Un test d’entrée pour devenir prof

Lundi 27 mars 2017

A la rentrée 2019, les étudiants devront passer un test de maîtrise de la langue française pour accéder à la formation d’enseignant. Cela ne sera pas sans conséquences pour tous.
En Communauté française, 35% des enseignants, dont 20% de détenteurs d’un titre pédagogique, abandonnent la profession dans la première année d’activité. Instabilité et précarité de l’emploi, peu de soutien financier au secteur, manque de pratique durant la formation initiale… autant de freins qui font que ce formidable métier est en pénurie depuis de nombreuses années. Un besoin urgent d’améliorer la qualité du système éducatif et de revaloriser le métier d’enseignant se fait éminemment ressentir. Et depuis 2011, le ministre de l’Enseignement supérieur à la Fédération Wallonie-Bruxelles, le socialiste Jean-Claude Marcourt, prépare sa réforme de la formation initiale des enseignants. À noter qu’au moment de la rédaction de cet article, l’avant-projet de décret est dans sa phase finale, mais rien n’est encore déposé sur la table du Gouvernement. Pour l’essentiel de ce que l’on sait, trois axes principaux sont proposés : renforcer progressivement la formation initiale des enseignants et des formateurs ; redéfinir des contenus et réorganiser la formation initiale en articulant la formation initiale et la formation continue. Pratiquement, les études pour devenir enseignant passeront de 3 à 4 ans de formation dans un premier temps. L’objectif étant de les porter à 5 ans mais, pas pour cette législature : trois années de bachelier, suivies d’une année de master de spécialisation pour celles et ceux qui désirent enseigner aux élèves âgés de 2 ans et demi à 15 ans, et de deux années de master en enseignement pour enseigner aux 15-18 ans. L’actuel master à finalité didactique disparaîtra. En revanche, l’agrégation réservée aux détenteurs d’un grade académique débouchant sur une fonction d’enseignant sera maintenue et portée à 60 crédits.

Un test contraignant ou non ?

Au rayon des nouveautés qui divisent, et c’est ce qui nous intéresse ici : le test de maîtrise de la lange française. D’ici la rentrée 2019, le ministre entend soumettre l’accès à la formation à la présentation d’une épreuve de maîtrise du français. Reste encore à préciser son caractère indicatif ou contraignant. En octobre 2016, le ministre déclarait que « les résultats de ce test, obligatoire à l’inscription, ne pourront pas empêcher un étudiant de s’engager dans le parcours de formation mais l’étudiant devra suivre des remédiations qui l’aideront à réussir le test, condition indispensable pour pouvoir poursuivre le cursus[1] ». Plus récemment, le 21 février 2017, le ministre fait le point, et la voie à emprunter semble plutôt formative, en tous cas pour certains. Le test sera non contraignant pour les futurs enseignants des sections 1 à 4, c’est-à-dire avant le bachelier. En revanche, un test de langue française contraignant, cette fois, verra le jour à l’entrée de l’agrégation et à l’entrée du master pour les étudiants n’ayant pas suivi le bachelier de transition en enseignement au préalable. Le master de 2 ans sera également accessible aux étudiants ayant suivi un bachelier disciplinaire (histoire, littérature, mathématiques…) à condition de réussir le test de langue française. Les formateurs des hautes écoles et universités constatent effectivement des failles au niveau des connaissances de la langue française. Ils ont eu l’occasion de les pointer lors des rencontres organisées au cours de l’élaboration de l’Évaluation de la formation initiale des enseignants. Rappelons que cette évaluation a été commandée par le ministre Marcourt au Centre d’Études Sociologiques des Facultés universitaires Saint-Louis dans le cadre de la Déclaration de politique communautaire 2009-2014. On peut y lire que « pour beaucoup, c’est la qualité des entrants dans le système qui est mise en cause et le seuil d’exigence à l’entrée qui devrait être relevé. L’accès à la formation d’enseignant ne devrait pas être permis à tous les titulaires du CESS, le diplôme des sortants de la filière professionnelle n’étant pas de valeur égale à celui des sortants de la filière générale ».

