Des parents affaiblis, sous pression et inquiets

Jeudi 19 janvier 2017

Appauvrissement, burn-out, séparation, manque de places en crèches, pression à l’école etc. Quels choix politiques pour plus de soutien à la parentalité ?
Pour la deuxième année consécutive, la Ligue des Familles a publié son Baromètre des parents. Elle a interrogé 1.600 parents de Bruxelles et de Wallonie. Il en ressort un certain nombre de difficultés éprouvées par les parents. Depuis une quarantaine d’années, les familles sont en pleine mutation. Le modèle de la famille classique, où les parents vivent ensemble reste majoritaire (61%) mais les familles monoparentales (23%) et recomposées (16%) sont en augmentation. Le fait est que de nouveaux enjeux ont émergé, principalement depuis l’entrée massive des femmes sur le marché de l’emploi : articulation entre vie personnelle et vie professionnelle - évolution de la figure paternelle et remise en cause du modèle autoritaire - dissolution des liens intergénérationnels… à cela s’ajoutent d’autres considérations qui chamboulent encore davantage l’équilibre des ménages : crise socio-économique, chômage - pression à « être un bon parent » exercées par l’école, la famille, les pédiatres mais aussi, les médias et les pouvoirs publics - crises des repères, immédiateté et hyper-consommation… Autant d’enjeux de société qui font que concrètement, être parent aujourd’hui, c’est être confronté à beaucoup plus de pressions et de questions que par le passé. Depuis les années 2000, en Fédération Wallonie-Bruxelles, les initiatives se sont multipliées pour tenter de répondre à ces nouveaux besoins, principalement en matière d’accompagnement des parents. L’ONE, Office de la Naissance et de l’Enfance propose quantité de services pour les parents.  Il en va de même de l’aide à la Jeunesse et de nombreuses associations. Mais aujourd’hui, c’est au niveau de la dimension socio-politico-économique et des choix politiques des pouvoirs publics, que ça ne suit pas. Avec la sixième réforme de l’état et les coupes budgétaires dans la sécurité sociale, la santé et les services publics, cela ne risque pas de s’arranger. On recule sur des acquis sociaux qui vont mettre en péril des milliers de familles. Et pour cause, nombre d’entre elles sont déjà dans le rouge.

Les familles s’appauvrissent

Le Baromètre de la Ligue des Familles rapporte que tous les ménages francophones subissent un appauvrissement généralisé même s’il est évident que la classe moyenne et les familles les plus modestes, sont davantage touchées. 14% des parents vivent avec moins de 1.500 euros par mois. Et parmi eux, 29% sont des familles monoparentales. Pour celles-ci, c’est un fait, les difficultés se multiplient et sont encore plus dommageables pour les femmes, qui restent plus touchées par la précarité. Il ressort également que pour 57% des personnes interrogées, les allocations familiales sont importantes ou même essentielles à l’équilibre du budget. Pourtant, le gouvernement fédéral dans sa sixième réforme de l’État, a opté pour une régionalisation du système des allocations. D’ici janvier 2020, ce sera à chaque entité régionale de décider comment elle compte payer ces allocations aux familles. Un transfert de compétences qui risque bien de compliquer la vie des parents. Le système de paiement va changer, les montants aussi… D’ailleurs, quels seront-ils ? Il n’y aura plus de rangs, c’est-à-dire d’augmentation des allocations pour le deuxième et le troisième enfant. Cet avantage comparatif datait d’après-guerre et  avait pour but de booster la natalité. Il n’y a plus de raison de conserver ce système. On optera donc pour un montant identique à chaque enfant. La Flandre a déjà décidé d’allouer 160 euros fixe par mois. Les Wallons et les Bruxellois savent qu’une telle somme ne pourra pas être proposée. Alain Maron, député ECOLO qui suit cette régionalisation au Parlement bruxellois, espère notamment que le choix se portera sur «  un  montant fixe certes plus bas que les Flamands, mais complété par des suppléments sociaux pour les familles plus précarisées, ou celles qui comptent un enfant handicapé dans leur foyer ». À surveiller d’ici janvier 2020 où la régionalisation devrait devenir effective.

Parents en burn-out !

