Évaluation qualitative, participative et prospective de la formation initiale des enseignants (2011-2012) - Quels enseignements?

Mardi 13 juin 2017

En 2011-2012, à la demande du Ministre de l’Enseignement Supérieur, Jean-Claude Marcourt, le Centre d’Études Sociologiques de l’Université Saint-Louis de Bruxelles réalise «l’évaluation qualitative, participative et prospective de la formation initiale des enseignants (FIE)», qui servira de base à la réforme actuelle. Étude de grande ampleur élaborée après plusieurs années de travail de concertation des acteurs institutionnels, elle a permis la mise à jour de différents aspects qu’il est intéressant de rappeler.
La commande de cette évaluation s’inscrivait dans le cadre de la Déclaration de Politique Communautaire 2009-2014 et dans la perspective qui y était exposée de revoir les contenus et les méthodes et, le cas échéant, d’allonger la formation initiale des instituteurs, des régents et des agrégés, telle qu’elle se déroule dans le cadre des Hautes Écoles (HE), des Universités, des Écoles supérieures des Arts (ESA) et dans les établissements d’Enseignement de Promotion Sociale (EPS). Comme son titre l’indique, la principale caractéristique de cette évaluation réside assurément dans sa méthode qualitative et participative. Ce sont plus d’un millier d’acteurs de la FIE, principalement ceux qui la mettent effectivement en œuvre sur le terrain (professeurs, formateurs, enseignants en fonction de différentes catégories et générations, étudiants futurs enseignants, maîtres de stages, inspecteurs, conseillers pédagogiques, directeurs d’établissements, acteurs de la formation continue, etc.), qui ont évalué qualitativement l’ensemble du système de la FIE au cours d’entretiens collectifs, lors de dix analyses en groupe ainsi qu’au cours de trois forums de validation/invalidation des résultats. Rendant compte des points de vue du «réseau d’acteurs» sur la situation et les enjeux de la FIE, le rapport d’évaluation rend compte des points forts et des points faibles de la FIE telle qu’elle est organisée en 2011, des besoins et enjeux présents et à venir de la FIE ainsi que de la nécessité d’une éventuelle réforme, notamment en termes d’allongement à cinq ans.1 À partir du diagnostic de la FIE établi par les acteurs, les problématiques de synthèse qui ont pu être dégagées se structurent autour de quatre points névralgiques et en autant de chantiers qui, en cohérence avec la  méthode, placent les acteurs en leur centre. Et invitent à «penser métier enseignant», «penser système d’action» et «penser institution».

Penser «métier enseignant»

On entend par métier un ensemble de  connaissances et de compétences pratiques dont les bases sont apprises dans le cadre d’une formation initiale, mais qui ne s’acquièrent réellement que par l’expérience et par la réflexion critique sur cette expérience. La FIE est cette phase de quelques années où des étudiants s’approprient les bases du métier dont ils n’auront sans doute la pleine maîtrise qu’au fil d’années de pratique. C’est pourquoi de nombreux participants ont estimé que la première chose à faire pour améliorer la FIE était de redéfinir le métier d’enseignant de manière précise, en tenant  compte de ses finalités, des transformations du contexte social et institutionnel, et des conditions concrètes de travail. Répondre à la question: Qu’est-ce qu’enseigner aujourd’hui? Il s’agit aussi de penser ce métier dans le cadre d’un système éducatif conçu comme une Institution, c’est-à-dire à partir des ses missions au bénéfice de la société et des personnes, et non comme une organisation orientée d’abord vers ses problèmes internes. Pour ce qui concerne le sens et la finalité, l’évaluation a révélé qu’à la vision, minoritaire, d’un apprentissage par étapes, depuis l’entrée en FIE puis tout au long de la carrière, s’opposait la vision, prédominante dans la FIE comme dans le monde scolaire de l’enseignant sinon «parfait», du moins suffisamment «prêt à l’emploi» dès la sortie de sa formation. Mais souvent désemparés face aux exigences du métier d’enseignant et par la surcharge de travail, les étudiants demandent plus de sécurité psychologique et pédagogique, tandis que leurs formateurs les veulent, dès le début, réflexifs et créatifs. Or, peut-on être réflexif et créatif quand un sentiment d’insécurité et l’impuissance tenaille? Les nombreux récits d’expérience portant sur les difficultés d’entrée dans le métier, de même que la demande insistante des futurs enseignants d’être davantage armés et prêts à faire face aux conditions concrètes du métier, plaidaient clairement pour une conception de la FIE comme une composante d’une formation continue, tout au long de la vie. Il est ressorti de l’évaluation que, pour diverses raisons, l’idéal formulé dans les décrets, notamment celui du praticien réflexif, était difficile à concrétiser.  A émergé l’image d’étudiants dont on exige trop et trop vite, qui ressentent un décalage entre ce que leurs formateurs et le  système» (avec son programme et ses grilles horaires notamment) attendent d’eux et ce qu’ils se sentent capables de faire, notamment au cours de ces moments de vérité que sont le stage et l’entrée dans le métier.  mentorat, coaching, transition en alternance (par exemple au cours d’une 4 année), intervision ou supervision: nombreuses étaient les perspectives pratiques soulignant la nécessité d’accompagner et soutenir le débutant,  ans quoi les moyens consacrés à la FIE le sont en pure perte, avec un terrible sentiment d’échec pour le jeune qui quitte la carrière mais aussi pour les formateurs.

