui rendent difficile la lisibilité du programme de ce parti. Ainsi, par exemple, en matière d’enseignement, le programme du cdH parvient à ne faire aucune mention explicite du caractère chrétien de l’enseignement libre. En matière de financement, toutes les mesures proposées vont pourtant dans le sens d’avantages nouveaux à octroyer à cette forme d’enseignement contre les différentes formes d’enseignement public. Est-ce là la traduction de cette « autonomie collective » voulue par le cdH. Pourquoi, dès lors, le choix de privilégier un enseignement privé confessionnel ? Quelle en est la justification ? L’école libre serait-elle plus éthique… d’être chrétienne ? Tandis qu’on pouvait regretter que le programme d’Ecolo, dont on attendait qu’il soit fort vert, le fut si peu, faudrait-il ici regretter que le programme du cdH, qui s’annonçait si humaniste, le fut si mal, à défaut d’être pleinement chrétien ?   Patrick Hullebroeck, directeur de la Ligue (en collaboration avec Juliette Bossé et Valérie Silberberg)

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