C’est l’heure des papas!

Mercredi 16 mai 2018

Depuis 2002, après la naissance de leur enfant, les pères ont la possibilité de prendre dix jours de congé. Pourtant, ils ne sont actuellement que 6 sur dix à en profiter. Un renforcement du congé de paternité est pourtant un levier essentiel de l’égalité hommes-femmes, à la fois pour lutter contre les discriminations faites aux femmes sur le marché de l’emploi et celles vécues par les jeunes pères souhaitant s’investir dans leur vie de famille.

C’est avec émotion qu’Antoine se souvient de son congé de paternité. «Les vingt jours qui ont suivi la naissance de mon petit bonhomme ont été merveilleux», explique le jeune père. «Être coupé du monde, à l’abri dans notre cocon, était incroyablement agréable. Mais même après vingt jours de congé, je n’étais absolument pas prêt à laisser mon fils et ma compagne tous seuls à la maison. La maman a vite eu besoin de sortir, de voir  des gens. Moi, non. Je ne suis ressorti que la veille de ma reprise de travail. Les  premiers jours, j’avais une énorme boule au ventre. Je me  trouvais à 50 km de ma petite famille et n’étais pas capable d’être présent dans la  minute en cas de problème. C’était très difficile à  gérer. Je pense qu’il m’aurait fallu  un mois pour réatterrir dans le monde  réel en douceur». Pour parvenir à ces vingt jours de congé, Antoine a fait  comme beaucoup de papas: il a bricolé, ajoutant deux semaines de congés annuels au congé de paternité de dix jours accordé depuis 2002 en Belgique 2. Il n’est pas le seul à penser que ces dix jours sont bien trop courts. «Mon aînée a connu quelques problèmes de santé, lorsqu’elle avait trois semaines», raconte Julien, 33 ans. «C’était dur de partir le matin pour aller bosser, après une nuit blanche, et de laisser ta copine toute seule à gérer ce truc que tu ne comprends pas. Tu essayes d’aider quand tu rentres, comme tu peux, mais tu n’es pas  là  pendant la moitié de la journée. C’est très frustrant. Si j’avais pu passer plus de temps à la maison, ça se serait beaucoup mieux passé pour  tout le monde». Comme Antoine et Julien, les pères souhaitant s’investir davantage  dans leur vie familiale sont  de plus en plus nombreux. Les mentalités ont changé, et il  n’est plus rare de voir des hommes à la sortie des crèches  et des écoles, sac à langer en  bandoulière et poussette au bout des bras. Sur les réseaux  sociaux, les pères affichent aussi  fièrement que leur compagne  les exploits de leur marmaille ; et on les croise désormais tout  autant dans la salle d’attente du pédiatre qu’au bord du terrain  de foot pour encourager le petit dernier. Néanmoins, ainsi que le révèle la Ligue des Familles 4, les jeunes papas ne sont encore que six sur dix à prendre leur congé de naissance. Un tiers des pères qui ne l’ont pas pris ne connaissait pas l’existence de ce congé, ou ne savaient pas qu’ils y avaient droit. 15 % n’y avaient effectivement pas droit: il s’agit ici principalement des indépendants 5 . Près d’un sur cinq n’avaient pas envie ou n’étaient pas intéressés par ce congé. Enfin, un père sur cinq n’a pas pris son congé par peur de perdre des revenus, ou que cela ait des conséquences sur sa carrière professionnelle. Ces chiffres sont interpellants. En passant à côté du congé de paternité, les jeunes pères ratent en effet l’opportunité de créer un lien et de construire une relation forte avec leur enfant dès ses premiers jours. Un moment privilégié pour se découvrir mutuellement, mais également pour apprendre: c’est le moment où s’acquièrent les bons gestes, ceux du bain, du change, des soins, des biberons, ces gestes qui plus tard permettront aux pères de prendre place à part entière dans l’organisation familiale. «Je  n’ai pas eu la chance d’avoir un  congé de paternité», raconte Jean-Paul, 52 ans. «Du coup, c’est vrai que j’ai toujours eu un peu de mal avec  mes enfants, quand ils étaient tout petits.  Je n’osais pas trop y toucher, je laissais leur maman faire. Avec le recul, et  quand je vois la relation que mon fils a avec son fils, je trouve ça dommage».