Programmes et contenus

Du point de vue des pro grammes et des contenus, la FIE était largement perçue comme une addition de matières, d’activités et de travaux que l’on case comme on peut dans des horaires trop étriqués. Ajouter une ou deux années supplémentaires créerait un volume de temps plus large, mais qui risque d’être vite encombré à son tour si l’on se contente d’ajouter sans repenser l’ensemble. A aussi été souligné l’importance de favoriser une culture du métier, notamment en définissant un socle commun de connaissances et de compétences et en organisant des formations communes à tous les futurs enseignants, quels que soient leurs niveaux d’études et celui de leurs futurs élèves. Il y avait également relatif consensus sur le constat d’un décalage entre l’idéal de la formation, le profil des étudiants à l’entrée et les exigences de la pratique à la sortie, l’hypothèse d’une plus grande sélectivité à l’entrée ayant suscité un important débat. Parmi ceux qui incriminaient la qualité des entrants, certains proposaient un examen d’entrée, d’autres un test indicatif d’évaluation des compétences de base, particulièrement pour la maitrise orale et écrite du français, ainsi que des outils de remise à niveau à décliner sous forme de remédiation ou d’une année préparatoire. Mais nombreux étaient les opposants à ces mesures qui y voyaient une atteinte grave au principe d’égalité des chances et qui estimaient, de plus, que loin d’être une menace pour la qualité de l’enseignement, la prise en compte de l’hétérogénéité des profils (sociaux, scolaires, culturels...) des étudiants devrait être considérée comme un atout et une ressource autant qu’une difficulté, précisément au moment où il s’agit pour les enseignants de relever ce défi. D’où la nécessité pour de  ombreux acteurs de davantage former les futurs enseignants comme acteurs sociaux, autant en dehors qu’au sein de la classe et de l’école, notamment en élargissant et multipliant les possibilités de stages en dehors de  ’école, dans la vie sociale et associative. Les former également comme acteurs institutionnels, capables de s’intéresser aux aspects institutionnels et de traverser les clivages. En suivant le fil conducteur de l’expérience étudiante, l’évaluation de la FIE a, de ce point de vue, révélé un acteur étudiant comme en miroir de ses formateurs. Lorsqu’ils sont si peu acteurs sociaux et encore moins acteurs institutionnels, les étudiants reflètent l’image de leurs maîtres qui, pour la plupart, ne le sont pas davantage. Ils en restent le reflet lorsqu’ils se considèrent, encore et toujours, comme des artisans ou des indépendants, plutôt que comme des agents institutionnels.

Penser «Système d’action»

Cet effet miroir a montré que les problèmes devaient être posés, non pour chaque catégorie d’acteurs prise séparément, mais bien en termes de système d’action et de relations entre acteurs, relations autant verticales (comme entre étudiants et formateurs) qu’horizontales (comme entre formateurs). Quand l’apprentie enseignante se réfugie en pleurs dans la salle des photocopieuses, elle illustre un phénomène largement répandu chez  eux qui la forment: la solitude et le cloisonnement des acteurs qui, dans une large mesure, s’ignorent les uns les autres. Sans oublier les divergences régulières entre maîtres de stage (MS) et formateurs/ enseignants, souvent évoquées dans les récits d’expériences, révélant un système d’acteurs dont les composantes peinent à coopérer et même à se concerter et à se coordonner. À la question du recrutement et de la formation des MS, ainsi qu’à celle du développement d’un travail en équipe de co-formateurs (MS, formateurs/enseignants, maître de formation pratique), s’est ajoutée en cours d’évaluation la question tout aussi cruciale de la formation des formateurs. Le parallélisme entre ce qui a été dit de la formation des futurs enseignants et de celle de leurs formateurs était quasi parfait. De sorte que s’il faut redéfinir le métier d’enseignant, il faut aussi redéfinir celui de formateur d’enseignants, son profil de fonction et sa lettre de mission. S’il faut revaloriser le métier d’enseignant et encourager  de bons étudiants à s’y engager, il faut aussi motiver les enseignants expérimentés du supérieur à devenir formateurs d’enseignants. Si l’on s’interroge sur le profil à l’entrée des étudiants qui se destinent à l’enseignement, il faut parallèlement s’interroger sur le profil de ceux à qui est confiée la formation des premiers. S’il faut prévoir un dispositif d’accompagnement du débutant, il faut un dispositif analogue pour les nouveaux formateurs d’enseignants. Si la formation des futurs enseignants s’inscrit dans un cadre précis, il devrait en être de même pour leurs formateurs/professeurs.

