Blocages et grèves : les étudiant.e.s français.e.s en colère

Jeudi 19 avril 2018

Les mobilisations étudiantes contre la nouvelle loi sur les conditions d’accès à l’université prennent une ampleur considérable en France. 50 ans après Mai 68, les jeunes s’organisent et luttent cette fois, contre la sélection à l’entrée de l’université.

Depuis plusieurs mois déjà, les étudiant.e.s français.e.s se rassemblent pour s’opposer à la nouvelle loi sur l’Orientation et la Réussite Étudiante (ORE) du gouvernement d’Emmanuel Macron. Plusieurs campus sont perturbés voire bloqués. Paris, Lyon, Grenoble, Toulouse, Lille, Nantes… En tout, une quinzaine d’établissements sont occupés par des grévistes. L’université de Nanterre est, elle, complètement paralysée et a décidé du report des partiels (les examens). Par ailleurs, ces dernières semaines, des violences ont éclaté dans plusieurs universités entre grévistes et groupuscules d’extrême-droite. Quelle est l’origine de cette mobilisation ? Comment s’organise le mouvement étudiant, quels sont les moyens d’expressions des étudiant.e.s grévistes et des syndicats ?

Que demandent les étudiant.e.s ?

Concrètement, les étudiant.e.s demandent à pouvoir s’inscrire où ils/elles le désirent. Problème : l’enseignement supérieur en France est déjà, depuis quelques années, saturé. Les filières croulent sous les demandes sans cesse plus nombreuses mais le budget n’a pas augmenté de manière proportionnelle au phénomène, récurant depuis les années 80 et intensifié depuis le baby-boum des années 2000. Le choix du précédent gouvernement s’était porté sur un système de tirage au sort nommé APB pour Admission Post-Bac. Celui-ci avait très rapidement montré ses failles et révélé l’impossibilité d’accueillir tous les étudiant.e.s. En juillet 2017, le ministère de l’Éducation national avait d’ailleurs reconnu n’avoir pas pu satisfaire 87.000 demandes d’inscription[1]. Proposition du gouvernement Macron : la loi ORE dans le cadre du Plan Étudiants de réforme de l’enseignement supérieur prévu pour la rentrée prochaine. Une plateforme dénommée « Parcoursup » prévoit d’organiser une sélection qui sera directement opérée par les équipes pédagogiques des universités amenées à analyser et trier les dossiers de candidatures des étudiant.e.s en cas de manque de places. Ce processus qualifié de « qualitatif » par le président français est vu par les opposant.e.s à la loi ORE comme une « sélection » à peine déguisée, qui remet directement en cause le principe d’une université ouverte à tou.te.s[2]. « Dans de nombreux cas, ils vont bloquer l’accès des jeunes aux filières de leur choix, leur imposer des remises à niveau qui ne sont pas encore connues ou organisées, mais aussi décourager les candidatures, en particulier des élèves les plus en difficulté », dénonce l’Unef, l’Union Nationale des étudiants de France, la première organisation syndicale étudiante du pays. Contacté pour cet article, le président de la Fédération des Étudiant.e.s Francophones (FEF), Maxime Mori, met en garde :« Prôner de nos jours une sélection à l’entrée des écoles supérieures, c’est une grave erreur. Considérer la sélection comme un vecteur d’aide à la réussite, c’est aberrant. Sélectionner n’a jamais mené à rien et touchera particulièrement les étudiants déjà plus fragilisés qui galèrent à payer leurs études ».