Le congé de paternité, un outil pour l’égalité

Aussi, l’arrivée d’un nouvel enfant bouscule généralement considérablement le quotidien. Entre les démarches administratives, les tâches familiales (surtout s’il y a déjà d’autres enfants), les obligations sociales et ce nouveau-né qui réclame une attention constante, difficile pour les jeunes mères de s’en sortir seule. Et même si de nombreux parents solos y parviennent chaque jour, mieux vaut être deux pour faire face. «L’arrivée de Noumia a été un  vrai chamboulement», témoigne Samir. «On a dû revoir tout notre planning, s’organiser, essayer de dormir quelques heures quand même. Je ne sais pas comment mon épouse aurait fait sans moi.  Pendant qu’elle se  reposait un peu, j’ai appris à découvrir ma fille. Sa maman avait déjà fait connaissance pendant neuf mois, j’ai pu rattraper un peu de ce temps».  En Belgique, la durée légale du congé de maternité est de quinze semaines,  ont  au moins obligatoirement une semaine à prendre avant l’accouchement et neuf semaines à pendre après. À ce temps, nécessaire aux mères pour se remettre physiologiquement de leur accouchement, s’ajoutent cinq semaines de congé supplémentaires, non obligatoires, à prendre avant ou après la naissance. Un congé indispensable aux jeunes mères pour accueillir sereinement leur enfant, que nous ne souhaitons bien  entendu pas remettre en question. Mais pourquoi ne pas octroyer les mêmes avantages aux jeunes pères? Voilà bien longtemps qu’aux Femmes Prévoyantes Socialistes, nous militons pour un congé de paternité obligatoire, d’une durée minimum d’un mois. Nous pensons en effet  que le congé de paternité est un formidable outil pour faire évoluer les mentalités. Aujourd’hui, en Wallonie, les femmes  consacrent chaque semaine en moyenne onze heures de plus que les   hommes au travail ménager, aux soins et à l’éducation aux enfants 6. Un chiffre qui ne concerne que le temps passé à effectuer physiquement les tâches. «Le temps passé à planifier et organiser ces tâches afin qu’elles s’enchaînent et permettent le fonctionnement du ménage, le poids temporel de la charge mentale donc, n’a pas été comptabilisé», souligne la sociologue Anna Safuta 7. En favorisant leur implication dès la naissance, en les immergeant immédiatement et complètement dans leur nouveau rôle, le congé de  paternité permet aux nouveaux pères d’acquérir la confiance et les compétences nécessaires pour occuper pleinement leur place au sein de la famille. Aussi, le congé de paternité apparait comme un levier essentiel pour lutter contre les discriminations faites aux femmes sur le marché de l’emploi, notamment à  l’embauche. Nombreuses/eux sont en effet encore les  employeuses/eurs à préférer engager un homme plutôt qu’une femme, susceptible  d’avoir des enfants et donc de s’absenter plusieurs mois. Conférer le même  «avantage» aux hommes permettrait de rééquilibrer les choses et de changer le regard des entreprises sur la parentalité. Un congé de paternité obligatoire permettrait également de lutter contre les discriminations  vécues par les jeunes pères souhaitant s’investir dans leur vie de famille. «Impossible de m’arrêter plus de trois jours», raconte Miguel, ouvrier dans le secteur de la construction. «Là, on m’a promis une promotion  d’ici quelques mois. Si je m’absente maintenant, c’est certain que je n’aurai pas le  poste,  le patron me l’a clairement fait comprendre».  Face à cela, nous exigeons des pouvoirs publics,  en plus d’un congé obligatoire, qu’ils  mettent en place des dispositions légales  assurant aux travailleurs une protection contre le licenciement et les éventuelles discriminations liées à la prise d’un congé de paternité ou de coparentalité.