Penser «Institution»

Une question sans cesse posée tout au long de l’évaluation était celle de  avoir dans quelle mesure il était encore possible de bien former des enseignants dans un système scolaire et un cadre institutionnel aussi incroyablement complexes.Comment réussir une réforme,qui ne soit pas seulement organisationnelle mais aussi institutionnelle? Les acteurs de l’évaluation ont dégagé un principe essentiel: la réforme doit être envisagée comme un processus inscrit dans la temporalité,et fondée sur la mobilisation etla responsabilisation de tous les acteurs concernés. La question de l’allongement éventuel devait en outre être traitée en lien étroit avec l’ensemble des questions,notamment celles de la redéfinition du métier d’enseignant,  es finalités et missions spécifiques de la FIE, et de sa cohérence. La conviction était qu’une réforme réussie de la FIE pourrait avoir un puissant effet d’entraînement au niveau de l’ensemble du système scolaire, notamment en ce qui concerne sa cohérence et son décloisonnement.   Véronique Degraef, Sociologue Véronique Degraef est sociologue et chargée de recherche et d’enseignement à l’Université Saint-Louis Bruxelles. C’est elle, avec son équipe qui mené, en 2011-2012, l’évaluation qualitative, participative et prospective de la Formation Initiale des enseignants, commanditée par le ministre Jean-Claude Marcourt et base de la future réforme. L’auteure revient pour nous sur les principaux aspects que cette étude à mis à jour. 1. V. Degraef, L. Van Campenhoudt, A. Franssen, Évaluation qualitative, participative et prospective de la formation initiale des enseignants.  

Les inégalités femmes/hommes absentes de la formation des enseignant-e-s

Dans le rapport «Évaluation qualitative, participative et prospective de la formation initiale des enseignants en Fédération WallonieBruxelles», un paragraphe apparaissait sur la formation de genre des étudiant-e-s: «Outre qu’ils suscitent des problèmes organisationnels, les nouveaux cours comme, par exemple, (…) approche théorique et pratique de la diversité culturelle et de la dimension de genre, ne permettent pas ‘d’articuler théorie et pratique’ parce qu’ils sont donnés dans de grands auditoires dans des conditions qui n’incitent pas à la réflexion critique et au débat entre pairs. ‘À quoi ça nous sert en classe?‘ se demandent les étudiants, qui jugent ces cours rébarbatifs, voire inutiles, en tout cas, difficilement appropriables.» Y était donc mis en exergue la mauvaise organisation des cours autour des questions de genre (au programme pourtant depuis 2005). C’est pourquoi, aujourd’hui, alors que la réforme est en cours, la commission enseignement du CFFB (Conseil des femmes francophones de Belgique), dont la Ligue fait partie préconise: - D’une part, d’appliquer les textes  de loi existants: le décret gender mainstreaming doit être mis en œuvre dans le processus de réforme actuel. Ceci implique au minimum de formuler de manière explicite dans le Décret, la question de l’intégration du  genre, ou de l’égalité f/h dans la formation intiale des enseignant-e-s (l’école doit être inclusive, donc tous les motifs de discrimination doivent être mentionnés). - D’autre part, de mettre en oeuvre les mesures nécessaires pour réussir l’intégration du genre dans la FIE:
  • mettre sur pied une formation de formateurs et formatrices en genre au niveau universitaire;
  •  en attendant cette formation, imaginer des solutions transitoires dans les universités pour changer l’éthos: organiser pour les futur-e-s enseignant-e-s dans les établissements des conférences ou séminaires sur le  genre obligatoires et matière à examen (inviter des expert-e-s en la matière);
  • faire de la formation au genre (et à la diversité) une connaissance requise pour les titulaires du cours actuel «Approche théorique  et pratique de la diversité culturelle et de la dimension de genre» des Hautes Écoles,  pour lesquels aucune exigence de compétence dans ces matières n’est jusqu’ici requise. Et idéalement étendre cette exigence pour l’obtention des diplômes d’éducateurs et éducatrices, d’enseignant-e-s, de  personnels d’inspection, de direction,  des personnels des PMS;
  • développer une expertise en genre et sciences de l’éducation (nous n’avons pas d’études qui croisent les inégalités de genre, classe et race dans le domaine de l’enseignement);
  • étant donné le déni de la question  des inégalités sexuées dans les Hautes écoles, nommer des personnes contact genre, comme dans les universités, de manière à donner de la légitimité et de la visibilité à cette  question.

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