Etudiants versus numéro INAMI, un imbroglio politique!

Jeudi 6 octobre 2016

 
 La formation des étudiants en médecine est, depuis longtemps, au cœur d’un débat houleux qui anime régulièrement les domaines tant politique qu’académique. En effet, pour exercer la profession de médecin, il faut posséder un numéro INAMI. Problème : il n’y a pas assez de numéros pour tout le monde ! Petit récapitulatif de la question…
  Pour faire court, les études de médecine sont les plus longues de Belgique! Depuis l'année académique 2012-2013, neuf années sont nécessaires pour devenir médecin généraliste, et douze années pour certaines spécialités, comme la chirurgie. Ces études se composent de deux cycles universitaires: un bachelier et un master, soit six années d'études. A ces six années, s’ajoutent, au minimum, trois ans de spécialisation (avec des prestations au contact de patients) pour devenir médecin généraliste, et six ans au maximum, pour certaines spécialités. Longues et denses, les études de médecines sont parfois laborieuses et souvent entachées par une législation complexe et mouvante. Dès lors, le ou la candidat-e en médecine devra, non seulement, satisfaire aux exigences académiques mais également répondre à une série d'épreuves institutionnelles qui peuvent transformer les études de médecine en parcours du combattant.

Le paradoxe des numéros INAMI

L'accès à la profession est régi par une règlementation bien précise: chaque médecin doit disposer d'un numéro INAMI pour pouvoir exercer pleinement son métier. En effet, les prestations médicales d’un médecin ne possédant pas de numéro, tout comme les médicaments qu’il prescrit, ne seront pas remboursés par la sécurité sociale. Sans numéro, un médecin  pourra s’orienter vers la médecine du travail ou vers la recherche. Actuellement, le numéro INAMI est accordé aux étudiants en médecine à la fin de leur 6ème année d'étude, soit après leur master. Un problème apparait lorsqu'il y a un surplus de médecins diplômés par rapport aux numéros INAMI disponibles. Dès lors, un étudiant en médecine peut se voir refuser l'accès à la profession par manque de numéro INAMI et ce, en fin de parcours universitaire. En 2014, par exemple, on comptait 600 étudiants médecins en Communauté française pour seulement 400 numéros INAMI disponibles[1]. Cet écart devenant de plus en plus manifeste avec les années: on prévoit, pour 2017, plus de 1000 diplômés pour moins de 500 numéros INAMI![2]

Le fonctionnement des quotas

La situation actuelle résulte d'une réforme profonde du secteur de la santé dans les années 90[3] qui s’est concrétisée par la mise en place d’une planification de l'offre de professionnels de la santé face à l'explosion du nombre de médecins par rapport à la demande. A l’époque, le surplus de médecins entraînait une dépense publique jugée intenable à long terme, il était donc urgent de réglementer la situation afin de maintenir un équilibre budgétaire national au niveau des soins de santé (compétence fédérale). La réponse apportée fut la règlementation par quotas de l'accès à la profession. Concrètement, l'Etat fixe un nombre maximum de postes, via des numéros INAMI pouvant être accordés chaque année en fonction d'une analyse de la demande... C'est ce qu'on appelle le contingentement des numéros INAMI.

De concours en recours...

La première étape de cette réglementation fut la création, en 1996, de la « Commission de Planification » ayant pour objectif d'examiner "les besoins en matière d’offre médicale pour les médecins, les dentistes, les kinésithérapeutes, les infirmières, les sages-femmes et les logopèdes". Une répartition limitant le nombre de médecins fut mise en place à partir de 1997 : afin d'éviter les étudiants surnuméraires en fin de cursus, les communautés en charge de l'enseignement, tant en région francophone que néerlandophone, furent priées de mettre en place un système de sélection des étudiants en cours de formation[4]. Du côté néerlandophone, les choses ont rapidement et clairement été établies: les étudiants en médecines devront satisfaire à un concours et ce, dès leur inscription en faculté de médecine. Du côté francophone, le processus de sélection fut plus compliqué. Suite au contingentement des numéros INAMI en 1997, il fut décidé que l'entrée en 3ème cycle des études de médecine serait limitée par des quotas fixés par le Fédéral. Un concours fut donc mis en place en fin de 3ème année, avec pour corollaire, le risque pour les étudiants de se voir refuser l'accès à la profession après trois années d'études. La logique du numerus clausus était ainsi mise en application. En 2003, face à la situation, intenable politiquement, la ministre de l’enseignement supérieur, Françoise Dupuis, supprima le concours de fin de 3ème année, laissant les étudiants libres de continuer leur cursus, même si se posait encore la question du contingentement fédéral en fin d’étude. En 2005, la ministre Marie-Dominique Simonet tenta à nouveau de réintroduire un concours,  cette fois-ci à la fin de la 1ère année, ce qui provoqua un énième tollé au sein de la communauté étudiante, soutenue par le Conseil d'Etat qui invalida le principe et gela le concours. Dès 2008, un moratoire entra en application et figea le numerus clausus jusque-là en vigueur. Ce dernier fut "définitivement" enterré en 2012 suite à une réforme des études de médecine abolissant toutes les formes de numerus clausus et rendant ainsi libre l'accès aux études de médecine. L’échec de toutes ces mesures mena à une "surproduction" de diplômés francophones, à qui le fédéral accorda tout de même un numéro INAMI, cela en allant puiser dans les quotas destinés aux diplômés des années ultérieures.

La saga des concours continue!