Organisation de la mobilisation

C’est à la fin du mois d’octobre 2017 que la nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal dévoile son « Plan étudiant » pour la rentrée 2018. Des étudiant.e.s manifestent alors sur la voie publique. Après l’adoption de la loi par le Parlement le 15 février 2018, les mouvements d’opposition - menés principalement par l’UNEF (Union Nationale des étudiants de France) et Sud Solidaire (Union syndicale Solidaire) - commencent à bloquer certaines facultés. Depuis la promulgation de la loi par le président français, le 8 mars dernier, les campus universitaires sont ci et là bloqués, occupés de jour et/ou de nuit, par des centaines d’étudiant.e.s. La nuit du 23 mars, des hommes cagoulés anti-mouvement s’en prennent aux grévistes rassemblés dans l’université de Montpellier. Le doyen ainsi qu’un professeur ont été placés en garde à vue suite à leur implication dans cette expédition punitive à l’encontre des étudiant.e.s grévistes. Une enquête judiciaire est en cours. La diffusion d’une vidéo de l’événement dans les médias français amplifiera encore le mouvement d’opposition. Une quinzaine de facultés sont bloquées depuis le mardi 3 avril. De plus en plus de professeurs décident de soutenir leurs élèves et se joignent à la contestation. Ils annoncent leur intention de boycotter la nouvelle plateforme Parcoursup. Le Snesup-FSU, un des syndicats nationaux des enseignant.e.s du supérieur appelle à "ne pas constituer les commissions destinées à classer les dossiers issus des inscriptions dans la plateforme Parcoursup" et à "dire oui à toutes et tous les titulaires du baccalauréat". Ils sont également plus de 400 à avoir signé une tribune publiée le mardi 10 avril par Franceinfo, pour dénoncer ce qu’ils qualifient de « sélection hypocrite et absurde » pour l’accès à l’université[3].

Une tradition française

Une autre particularité de cette mobilisation étudiante « à la française », est le fait qu’elle s’ouvre aux autres grèves en cours en France. Le 22 mars 2018, étudiant.e.s et lycéen.ne.s rejoignent les fonctionnaires et les cheminots, en grève contre la réforme de leur statut et pour la sauvegarde de leurs droits et des services publics. Déjà en 2006, étudiant.e.s et lycéen.ne.s avaient été nombreux.ses à se mobiliser contre le CPE, Contrat Première Embauche (contrat spécifique à destination des jeunes qui permettait un licenciement du jour au lendemain), entraînant avec eux/elles de nombreux.ses femmes et hommes politiques et des syndicats. Au plus fort du mouvement, ils seront jusqu’à 3 millions à défiler pour demander le retrait de la réforme[4]. Trois mois de contestation sociale et de crise politique avaient permis de faire reculer le gouvernement et de retirer la loi. Selon Maxime Mori, « Historiquement, en France, les grands mouvements d’opposition liés à l’éducation touchaient la corde émotionnelle de beaucoup de gens et c’est en cela qu’ils furent des réussites ».

Quelle culture de la contestation étudiante en Belgique ?

Un tel mouvement serait-il imaginable en Belgique ? Pour Maxime Mori, dans l’absolu, « oui », mais le contexte est différent pour plusieurs raisons : « En France, les syndicats étudiants affilient directement et individuellement leurs membres. À la FEF ou à la VVS (Vlaamse Vereniging van Studenten), c’est une culture syndicale par extension. Parce qu’une assemblée de 40 personnes décide de s’affilier au syndicat, l’ensemble des étudiants sont alors affiliés. Ce n’est pas un choix opéré par chacun à la différence de la France ». Par ailleurs, les clivages politiques sont bien plus grands et plus marqués en France qu’en Belgique. « Par exemple, cela se sent même au niveau des syndicats étudiants. L’UNEF (Union nationale des étudiants de France, 1946) est clairement progressiste de gauche, le FAJE (Fédération des associations générales, 1989) est progressiste mais plutôt à droite et UNI (Union nationale inter-universitaire, 1968) est d’extrême droite. Il y a la FEF côté francophone et la VVS en Flandre qui existent depuis à peu près 40 ans et plus récemment, l’Unecof (Union des Étudiants de la Communauté française, 1995). Idéologiquement, on est très proches les unes des autres à part quelques rares fois ». Pourtant, nul doute qu’il y a matière à se mobiliser, au regard de la précarité étudiante qui  ne fait que s’amplifier…  

Maud Baccichet, secteur communication  

[1] https://www.francetvinfo.fr/choix/tribune-une-selection-absurde-plus-de-400-enseignants-chercheurs-denoncent-la-reforme-de-l-acces-a-l-universite_2693044.html [2] https://francais.rt.com/france/49847-orientation-etudiants-pourquoi-loi-ore-souleve-opposition-decryptage [3] https://www.francetvinfo.fr/choix/tribune-une-selection-absurde-plus-de-400-enseignants-chercheurs-denoncent-la-reforme-de-l-acces-a-l-universite_2693044.html [4] http://www.lemonde.fr/campus/article/2016/03/09/il-y-a-dix-ans-les-jeunes-obtenaient-le-retrait-du-cpe_4879453_4401467.html    

mai 2018

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