Détresse étudiante : aides insuffisantes

Jeudi 1 février 2018

bty
C’est quoi être pauvre? Comment vivent les étudiant.e.s d’aujourd’hui? Dans quelles conditions et avec quel budget? Quelles aides sociales existent?  Pourquoi ne sont-elles pas accessibles à tout.e.s?
Eduquer 135: Paupérisation des étudiant.e.s, urgence d'agir!
S’il n’existe pas de définition consensuelle et reconnue de la pauvreté, celle-ci est toujours abordée en fonction d’autres concepts comme ceux de niveau de vie, de bien-être, de besoins essentiels ou de l’exclusion sociale. Des concepts peu quantifiables mais qu’il faut garder à l’esprit quand on parle de pauvreté. Car de fait, la mesure de la pauvreté est un exercice délicat tant certaines catégories de personnes n’y entrent pas du tout, comme les personnes sans-abris ou sans-papier. D’usage, on l’approche souvent en utilisant ce qu’on appelle le seuil de pauvreté. Ainsi, selon le SPF Économie, est donc considérée comme «pauvre», une personne seule qui vit avec moins de 1.115 euros nets par mois pour un isolé (chiffres arrondis)[1].
En 2016, sur base uniquement des revenus, 15.5 % de la population belge connaissait un risque de pauvreté. à noter qu’en Région bruxelloise, le taux de risque de pauvreté ou d’exclusion sociale grimpe en moyenne à 30 %, toujours pour 2016.

Plus jeune, plus pauvre

Chez les jeunes, cette pauvreté est plus élevée encore. En 2016, 21.2 % des 16-24 ans vivaient sous le seuil de pauvreté[2]. Cette tranche d’âge correspond à une période où on s’apprête à quitter l’école pour entamer des études ou travailler, ou encore, à demander ses droits au chômage, droits pour lesquels il faudra tout de même attendre une année de stage avant de pouvoir en bénéficier. Bref, une période où on dépend encore fortement des parents, si du moins ils sont présents et en ont les moyens, mais aussi une période où on ne gagne pas réellement sa vie.

Budget étudiant

Qui plus est, étudier coûte de l’argent. Il y a le minerval, qui varie fortement d’une Haute école à l’autre – celui des universités (835 euros) est en moyenne deux fois plus élevé que celui des Hautes écoles. En revanche, l’enseignement supérieur de type court est souvent plus coûteux en termes de dépenses annexes pour le matériel et les stages. D’une école à l’autre, les frais peuvent aller du simple au double, voire triple comme c’est le cas dans les écoles des Arts où le matériel est très onéreux. Dans son enquête de 2017, la Fédération des Étudiant.e.s Francophones a interrogé 3.000 jeunes issus de l’enseignement supérieur un peu partout en Fédération Wallonie-Bruxelles. En termes de dépenses, il en ressort que la moitié du budget des étudiant.e.s part dans le loyer, qu’il soit public ou privé. 17 % est consacrés à l’alimentation, 9 % aux dépenses personnelles du type «vêtements», viennent ensuite les coûts directs des études à savoir: le minerval, les livres et syllabi, le matériel scolaire et les coûts relatifs aux stages qui représentent près de 900 euros de dépenses par an (9 % du budget mensuel).

Formation plus longue et plus chère

Par ailleurs, étudier est actuellement plus coûteux que par le passé. Depuis la modification de la structure des études et la mise en place du «Décret Paysage» fin 2013, le parcours des étudiants s’est vu modifié. Désormais, l’avancement des étudiant.e.s ne se fait plus en années réussies mais en «unités de crédits» obtenues. L’étudiant.e ne doit plus réussir une année complète pour accéder à la suivante. En théorie, cela lui permet d’avancer à son propre rythme. En pratique, cette flexibilité a tendance à rallonger la durée des études et donc, à augmenter le budget étudiant: «cela a de graves conséquences en termes d’accessibilité de l’enseignement pour les classes sociales les plus pauvres et symbolise un enseignement qui est tout l’inverse d’un ascenseur social, mais un outil de reproduction des inégalités sociales déjà cristallisées par l’enseignement secondaire», assure la Fédération des Étudiants Francophones.