Inciter et récompenser

Pierre Smets, adjoint à la Direction et maître en psycho-pédagogie à l’Institut Supérieur Pédagogique Galilée de Bruxelles, confirme cette différence de niveau entre les publics et surtout, l’évolution du public entrant. « On inscrit de plus en plus de jeunes issus de l’enseignement qualifiant professionnel car, c’est un fait, être enseignant reste un ascenseur social assez puissant. Ce n’est pas un problème, mais il faut adapter les contenus et selon moi, garder un certain niveau d’exigence ».Pour la deuxième année consécutive à l’ISPG, un test de français est soumis aux élèves qui désirent s’inscrire à la formation. « Nous avons suivi d’autres écoles et décidé de nous aussi, tenter l’expérience du test diagnostique non contraignant », explique Pierre Smets. C’est une spin-off liée à l’Université de Liège qui a créé ce test à choix multiples, sur les connaissances en orthographe, en structure de phrases et en syntaxe mais l’institut peut alimenter la banque de questions proposées dans le test diagnostique. « Nous n’avons pas encore suffisamment de recul sur ce test mais, suite à l’épreuve, nous avons mis en place un certain nombre d’outils que les étudiants doivent gérer en autonomie. Ceux qui le désirent ont accès à un programme dénommé Voltaire. C’est un réseau qui propose des exercices en ligne. Plus ils y passent de temps, plus des bonus leur sont proposés. Cela fonctionne à l’incitation et à la récompense. Une collègue est également à disposition de ces étudiants en difficulté ». Des ordinateurs équipés de correcteurs plus puissants que ceux que l’on connait de Word notamment, ont été mis à disposition des étudiants afin de les encourager à être attentifs à leur orthographe. « Actuellement, les étudiants font bien leur job et du coup, leur petit marché pour voir où s’inscrire selon qu’il y ait des pré-requis ou non, mais c’est regrettable. Si ce test se généralise avec la réforme du ministre, il faudra engranger des moyens et dégager du temps et du personnel pour le mettre en œuvre », remarque Pierre Smets.

Le niveau de français baisse

Des examens d’entrée qui fâchent les étudiants, qu’ils soient contraignants ou non, par ailleurs. C’est le cas de Maxime Michiels, futur prof, étudiant en 2e année en sciences humaines en haute école. Il estime que ce type de test est inutile puisque des cours de maîtrise de la langue française existent déjà dans le cursus de la formation d’enseignant. De plus, il est convaincu que « le test d’entrée décourage, il rebute et il limite l’accès à une formation qui devrait être ouverte à tous. On manque déjà d’enseignants, nul besoin d’encore réduire le nombre de candidats et donc la population enseignante… ». Et d’ajouter : « on nous reproche d’être trop faible en français à l’entrée et à la sortie de nos études, pourtant, on a le même niveau de français qu’en faculté de médecine ! C’est avant tout un constat d’évolution de la société : le niveau de langue baisse. Le fait est qu’on a accès à énormément d’outils informatiques pour vérifier l’orthographe et la grammaire. Il ne faut pas oublier que les jeunes acquièrent plein d’autres nouvelles compétences. Je trouve cela complètement conservateur de pointer la maîtrise de la langue comme étant la panacée pour être un meilleur enseignant !». De fait, la langue évolue et le niveau d’orthographe régresse selon une étude[2] récente de la Direction de l'Évaluation, de la Prospective et de la Performance (DEPP) en France. Il s’agit d’un organisme qui conçoit et produit des données et des indicateurs sur la situation du système éducatif français. « Sur la même dictée d’une dizaine de lignes (67 mots) proposée depuis 1987 à des élèves de CM2, le nombre d’erreurs a encore progressé et la baisse des résultats qui avait été constatée entre 1987 et 2007 n’a pas été enrayée : en 2015, les élèves font en moyenne 17,8 erreurs contre 14,3 en 2007 et 10,6 en 1987. Parallèlement, le pourcentage d’élèves faisant moins de 6 fautes est passé de 31 % en 1987 à 16 % en 2007 et 8 % en 2015. C’est l’orthographe grammaticale qui demeure la source principale de difficultés : les règles d’accord entre le sujet et le verbe, mais surtout celles des accords de l’adjectif et du participe passé. Les écarts entre filles et garçons se creusent, à l’avantage des premières et l’augmentation du nombre d’erreurs est plus marquée chez les élèves ‘en retard’. En revanche, les écarts sociaux sont toujours d’ampleur équivalente mais à un niveau plus élevé : 19 erreurs en 2015 pour les enfants d’ouvriers contre 13 pour les enfants de cadres, alors que ces chiffres étaient respectivement de 12 et 6 en 1987 ». Force est de constater que ce déclin des compétences orthographiques est donc régulier et continu. Si les jeunes maîtrisent moins le français à l’écrit, c’est aussi dû à une tendance sociétale actuelle et pas, à un soi-disant désintérêt. De quoi relancer le débat sur la simplification de l’orthographe mais aussi plus symboliquement sur son rôle et sa fonction dans la société.