Une cuillère pour maman, une cuillère pour papa

Aujourd’hui, en Belgique, le marché du travail reste traversé de nombreuses inégalités: temps partiels, salaire moindre, plafond de verre, confinement dans certains secteurs  et à certains postes… Les femmes demeurent fortement discriminées, tandis que les hommes peinent à s’affranchir des stéréotypes. Or, un congé de paternité plus long  permettrait d’équilibrer davantage les rôles sociaux, offrant une meilleure articulation  entre vies  professionnelle et privée pour toutes et tous. Et qui dit «meilleure articulation», dit «moins de stress». Et donc une meilleure productivité. Plusieurs entreprises privées l’ont bien compris. Ainsi, en juillet dernier, une grosse  société pharmaceutique anversoise décidait d’offrir deux mois de congés de paternité à ses milliers d’employés en Belgique.  En janvier, la filiale belge d’une multinationale informatique embrayait, offrant un mois de congé  supplémentaire aux jeunes pères. Une pratique certes encore marginale, mais qui démontre une réelle évolution dans les mentalités et la reconnaissance de la mixité au sein de l’entreprise comme levier de croissance et de créativité. Certains de nos voisins font également office de précurseurs. Ainsi, en Suède, les parents se partagent à leur guise 480 jours de congés parentaux, à la condition que chacun prenne au moins trois mois. Durant la majeure partie de cette période, ils reçoivent 80 % de leur salaire. La Norvège prévoit quant à elle dix semaines de congé parental réservées aux hommes, couvrant 90 % de leur salaire. Le Portugal fait également figure de bon élève, avec son congé de paternité obligatoire de quinze jours, auquel s’ajoute  un congé facultatif de dix autres jours, et la possibilité de transférer une partie du congé de maternité au père sur simple demande. En Belgique, plusieurs partis politiques, dont le PS, Écolo et le CD&V, ont déposé des propositions de loi visant à rendre obligatoire et à allonger le congé de paternité. Une proposition de loi visant à octroyer un congé de  paternité aux indépendants est également sur la table depuis plusieurs  mois. Nous le voyons, une dynamique positive  tend à se mettre en place… À nous aujourd’hui de nous mobiliser pour faire définitivement pencher la balance en faveur des pères! Renforcer le congé de paternité est un geste fort. C’est reconnaitre et consacrer le rôle et la place du père auprès de l’enfant  dès sa naissance. C’est œuvrer pour une société plus égalitaire et permettre à chacun.e de poser ses choix de vie en toute liberté. Enfin, c’est revendiquer pour toutes et tous les mêmes droits, et offrir à chacun.e les mêmes possibilités.

Julie Gillet, chargée d’études aux Femmes Prévoyantes Socialistes

1. Afin de respecter l’anonymat des personnes interviewées, tous les prénoms ont été modifiés. 2. Depuis 2002, les papas ont droit à dix jours de congé, dont les trois premiers sont rémunérés à 100 % et les sept suivants à 82 % du salaire. Ils peuvent prendre ces jours d’affilée ou les échelonner dans un délai de quatre  mois après  l’accouchement. Notons que depuis 2011, le  co-parent, c’est-à-dire le travailleur qui n’a pas de lien de filiation avec l’enfant nouveau-né de son partenaire, peut également sous certaines conditions, de la même  manière qu’un père ordinaire, avoir droit à 10 jours de congé lorsque sa partenaire accouche. 3. Mais est-ce réellement une avancée? 4. Le Baromètre des parents 2017, dossier réalisé par le Service d’études et d’action politique de la Ligue des Familles, Amélie Hosdey-Radoux, Matthieu Paillet, Alexandra Woelfle, sous la direction de Delphine Chabbert, décembre 2017. 5. Le congé de paternité est ouvert exclusivement aux salariés et aux fonctionnaires. Les travailleurs indépendants, les demandeurs d’emploi, les étudiants ou encore les travailleurs précarisés sans contrat de travail, ne  bénéficient pas de ce congé payé à la naissance de leur enfant. 6. Sile O’Dorchai, «Égalité entre les femmes et les hommes en Wallonie: Photographie statistique. Cahier 2: Le genre et l’emploi du temps en Wallonie», Rapport de l’IWEPS, 2017. 7. Anna Safuta, «Aider n’est pas partager: la charge mentale des femmes en couple hétérosexuel» , FPS, 2017.  

mai 2018

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