Bourses peu satisfaisantes

Pour venir en aide aux familles plus modestes, il existe un système d’allocations d’études octroyées par la Fédération Wallonie-Bruxelles aux étudiant.e.s de condition «peu aisée[3]». Selon les statistiques de la FWB, en matière d’allocations d’études[4], le nombre de demandes progresse de manière continue. De 42.698 demandes en 2008, elles passent à 47.251 en 2012 puis, encore 5.000 de plus en 2013 (52.065). Le nombre d’octroi de bourses est lui aussi bien souvent en augmentation puisqu’il passe de 32.971 en 2008-2009 à 35.813 en 2012-2013, puis 36.342 pour 2013-2014. Pourtant, le pourcentage d’octroi des bourses est en perte de vitesse et les montants attribués aux bourses dans l’enseignement supérieur ne suivent pas la cadence, même si le montant de l’allocation moyenne par an a augmenté pendant la période étudiée, passant de 956 euros en 2008 à 1.081 en 2014. De 77.2 % de demandes octroyées en 2008-2009, à peine à 67.5 % l’ont été en 2014-2015. Par ailleurs, selon la FEF, «Près de 60 % des étudiant.e.s interrogé.e.s ne connaissent pas les aides sociales existantes auxquelles ils/elles peuvent avoir droit. Et 36.6 % d’entre ces jeunes non informés, estiment en avoir besoin[5]». En outre, partir à l’assaut d’une bourse peut s’avérer long, pénible au niveau des démarches et injuste au vu des critères d’attribution. Enfin, pour celles et ceux qui finissent par l’obtenir, la bourse d’un millier d’euros leur permettra de souffler un temps mais pas de financer leur cursus, c’est certain. Par ailleurs, pour bénéficier d’une bourse, l’étudiant doit fréquenter un établissement d’enseignement supérieur de plein exercice et être inscrit comme étudiant.e régulièr.e. En promotion sociale, il n’existe tout simplement pas de système de bourse.

Vers une démocratisation des études

Toutefois, lors de la rentrée 2010-2011, le décret relatif à la gratuité et à la démocratisation de l’enseignement supérieur[6] du ministre Jean-Claude Marcourt, mettait en place de nouvelles dispositions qui permettront à un plus grand nombre d’étudiant.e.s d’accéder à ces bourses. Seulement, au même moment, une «chasse aux fraudeur.euse.s» a été lancée, proche de celle contre les chômeurs. Contre toute logique, ont été pointé.e.s du doigt, les candidat.e.s boursier.e.s qui prétendaient disposer de moins de 496 euros pour vivre, par mois et par ménage. Suite à une globalisation des revenus dans les critères d’attribution de ces bourses, un seuil minimum, en-deçà duquel un.e étudiant.e peut prétendre à une bourse d’études, a été instauré. Ainsi, le Gouvernement considérait à l’époque qu’il est impossible pour ces familles de subvenir aux besoins d’un.e étudiant.e et les exclut de facto du système d’aide. «Pour les pouvoirs publics, quand on est trop pauvre et que les revenus sont en-dessous du minimum imposable, ça en devient louche. Alors, soit on est trop pauvre et ce n’est pas une allocation d’étude qui pourra aider, soit c’est qu’on profite du système en faisant croire qu’on est pauvre pour obtenir des bourses. Les abus, ça existe comme dans tout système mais quel choix étrange que de priver les autres jeunes dans le besoin et de montrer du doigt les personnes les plus précarisées en leur demandant de justifier leur précarité…», défend Coralie Sampaoli, la secrétaire générale de la FEF. Suite à cela, pendant des mois, la Fédération des Étudiant.e.s, la Ligue des familles et la Fédération des CPAS feront pression auprès du cabinet du ministre Marcourt, fortement critiqué par voie de presse pour les conséquences sociales de ces mesures[7]. Ils finiront par obtenir une nouvelle réforme le 30 août 2017.

