Une ségrégation académique et une ségrégation socioéconomique

Mercredi 11 juin 2014

L’équité de nos systèmes éducatifs est une des plus faibles des pays industrialisés et démocratiques

Depuis 2003, les tests PISA font ressortir clairement le fait qu’en Belgique, les performances scolaires des jeunes d’origine étrangère sont globalement moins bonnes que celles des jeunes autochtones, avec des nuances importantes selon les Communautés et le type d’enseignement.
Ces dix dernières années, la Fondation Roi Baudouin a commandé aux chercheurs du Groupe de Recherches sur les Migrations (GERME) de l’ULB trois études successives sur les performances scolaires des jeunes d’origine étrangère en Fédération Wallonie-Bruxelles et en Communauté flamande, à partir des statistiques des tests PISA de 2003, 2006 et 2009. En 2013, la Fondation avait demandé au GERME de mettre en perspective les résultats de ces trois études (« Ecole, le gaspillage des talents » paru en septembre 2013). Cette synthèse avait confirmé les difficultés scolaires spécifiques des élèves d’origine étrangère : en dépit d’une évolution positive, les écarts restaient importants et l’école continuait d’être un lieu de reproduction des inégalités, le niveau socioéconomique défavorisé des familles et la langue parlée à la maison jouant un rôle prépondérant, mais ne suffisant pas à expliquer la situation.

Efficacité et équité

Fin 2013, l’OCDE publiait les résultats d’un nouveau test PISA (effectué en 2012) consacré aux performances en mathématiques. L’occasion de réaliser une étude analysant les résultats belges : sous le titre ‘Vers des écoles de qualité pour tous ? Analyse des résultats à l’enquête Pisa 2012 en Flandre et en Fédération Wallonie-Bruxelles ». Le GERME y compare une fois encore les résultats entre jeunes francophones et flamands, ainsi qu’entre les élèves issus de l’immigration et ceux qui ne le sont pas. Son étude mesure à la fois l’efficacité et l’équité de nos systèmes d’enseignement. Cette étude pose plusieurs constats. En Belgique, les origines socioéconomique et migratoire déterminent encore de manière très importante les performances scolaires. En Communauté flamande, les élèves de 15 ans affichent des résultats en mathématique (531 points) significativement supérieurs à la moyenne de l’OCDE (494 points), alors que les élèves de la Fédération Wallonie-Bruxelles (493 points) ne s’en distinguent pas. Dans chacune des deux Communautés, l’équivalent de plus de 6 années d’études sépare les élèves les plus forts des élèves les plus faibles. Cette dispersion des performances est parmi les plus importantes des pays de l’OCDE. Le poids des origines socioéconomique et migratoire reste important. Ces deux caractéristiques expliquent 22% de la dispersion des performances en Fédération Wallonie-Bruxelles et 23 % de cette dispersion en Communauté flamande. L’équité de nos systèmes éducatifs est une des plus faibles des pays industrialisés et démocratiques. Alors qu’efficacité et équité sont compatibles dans d’autres pays, la Belgique peine à allier ces deux dimensions pourtant nécessaires à un système éducatif de qualité. La ségrégation scolaire, qui influence négativement les performances des élèves, reste la maladie structurelle des systèmes scolaires belges.