Enseignants sous pression

« Les plus jeunes s’identifient à leurs profs et ont besoin d’un enseignant qui sache s’exprimer, mais surtout d’un modèle à qui se raccrocher ». Les enseignants, plus que quiconque, ont de tous temps été mis sous pression de par leur mission en tant qu’acteurs sociaux, responsables et soucieux de l’avenir de « nos jeunes ». Les parents, les futurs profs, mais aussi les politiques, en attendent beaucoup d’eux. Ils devraient avoir « une maîtrise très assurée et réfléchie de la langue d’enseignement (…) et être capables de transmettre des idées de façon claire et convaincante, créer un environnement pédagogique efficace pour différents types d’élèves, favoriser l’instauration de liens enrichissants entre l’enseignant et les élèves, faire preuve d’enthousiasme et d’imagination et travailler efficacement avec les collègues et les parents…» (extrait OCDE– 2005). Mais ces qualités risquent de ne pas suffire : compte tenu, entre autres, des exigences accrues de la société vis-à-vis de l’école. Le métier d’enseignant devient de plus en plus complexe et nécessite des compétences de haut niveau pour faire face aux défis rencontrés[3]. Selon une étude de Christian Maroy (GIRSEF, UCL), intitulée Radioscopie du monde enseignant, la principale motivation des futurs enseignants est «le travail et la relation avec les élèves », avant même l’intérêt pour la matière enseignée, d’où l’importance des qualités humaines. Maxime Michiels le reconnaît volontiers, ce sont des bases à acquérir tout autant qu’un bon niveau de français : « Les plus jeunes s’identifient à leurs profs et ont besoin d’un enseignant qui sache s’exprimer, mais surtout d’un modèle à qui se raccrocher ». Pour permettre aux futurs enseignants d’être de « bons profs », la réforme du ministre devra également s’attarder sur des questions importantes relevées par les professionnels du terrain, comme le financement du secteur et la revalorisation du métier d’enseignant, les contenus des cours et l’augmentation du nombre de stages pratiques.   Maud Baccichet, secteur communication   [1]25/10/2016 - Un point sur la réforme de la formation initiale des enseignants, http://marcourt.wallonie.be/un-point-sur-la-reforme-de-la-formation-initiale/ [2] Sandra Andreu et Claire Steinmetz, « Les performances en orthographe des élèves en fin d’école primaire (1987-2007-2015) », Note d’information, n° 28, novembre 2016. [3]http://www.aeqes.be/documents/AEQES-PRESCOLAIRE-NET.pdf  

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