L’enquête de la Ligue des Familles révèle que 22 % des parents affirment éprouver souvent de l’épuisement intense, et 3%, en permanence. En cause, la difficulté de concilier vie personnelle et vie professionnelle. Ils manifestent de plus en plus, les symptômes du burn-out, à savoir, un épuisement complet, une incapacité à gérer le quotidien et un sentiment cruel de culpabilité. Que l’on soit aisé ou non, le stress est très présent. Les uns se tuent au travail, quitte à y aller malades, jouent les taxis pour leurs enfants et se battent pour les inscrire dans l’école de leur choix. Pendant que les autres, aux revenus plus modestes, mènent exactement les mêmes combats, sans être employé et en ayant du mal à boucler leur fin de mois. Comment tenir bon ? Une mesure permet actuellement aux parents qui travaillent de souffler un peu : le crédit-temps sans motif. Les parents peuvent choisir de s’aménager du temps pour leur famille en travaillant temporairement moins, voire plus du tout, sans rompre leur contrat de travail. Mais prochainement, au plus tard le 1er avril 2017, le gouvernement supprimera cette opportunité. De quoi douter du soutien de nos politiques à la parentalité ? En matière d’accueil en crèches, on le sait, les places manquent cruellement. À tel point, qu’on assiste à des scènes absurdes : « des familles se retrouvent 800e sur la liste d’attente de leur commune, des mères doivent cacher leur non-employabilité pour justifier leur droit à mettre leur enfant en crèche, d’autres n’ont tout simplement pas les ressources nécessaires pour accéder à ce service » nous confie-t-on à l’ONE, l’Office de la Naissance et de l’Enfance. Cette difficulté d’accès à une crèche pour raisons financières est passée de 18% à 25% en un an. A souligner qu’une part non négligeable de parents (en majorité des femmes) arrête de travailler ou modifie son horaire de travail pour garder son enfant. Une mesure sociétale et politique concrète serait « d’adapter les horaires de crèche pour qu’ils soient plus flexibles avec ceux du travail et les horaires d’école, mieux adaptés aux réalités professionnelles d’aujourd’hui »,  comme l’explique la secrétaire politique de la Ligue des Familles, Delphine Chabbert.

Les mères dans le rouge

Arrêter de travailler pour garder son enfant, prendre un temps partiel pour réduire les frais de crèches et aménager du temps pour son enfant, voilà des initiatives qui restent plutôt féminines. Elles ne sont pas sans conséquences, comme l’indique le Baromètre de la Ligue. Une des nombreuses causes du burn-out des mères reste le manque d’implication et de soutien du père dans l’éducation des enfants. Par ailleurs, le manque d’information et la législation actuelle freinent la prise du congé de paternité. 18% des pères ne prennent pas ce congé en 2016, car ils n’y avaient pas droit. Ce sont notamment des indépendants, des demandeurs d’emploi ou des pères au foyer. Le désintérêt arrive en deuxième position avec 17% des pères et même 19% des pères ayant des revenus élevés. Ils sont pourtant de plus en plus nombreux à vouloir le rendre obligatoire (66%), toujours selon le Baromètre de la Ligue des Familles. Le groupe ECOLO a déposé une proposition de loi afin que le congé de paternité passe à 15 jours et surtout, qu’il soit obligatoire. Barbara Trachte, députée bruxelloise estime que « ce caractère obligatoire est essentiel pour le papa ou co-parent. C’est un signe fort pour davantage d’égalité même si 15 jours, cela reste trop peu selon moi. C’est en ce sens qu’il faut aller ». Au lieu de ça, on modifie le système d’indemnisation des femmes « écartées » durant leur grossesse pour les protéger contre certains risques, en exigeant de l’employeur de payer 10% des indemnités. Le but étant soi-disant, d’inciter les employeurs à examiner quelles tâches la femme enceinte serait encore en mesure d’exécuter au sein de l’entreprise et de lui trouver un travail adapté. Comment ne pas y voir une mesure qui découragerait les employeurs à engager des femmes en âge d’avoir des enfants ?

Les pères trop peu impliqués

Le congé parental peut permettre aux parents de mieux concilier vie de famille et travail. Les parents peuvent décider de suspendre leurs contrats de travail durant 4 mois et bénéficier, dès lors, d’une allocation d’interruption à charge de l’ONEM, l’Office National de l’Emploi. Ils peuvent aussi choisir de réduire leur temps de travail partiellement (à mi-temps durant 8 mois ou à 4/5e durant 20 mois). Prochainement, une nouveauté positive, le parent pourra opter pour une version 1/10e temps, idéale pour les mercredis après-midi et pour les parents qui ont leurs enfants en garde alternée, et qui pourraient ainsi, prendre congé un mercredi sur deux. Actuellement, ce congé parental ne séduit pas suffisamment les pères et ce sont principalement les mères qui font le choix de prendre un congé parental. « Comme l’indemnisation est forfaitaire, de nombreux couples font le calcul rationnel d’amputer le salaire le plus bas du foyer qui est, hélas, encore trop souvent celui de la femme », déplore encore Delphine Chabbert. Le Baromètre des parents est très éloquent : près de la moitié des papas ne souhaite pas exercer ce droit, contre un tiers des mamans.  Ils craignent les conséquences d’un tel choix sur leur carrière professionnelle. Il faudrait, dès lors, augmenter l’indemnisation forfaitaire proportionnelle aux revenus afin d’encourager les pères à profiter du congé parental. « Le but : réduire la perte salariale du père et de la mère. Cela va dans le sens non seulement du soutien à la parentalité mais aussi de l’égalité homme-femme », souligne la secrétaire politique de la Ligue des Familles.   Des efforts significatifs doivent être faits pour pallier à ces inégalités. Les rôles des hommes et des femmes ont changé et les relations individualisées entre chaque parent et l’enfant sont plus importantes. Au sein de la famille, chaque parent est une entité à part entière. Et aujourd’hui, un bon partenaire ne se résume plus à quelqu’un qui a une bonne situation. On recherche davantage celui qui pourra aider l’autre, le soutenir et le pousser à développer ses capacités personnelles et à s’épanouir. Mais cela ne s’avère possible que si nos politiques se décident à réellement soutenir les parents, plutôt qu’à leur mettre des bâtons dans les roues. Maud Baccichet, secteur communication

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