Le CPAS: dernier filet de sécurité

Le CPAS a le mérite d’exister et de proposer un encadrement global et au cas par cas. Le jeune qui se présente passe d’abord par une enquête sociale qui définit s’il se trouve dans les conditions administratives et financières pour l’octroi d’un revenu d’intégration. Ensuite, l’étudiant.e signe avec le CPAS, un Projet Individualise d’Intégration Sociale (PIIS) pour la durée de ses études. Comme dans tout contrat, les signataires ont des devoirs dont, notamment, celui de travailler au moins 20 jours par an, prouver qu’il ou elle va aux cours et fait tous les efforts possibles pour réussir, ainsi que l’obligation de se faire évaluer au moins trois fois par an. Émarger au CPAS reste une démarche assez dévalorisante pour les étudiant.e.s. Si les CPAS tentent d’offrir une aide personnalisée pour chaque bénéficiaire, le problème fondamental réside dans le fonctionnement propre de chaque CPAS et même de chaque assistant.e social.e. Ainsi, de véritables injustices résident déjà dans le fait que les CPAS ne développent pas tous la même politique, notamment par manque de moyens. Ils n’en restent pas moins que les CPAS sont de plus en plus sollicités puisqu’entre 2002 et 2016[8] le nombre d’étudiant.e.s en contrat PIIS a été multiplié par 7,4. Les services sociaux des établissements du supérieur sont également débordés. Entre 2012 et 2015, les demandes d’aides sociales ont augmenté de plus de 12 % de et le nombre d’étudiants bénéficiaires a lui aussi grimpé en permanence pendant cette période[9]. Maud Baccichet, secteur communication   [1] Direction Générale des Statistiques – StatisicsBelgium(EU-SILC). Les Indicateurs de pauvreté en Belgique 2016. En ligne: http://statbel.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/travailvie/eu-silc/pauvrete/ [2] Idem [3] Arrêté du Gouvernement de la Communauté française fixant la condition peu aisée des candidats à une allocation d’études ainsi que les critères servant à déterminer les montants des allocations d’études, 19/10/16. [4] Direction de la Recherche du Ministère de la FWB. «La Fédération Wallonie-Bruxelles en chiffres 2016». [5] Chiffres issus de l’enquête de la FEF sur les «Conditions de vies des étudiant.e.s.». Septembre 2017. [6] Loi 35701, publiée au Moniteur belge le 31 août 2010. [7] «Bourses d’études: le ministre Marcourt rend le dispositif “socialement plus juste”». 7 juin 2017. En ligne sur www.rtbf.be. [8] SPP Intégration Sociale. Bulletin Statistique. 10/2017. Page 22. [9] Enquête sur les demandes d’aides auprès des services sociaux des établissements d’enseignement supérieur. 14 octobre 2016.

Les étudiant.e.s parlent:

  • «La misère c’est pas un manteau que tu mets de temps en temps quand ça te chante. C’est un manteau que tu portes et tu te rends compte qu’il t’enserre de plus en plus et tu t’y habitues».
Benjamin, 25 ans, ex-étudiant, diplômé en sociologie mais toujours bénéficiaire du CPAS.
  • «J’ai quitté le foyer familial parce que mon père s’opposait à mes études. J’aurais aimé me débrouiller seule mais c’était impossible. Mon loyer est de 415 euros auxquels il faut ajouter l’électricité et le gaz, le téléphone et internet. Je dois me nourrir, payer mes trajets, mes livres, mes vêtements… Il afallu que j’aille au CPAS. C’était ça ou je devais renoncer à la médecine. Aujourd’hui, je touche 867 euros par mois du CPAS. Je travaille à côté mais je ne peux pas dépasser les 200 euros par mois sinon je suis pénalisée. Je comprends qu’il faille justifier ses dépenses mais j’aurais préféré me passer du CPAS»
    Myriam, 26 ans, en 5e année de Médecine et bénéficiaire du CPAS.
  •  «Je vis au jour le jour en espérant qu’il n’y ait pas d’imprévu. Il m’est souvent arrivé de devoir choisir entre m’acheter à manger, m’acheter des chaussures ou aller chez le médecin». «Je ne voudrais pas avoir à réduire mes ambitions à cause de ma situation financière. Je poursuis des études internationales. Si je ne parviens pas à me faire des expériences, il y a peu de chances qu’on m’embauche dans le futur». «Le CPAS, c’est une aide et une menace à la fois. On nous aide à sortir la tête de l’eau mais on nous laisse quand même suffisamment dedans. On ne nous en sort pas vraiment. Niveau estime de soi, c’est très dur».
Elias, 22 ans, étudiant entre la 2e et la 3 e année, en Gestion d’entreprise.
  • «Je vis avec mes trois sœurs et notre mère. Aux yeux du CPAS, nous sommes toutes trois étudiantes, cohabitantes et solidaires de notre mère. On vit avec 1.678 euros de base. On est deux à travailler. On a le droit de gagner environ 300 euros de plus via les jobs étudiants, pas plus. On a régulièrement des soucis de paiement avec le CPAS, c’est assez pénible. On se sent coincées alors qu’on aspire à être indépendantes!»
Alia, 21 ans, étudiante en 1re année d’Assistance de Direction.  

Du même numéro

Articles similaires