Ainsi, pour pallier au paradoxe qui mine les étudiants de médecine depuis des décennies, le politique a, à de nombreuses reprises, ramené la question des quotas au-devant des débats. Jusque 2015, les études de médecine n'étaient plus soumises à un aucun numerus clausus. Cette année-là, suite à de âpres négociations entre Jean-Claude Marcourt (ministre francophone de l'Enseignement supérieur) et Maggie De Block (ministre fédérale de la Santé), un concours discriminant fut réintroduit en fin de première année, d'application dès la rentrée de cette année-là. L'idée était d'offrir à tous les étudiants francophones l'assurance d'obtenir leur attestation INAMI afin de pouvoir pleinement travailler au terme de leurs études. La nature de ce concours fut largement décriée par de nombreux étudiants et associations étudiantes, remettant en question la validité de ce dernier. En effet, selon la Commission de planification, 1.230 candidats pouvaient être retenus pour la cohorte de 2021 (année de sortie des études des étudiants en médecine de l'année académique 2015-2016), chiffre qui, pour certains, ne correspondait pas aux nombres d'étudiants sortants en 2021 et ne prenait pas en considération les spécificités de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Un recours fut posé par des étudiants des Universités de Liège et Namur afin que le Conseil d'Etat statue sur la validité ou non du concours. Selon eux, "les quotas communautaires sur lesquels s'appuie le système de sélection aux études de médecine sont illégaux parce que 'dépourvus de fondements' et ne reposant pas 'sur des données précises, exactes, pertinentes, adéquates et actualisées ». Face à cela, le Conseil d'Etat a rendu un avis favorable aux étudiants, estimant les quotas sur lesquels se basent la sélection, comme illégaux. Par conséquent, le Conseil d'Etat a purement et simplement annulé l'arrêté royal fédéral et le décret communautaire incluant le concours en question. Cette annulation par le Conseil d'Etat donnait donc raison à tous les étudiants en médecine et a pour conséquence une remise en question générale du système des quotas et, donc, une nouvelle situation d'engorgement d'accessibilité à la profession.

Vers une solution ?

A l'aube de la rentrée académique 2016-2017 et afin de sortir de cet imbroglio, De Block et Marcourt auraient trouvé un accord. En effet, le 15 septembre 2016, la ministre de la Santé a annoncé qu’un numéro INAMI serait accordé à tous les étudiants actuellement engagés dans des études de médecine et de dentisterie en Fédération Wallonie-Bruxelles, à condition d’introduire un examen d'entrée, comme celui mis en place en Flandre depuis 20 ans. Reste que le gouvernement fédéral s'est accordé sur le nombre de numéros INAMI qui seront octroyés aux nouveaux médecins diplômés en 2020, maintenant la clé de répartition des quotas entre la Flandre (60%) et la Fédération Wallonie-Bruxelles (40%), "en dépit d'une recommandation de la commission de planification de l'offre médicale qui, au début de l'été, avait proposé d'ajuster la répartition à 56,5% pour la Flandre et 43,5% pour le sud du pays"[5], ce qui est loin de plaire aux francophones, qui craignent une pénurie de médecins… Ainsi, au regard des tensions nationales, du manque de médecins à venir et des attentes des étudiants, les débats sont encore loin d’être terminés. Une refonte profonde du système régissant la professionnalisation du secteur médical, une meilleure gestion des numéros INAMI dormants, ainsi que la création d'un cadastre des spécialisations seront nécessaires et inévitables afin d'assurer à tous des conditions de vie et d'étude respectables.   Les numéros INAMI au cœur d’un antagonisme communautaire: La gestion des soins de santé est une compétence fédérale. Elle est actuellement assumée par la ministre Maggie De Block dans le cadre de son mandat de ministre de la Santé publique. Les études de médecine sont donc conjointement gérées tant par Maggie De Block, que par le ministre de l'Enseignement supérieur, Jean-Claude Marcourt, en Fédération Wallonie-Bruxelles. Si la Flandre a depuis longtemps, imposé à ses étudiants en médecine un examen d’entrée, les universités du sud du pays ont toujours tenté d’éviter cet examen qui, selon elles, apporteraient, à terme, une pénurie de médecins. Pourtant, en cette rentrée 2016, un accord entre les deux ministres, vient d’être entériné : les francophones devront mettre en place un système d’examen d’entrée. Si accord, il y a, ce n’est pas pour autant que les tensions sont apaisées. En effet, Jean-Claude Marcourt n’hésite pas, dans la presse, à réaffirmer sa préférence pour un système de concours à celui d’examen d'entrée, jugeant ce dernier trop discriminant, moins représentatif des compétences des étudiants, et surtout plus apte à arranger les néerlandophones du fédéral : «avec un concours, c’était plus clair et cela permettait d’éviter la formation de nouvelles bulles (de numéros Inami, ndlr) mais pour cela, il faut justifier de manière pertinente le nombre d’attestations délivrées. L’examen d’entrée permet au fédéral de manipuler les chiffres des quotas selon son bon vouloir»[6]. Ainsi, les tensions montent, avec, à la clé, un risque de scission du pays au niveau de la sécurité sociale et des soins de santé.     [1] INAMI : Un désastre pour les étudiants, un danger pour la santé publique, FEF, http://www.fef.be. [2] Chiffres : rapport annuel de la commission de planifications de l’offre médicale. [3] Le résumé suivant est inspiré par l'article "Études de médecine et Inami : du paradoxe au gâchis", Mathieu Morelle - Jeunes cdH, publié sur le site http://www.relie-f.be/activites_detail/721. [4] Les études de médecine en Belgique, comment ça marche ? Interview de Jérôme LECHIEN, Président du Conseil de la Jeunesse, http://www.capcampus.com. [5] Numéros INAMI: comment en est-on arrivé là?, Benjamin Everaert, 18/09/2016, http://www.lecho.be. [6] RTBF, 16 septembre 2016.

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