Un écart important entre immigrés et autochtones

Mais qu’en est-il des élèves issus de l’immigration ? La Communauté flamande fait partie des systèmes éducatifs de l’OCDE où l’écart de performance entre élèves issus de l’immigration et autochtones est le plus élevé. La différence moyenne entre ces deux groupes est de 98 points. Cela équivaut à plus de deux années d’études selon l’OCDE. L’écart est moins grand en Fédération Wallonie-Bruxelles, mais il reste tout de même important. Les élèves nés à l’étranger (dits de première génération), réussissent moins bien les épreuves de mathématiques que ceux nés en Belgique avec des parents nés à l’étranger (deuxième génération), et ces derniers ont, à leur tour, de moins bons scores que les élèves belges. Les moyennes respectives sont de 445,7 points, 469,2 points et 506,9 points. La Fédération Wallonie-Bruxelles continue à résorber les écarts entre élèves immigrés et non-immigrés depuis PISA 2003, contrairement à la Communauté flamande. Dans les deux communautés linguistiques, la proportion d’élèves qui n’atteignent pas le niveau minimal de compétence est plus élevée parmi les élèves issus de l’immigration que parmi les élèves non issus de l’immigration. En Fédération Wallonie-Bruxelles, ils sont 40,5% à ne pas pouvoir interpréter des résultats chiffrés élémentaires, alors qu’ils sont 37,7% en Communauté flamande. Bien qu’une partie importante de l’écart lié à l’origine migratoire soit expliquée par le niveau socioéconomique des familles ou la langue parlée à la maison, il ne s’y réduit toutefois pas. La part d’écart expliquée uniquement par l’origine migratoire est bien présente en Belgique, alors que ce n’est pas le cas dans tous les pays. Les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Communauté flamande sont nettement plus ségréguées que celles des autres pays de l’OCDE. Deux types de ségrégation ressortent particulièrement : la ségrégation académique (sur les performances) et la ségrégation socioéconomique. Concernant la ségrégation académique, les écoles des deux Communautés se différencient fortement au niveau de leurs performances moyennes : certaines écoles réussissant très bien les tests PISA, tandis que d’autres éprouvent plus de difficultés. Dans ce sens, au sein de chaque école, les élèves sont relativement homogènes en termes de compétences. La ségrégation a également un impact sur les performances. Les élèves issus de milieux défavorisés sont doublement victimes : ils subissent l’effet négatif de leur origine et celle d’un environnement scolaire moins performant. En d’autres termes, les élèves défavorisés qui auraient le plus besoin d’un enseignement efficace se retrouvent dans des écoles qui ne facilitent pas leur apprentissage, alors que les élèves de milieu favorisé se retrouvent dans des établissements qui les font encore davantage progresser. Pourtant, une ségrégation moindre n’entraîne pas forcément de moindres performances, comme en témoignent les résultats de certains pays au taux de ségrégation bien plus faible, comme la Finlande.

Les pistes dégagées par l’étude

Sur base de cette analyse, les chercheurs du GERME ont développé des recommandations autour de quatre axes. Le premier axe concerne l’organisation de la déségrégation et la régulation des choix scolaires. Ceci implique, entre autres, de réguler les inscriptions (et donc, de revoir le décret inscription pour instaurer plus de mixité). Pour les chercheurs, il faudrait également casser la logique de cascade, qui oriente trop précocement les jeunes vers le qualifiant. Aussi, plaident-ils pour l’instauration d’un véritable tronc commun. Autre axe mis en évidence dans les recommandations : remettre en cause les excès de redoublement, qui en Fédération Wallonie-Bruxelles, s’applique dès la 3e maternelle ! Enfin, les chercheurs insistent sur la revalorisation du métier d’enseignant. Les équipes pédagogiques les plus expérimentées, les plus soudées se trouvent dans les écoles où il y a le moins de défis à relever, où le public est plus favorisé. Il faudrait inverser la tendance et placer les meilleurs équipes dans les écoles où les défis sont les plus importants. Tout ceci nécessiterait, évidemment, un changement de mentalité considérable… Sources : - L’école persiste à être discriminatoire, Le Soir, 08/05/2014 ; - Equité et efficacité scolaires sont compatibles, La Libre Belgique, 08/05/2014 ; - Vers des écoles de qualité pour tous ? Analyse des résultats à l’enquête Pisa 2012 en Flandre et en Fédération Wallonie-Bruxelles, étude réalisée par le GERME à la demande de la Fondation Roi Baudouin, mai 2014 ; - Voici pourquoi l’ascenseur social est en panne, Le Soir, 24/04/2014.    Valérie Silberberg, responsable du secteur Communication

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